Trop invasif ou pas assez? Le contrôle des réfugiés venant de Gaza divise les avocats

Laura Osman, La Presse Canadienne
Trop invasif ou pas assez? Le contrôle des réfugiés venant de Gaza divise les avocats

OTTAWA — Le contrôle de sécurité que le gouvernement fédéral a mis en place pour les personnes souhaitant fuir la bande de Gaza fait l’objet de critiques de la part d’avocats qui estiment que ses questions sont trop invasives et d’autres qui pensent que le contrôle devrait être encore plus approfondi.

Un programme spécial qui permettrait à un maximum de 1000 personnes à Gaza ayant des parents au Canada de demander un visa a été ouvert la semaine dernière, le gouvernement fédéral faisant des recherches d’antécédents à un niveau de détail inhabituel. 

Les gens sont invités à fournir leurs comptes de réseaux sociaux, des détails sur leurs cicatrices et autres marques sur le corps, des informations sur toutes les personnes avec lesquelles ils sont liés – y compris par le biais du mariage – et tous les passeports qu’ils ont eus.

Yameena Ansari, une avocate en droit de l’immigration de Calgary également  membre du projet de réunification des familles de Gaza, qui a fait pression pour le programme, affirme que ces questions créent de l’anxiété chez les familles, qui craignent que leurs proches aient du mal à répondre après trois mois en grande partie sans accès à Internet, à l’électricité ou même à une nourriture adéquate ou à de l’eau potable.

«Il est presque impossible d’obtenir ces réponses quand on parle de personnes qui fuient leur foyer», a expliqué lors d’un entretien Mme Ansari. Elle affirme aussi que ces questions sont également extrêmement douloureuses, car elles suggèrent que les familles qui cherchent désespérément à fuir les violences à Gaza sont des terroristes présumés.

«Il ne s’agit pas d’une liste que nous demanderions à quelqu’un qui vient au Canada pour des raisons humanitaires, a ajouté Mme Ansari. Pour moi, ce sont les questions que je poserais à quelqu’un si je pensais qu’il était un terroriste ou un combattant.»

Par ailleurs, Lawyers for Secure Immigration, un groupe formé au début de la dernière guerre entre Israël et le Hamas, a exhorté le gouvernement dans une lettre, la semaine dernière, à poser des questions plus pointues liées au Hamas et aux activités terroristes afin de garantir qu’aucun des partisans du groupe militant armé ne soit autorisé à entrer au Canada.

Richard Kurland, un avocat spécialisé en droit de l’immigration basé à Vancouver et membre du groupe nouvellement formé, a qualifié les questions de contexte de «largement insuffisantes», car elles n’enquêtent pas sur d’éventuels liens avec le Hamas et les événements du 7 octobre.

M. Kurland a déclaré qu’il comprenait qu’il était important pour les Palestino-Canadiens d’amener leur famille au Canada en toute sécurité, mais a précisé que ce n’était pas quelque chose qui pouvait être fait «aveuglément».

La dernière fin de semaine marquait le 100e jour de la guerre, qui a éclaté le 7 octobre lorsque le Hamas a lancé une attaque-surprise sur le sud d’Israël, tuant 1200 personnes et prenant 240 autres en otages.

La réponse militaire d’Israël a été presque immédiate: le pays a assiégé le territoire, limitant l’accès à l’eau potable, à la nourriture, à Internet et à l’électricité et soumettant la bande de Gaza à un barrage quasi constant de bombes dans sa poursuite du Hamas.

La catastrophe humanitaire a déplacé la majeure partie des 2,3 millions d’habitants de Gaza. Le ministère de la Santé du territoire contrôlé par le Hamas affirme que 23 000 Palestiniens ont été tués, sans toutefois faire de distinction entre civils et combattants.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a déclaré que les Palestiniens ne sont pas considérés comme une plus grande menace pour la sécurité du Canada que les personnes originaires d’ailleurs dans le monde, mais que les «informations biographiques améliorées» font partie d’une pratique standard dans les cas où IRCC n’est pas en mesure d’effectuer un contrôle initial sur le sol.

Les questions de contexte sont similaires à celles posées aux Afghans qui ont demandé à venir au Canada après la chute de Kaboul en 2021, a indiqué le ministère.

«Comme nous l’avons fait avec l’Afghanistan, nous collecterons des informations biographiques améliorées et effectuerons un contrôle de sécurité pendant que le demandeur est encore à Gaza. À condition qu’aucun problème d’interdiction de territoire ne soit signalé, les personnes qui peuvent quitter Gaza verront leurs données biométriques collectées dans un pays tiers», a énoncé le ministère de l’Immigration dans un communiqué.

Peu de temps après l’annonce initiale du programme de réunification des familles à Gaza, la ministre libérale de la Santé mentale, Ya’ara Saks, a déclaré que des membres de la communauté israélienne au Canada avaient exprimé leurs inquiétudes concernant le programme.

Le conflit à Gaza a coïncidé avec une montée massive de l’antisémitisme à travers le Canada et la police a signalé une augmentation des crimes haineux dirigés contre la communauté juive.

«Il s’agit d’un programme limité, les préoccupations en matière de sécurité sont bien comprises et les exigences de sécurité sont strictes et suivent les examens des autorités israéliennes», a assuré Mme  Saks dans une publication sur Instagram le 22 décembre, au lendemain de l’annonce initiale du programme d’immigration.

«Je comprends les inquiétudes que j’ai entendues de la part des membres de la communauté. La sécurité est toujours la priorité numéro un et nous serons vigilants.»

Mme Saks a refusé de développer ses commentaires lorsqu’elle a été contactée par La Presse Canadienne la semaine dernière.

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