Les députés renoncent à voter sur la reconnaissance d’un État palestinien

Michel Saba, La Presse Canadienne
Les députés renoncent à voter sur la reconnaissance d’un État palestinien

OTTAWA — Coup de théâtre: les députés canadiens ont voté en majorité lundi soir non pas pour reconnaître un État palestinien, mais bien en faveur d’une motion considérablement modifiée visant à demander au gouvernement de travailler «en vue de l’établissement de l’État de Palestine dans le cadre d’une solution négociée à deux États».

Selon les résultats préliminaires, 204 députés ont voté pour, soit les néodémocrates, les bloquistes, les verts, la vaste majorité des libéraux, et deux indépendants. À l’inverse 117 députés ont voté contre, soit les conservateurs, trois libéraux – Ben Carr, Anthony Housefather et Marco Mendicino – et un député indépendant.

«C’est un message fort que l’on envoie au monde et, bien entendu, à la région», a expliqué la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, lors d’un point de presse dans le foyer de la Chambre des communes.

Elle a affirmé que le vote démontre que le Canada est en mesure de trouver «un terrain d’entente» et elle a précisé que bien que la motion soit non contraignante, son contenu devient la position officielle du gouvernement.

La ministre Joly a dit qu’elle s’oppose à une reconnaissance unilatérale d’un État palestinien, comme le demandait la motion initiale, parce que la solution à deux États que préconise Ottawa de longue date «peut seulement être obtenue si elle est négociée». Plus tôt en journée, elle avait indiqué qu’elle n’entend pas «changer la politique étrangère sur la base d’une motion de l’opposition».

Les conservateurs et plusieurs députés libéraux avaient annoncé qu’ils s’opposaient à reconnaître un État palestinien. Les bloquistes ainsi que les néodémocrates – qui en sont les initiateurs – y étaient favorables.

Mais alors que le débat tirait à sa fin en début de soirée, le leader du gouvernement à la Chambre, Steven MacKinnon, a sorti tout un lapin de son chapeau: un amendement qui modifierait presque chaque phrase de la motion. Il prévoit aussi de cesser l’exportation d’armes vers Israël.

La marraine de la motion et porte-parole néodémocrate en matière d’affaires étrangères, Heather McPherson, a alors annoncé qu’elle acceptait l’amendement.

Dans le foyer de la Chambre des communes, le chef du NPD, Jagmeet Singh, s’est défendu d’avoir dilué la motion. Il a expliqué que son parti a «priorisé les éléments qui vont sauver les vies immédiatement».

«On a forcé le gouvernement à changer la politique du Canada et, des neuf mesures qu’on a proposées dans notre motion, on a forcé le gouvernement à en accepter huit. Donc c’était un changement substantiel des politiques du Canada.»

Et bien que les conservateurs et des députés libéraux ont crié au scandale en plaidant que l’amendement n’est pas recevable puisqu’il élargit la portée de la motion ou qu’il viole leur privilège parlementaire, le président en a décidé autrement.

Immédiatement après le vote, des militants palestiniens ont été entendus crier de joie dans les ascenseurs de la Chambre des communes. L’un d’eux, Dalida Al-Haddad, qui était venue assister au vote, a déclaré à La Presse Canadienne que bien que le groupe soit déçu de ne pas avoir obtenu «tout ce qu’on voulait», le résultat du vote représente malgré tout «un début».

L’organisation juive B’nai Brith Canada s’est plutôt dite «indignée» que les élus adoptent «une proposition anti-israélienne sans précédent et épouvantable», notamment le fait que la motion appelle à un cessez-le-feu «immédiat».

«En adoptant une motion aussi partiale et irresponsable, la Chambre a exprimé un degré épouvantable de mépris pour le droit d’Israël à se défendre», a déclaré son porte-parole David Granovsky dans un communiqué.

«L’État» de Palestine

Au fil des débats de la journée, la néo-démocrate Heather McPherson a jugé qu’«il est temps» de reconnaître que la Palestine est un État comme l’ont fait «139 pays membres des Nations unies».

Elle a insisté sur le fait que la motion de son parti ne reconnaît pas le Hamas, dont les militants ont tué 1200 personnes et fait 250 otages en Israël au début du mois d’octobre. «Le Hamas est une organisation terroriste, ce n’est pas le gouvernement de Gaza», a-t-elle soutenu.

En réponse à l’attaque, Israël a envahi Gaza et tué plus de 31 000 Palestiniens, selon les responsables de la santé locaux.

Or, les conservateurs de Pierre Poilievre ne l’entendaient pas du tout ainsi. La cheffe adjointe, Melissa Lantsman, est allée jusqu’à accuser les néo-démocrates de vouloir «récompenser» les terroristes du Hamas. Elle a annoncé que les conservateurs voteront en bloc et qu’ils feront «le bon» choix.

Leur porte-parole en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, a expliqué que, bien que sa formation appuie la solution à deux États, cela ne peut être réalisé par une déclaration unilatérale, «comme nous ne pouvons pas déclarer à la Chambre des communes qu’un État autoritaire devient soudainement une démocratie».

Au Bloc québécois, le porte-parole en matière d’affaires étrangères, Stéphane Bergeron, a dénoncé «le ton incendiaire» de Mme Lantsman et lui a reproché de ne voir qu’«un seul côté de la médaille», occultant l’approche «équilibrée» de la motion. Les bloquistes y sont favorables, a-t-il précisé.

Il a noté, que non seulement le gouvernement israélien «refuse catégoriquement» la solution à deux États, mais que plusieurs ministres «rêvent» d’expulser les Palestiniens et coloniser Gaza, et que l’État tente de forcer la population à partir en rendant la région «invivable».

Le point de vue du gouvernement israélien se résume à «rendez-vous ou c’est le massacre», a déclaré M. Bergeron au sujet de la situation désastreuse à Rafah, où Israël menace de mener une opération militaire.

La motion a constitué un épisode supplémentaire montrant la division dans les rangs libéraux. Par exemple, la députée torontoise Salma Zahid a appelé ses collègues à se ranger «du bon côté de l’histoire». Son collègue montréalais Anthony Housefather a plutôt déploré qu’Ottawa envisage de reconnaître «cet État que nous n’avons jamais reconnu».

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