Les villes signalent plus de campements d’itinérants – et plus d’incendies

Lyndsay Armstrong, La Presse Canadienne
Les villes signalent plus de campements d’itinérants – et plus d’incendies

HALIFAX — Des municipalités canadiennes signalent une augmentation des incendies, parfois mortels, dans les tentes et autres abris de fortune utilisés par les personnes en situation d’itinérance – un phénomène social qui est une conséquence tragique de la crise des sans-abri au pays, selon les organismes d’aide.

À mesure que le nombre de sans-abri continue d’augmenter — et que le temps glacial s’installe —, il est inévitable qu’il y ait davantage d’incendies accidentels, admet Tim Richter, président et chef de la direction de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance, dans une entrevue mercredi.

«Si tout ce que vous pouvez trouver est une bonbonne de propane ou un réchaud de camping, vous allez l’utiliser pour survivre parce que l’alternative, c’est de mourir de froid», a souligné M. Richter, dont l’organisme estime qu’il y a entre 260 000 et 300 000 personnes sans logement au Canada. «On n’est qu’au début de l’hiver et je vous garantis qu’il y aura des incendies, des amputations [à cause d’engelures] et d’autres décès», a-t-il prévenu.

Lundi dernier, trois personnes ont été retrouvées mortes dans un hangar incendié à l’extérieur d’un magasin de rénovation de Calgary. Un responsable des pompiers a déclaré qu’il y avait des preuves que les victimes utilisaient le hangar comme abri.

À Edmonton, il y a eu cette année deux décès liés à des incendies dans des campements de sans-abri; il y en avait eu quatre l’an dernier. Le service de prévention des incendies de Saskatoon a enregistré plus de 30 incendies dans des tentes ou des campements de sans-abri cette année, soit une hausse par rapport à 12 en 2022 et trois en 2021.

À Halifax, les pompiers ont répondu à plus de sept incendies impliquant des personnes sans logement depuis septembre, dont deux récents incendies de tentes; les occupants de ces deux incendies s’en sont sortis indemnes. Le chef adjoint des pompiers, David Meldrum, a déclaré que l’occupant d’une tente qui a pris feu a déclaré qu’il faisait fonctionner un petit radiateur au propane à l’intérieur et qu’il s’était endormi. Les pompiers, a-t-il ajouté, ont trouvé une bonbonne de propane dans l’autre tente qui a brûlé, ainsi qu’un poêle au butane et un petit radiateur tout près. 

Plus d’itinérance

L’itinérance a augmenté partout au Canada ces dernières années. Une étude menée par l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance dans 11 villes canadiennes a révélé que l’itinérance chronique avait augmenté de 40 % entre février 2020 et octobre 2023.

À Montréal, on comptait 4690 sans-abri «visibles» en octobre 2022, soit une hausse de 33 % depuis avril 2018. Dans la région d’Halifax, la population sans logement était de 1082 mardi; il y en avait 300 en février 2020, selon l’Affordable Housing Association of Nova Scotia. 

La défenseure fédérale du logement au Canada, Marie-Josée Houle, affirme que les personnes sans abri sont obligées de prendre des décisions déchirantes pour dormir dehors. «La réalité, c’est que les gens ont besoin de chaleur, l’hiver est si rude (…) En fin de compte, la réponse, c’est le logement», a-t-elle déclaré dans une récente entrevue.

Le rapport provisoire de Mme Houle indique que les campements de fortune sont devenus plus nombreux et plus densément peuplés depuis le début de la pandémie en 2020. Et ces campements ont été de plus en plus soumis à une série de «réponses punitives» des autorités municipales, comme «l’émission de contraventions, l’arrestation, l’expulsion forcée et la destruction des tentes et des biens personnels», indique Mme Houle dans son rapport provisoire de l’examen des campements de personnes en situation d’itinérance, publié en octobre. 

Son rapport note que ces personnes dépendent du propane et du feu pour se réchauffer et cuisiner, et que les tentes et autres abris de fortune prennent facilement feu, permettant aux flammes de se propager rapidement à travers les campements, détruisant les abris et leurs biens.

«Et ce sont leurs objets de survie (…) et ce sont les choses qui font que les gens se sentent plus humains: des photos, des symboles religieux ou même les cendres de leurs proches», a ajouté Mme Houle en entrevue.

«Le démantèlement n’est pas la solution»

Alexandra Flynn, professeure de droit à l’Université de la Colombie-Britannique spécialisée dans le logement et les sans-abri, a déclaré que les incendies de campement se produisent le plus souvent bien sûr en hiver et dans les villes les plus froides, mais elle souligne aussi que les incendies restent un risque toute l’année.

«Certaines autorités locales ou des services d’incendie diront que la réponse à cette question est de démanteler les campements en raison du risque d’incendie. Mais dans le travail auquel j’ai participé, cela n’a pas été signalé comme une solution», a déclaré la professeure Flynn.

La recherche montre qu’il est plus sûr d’offrir une assistance en matière de sécurité incendie, des extincteurs et un accès à des abris ou à des centres de réchauffement que de démanteler un campement, a-t-elle déclaré.

Mme Houle est aussi de cet avis: «la réalité est que (…) le démantèlement forcé des campements n’empêchera pas les incendies» de se produire. «En fait, ça ne fera que rendre les gens plus vulnérables et les éloigner des ressources dont ils disposent.»

L’augmentation du parc de logements abordables dans les villes devrait être la priorité, mais tous les ordres de gouvernement peuvent prendre des mesures pour améliorer la sécurité des sans-abri, a déclaré Mme Houle.

Un exemple des mesures que le gouvernement peut prendre est celui de Saskatoon, a-t-elle déclaré, où les services d’incendie soutiennent les campements de la ville au lieu de les démanteler. «Le service d’incendie de Saskatoon a refusé d’être utilisé comme arme contre les gens dans les campements», a déclaré la défenseure.

Yvonne Raymer, cheffe adjointe du service d’incendie de Saskatoon, a déclaré qu’il existe deux postes à temps plein dédiés aux contrôles de sécurité-incendie et à d’autres services de soutien dans les campements.

Agent de liaison

«Nous faisons ce que nous pouvons pour établir la confiance et tisser des liens avec ces personnes, a déclaré Mme Raymer. Les gens ne font pas toujours confiance à quelqu’un en uniforme, surtout s’il dit ‘ce n’est pas sûr’ ou ‘ce n’est pas adéquat’.»

Selon Mme Raymer, le travail consiste à parler aux personnes sans abri et à les mettre en contact avec des services tels que des centres de réchauffement, des refuges ou des soins médicaux. Son service a enregistré 860 «interactions» avec les résidents de campements jusqu’à présent cette année.

«Saskatoon est une petite ville avec des problèmes de grande ville, donc ça nous tient très occupés», dit-elle.

Et même si M. Richter applaudit l’approche adoptée par le service d’incendie de Saskatoon, il affirme que la seule solution au problème de l’itinérance consiste à «sortir les gens des campements» et à les installer dans des logements qui répondent à leurs besoins.

Les gouvernements, a-t-il ajouté, doivent traiter l’itinérance comme si elle était causée par une catastrophe naturelle, notamment en louant des hôtels pour les personnes sans logement ou en érigeant des logements modulaires à leur intention.

«Les incendies ne s’arrêteront pas tant que les campements ne s’arrêteront pas», a-t-il rappelé. 

Note aux lecteurs: Une version précédente de cet article indiquait que le rapport provisoire de la défenseure fédérale du logement, Marie-Josée Houle, avait été produit en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne. Même si l’avocate est hébergée et soutenue par cette commission, son travail est indépendant de l’agence fédérale.

Partager cet article
S'inscrire
Me notifier des
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires