Le rapport d’enquête sur l’ex-militaire Desmond souligne les failles systémiques

Michael MacDonald, La Presse Canadienne
Le rapport d’enquête sur l’ex-militaire Desmond souligne les failles systémiques

PORT HAWKESBURY, N.-É. — L’enquête sur les raisons possibles pour lesquelles Lionel Desmond  a tué trois membres de sa famille avant de se suicider, en 2017 en Nouvelle-Écosse, conclut notamment que les professionnels de la santé auraient pu faire un meilleur travail en partageant entre eux les antécédents médicaux complexes de l’ex-militaire, vétéran de la mission en Afghanistan.

Le rapport final de l’enquête provinciale, publié mercredi après de longs délais, comprend 25 recommandations visant notamment à améliorer le soutien aux anciens combattants canadiens et à leurs familles, à élargir les services de santé pour les Néo-Écossais afrodescendants et à resserrer les mécanismes de délivrance de permis d’armes à feu.

L’enquête a aussi exploré des questions complexes concernant la violence conjugale et les services de santé mentale, a écrit le juge de la cour provinciale Paul Scovil dans un communiqué.

Le juge Scovil a souligné que cette enquête avait également exploré les défis uniques auxquels sont confrontés les résidents en régions et les Afro-Néo-Écossais – Lionel Desmond était noir – lorsqu’ils tentent d’obtenir des services en santé mentale.

Le rapport d’enquête recommande notamment que le ministère de la Santé de la Nouvelle-Écosse fournisse davantage de soins virtuels aux communautés rurales afro-néo-écossaises. De plus, le rapport appelle le ministère à embaucher davantage de professionnels noirs en santé mentale pour fournir des soins «culturellement adaptés».

Quant aux dossiers de santé de Lionel Desmond dans l’armée, le rapport recommande que le gouvernement fédéral veille à ce que les employés fédéraux diagnostiqués avec le syndrome de stress post-traumatique ou d’autres problèmes de santé reçoivent une copie de leur dossier médical, qui devrait ensuite être partagé avec les autorités sanitaires provinciales.

«Ces informations doivent traverser facilement les frontières fédérales et provinciales, écrit le juge Scovil. Les particuliers, les professionnels et autres doivent examiner attentivement la nécessité de diffuser les préoccupations concernant les individus et de travailler avec ceux dont le consentement est nécessaire pour garantir la circulation de l’information.»

Au cours de 53 jours d’audience, l’enquête a appris que l’ancien fantassin de l’armée avait reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique grave et de dépression majeure en 2011, après avoir assisté à d’intenses combats en Afghanistan en 2007.

Bien qu’il ait reçu quatre ans de traitement alors qu’il était dans l’armée, l’enquête a révélé que sa santé mentale était toujours mauvaise et que son mariage était en difficulté lorsqu’il a été libéré des Forces armées pour des raisons médicales en 2015. Il a ensuite participé à un programme de traitement en établissement à Montréal en 2016.

Plus important encore, l’enquête a révélé que l’ancien caporal de 33 ans n’avait reçu aucun traitement au cours des quatre mois suivant son retour chez lui à Upper Big Tracadie, en Nouvelle-Écosse, en août 2016.

«Cela me frappe qu’après que le caporal Desmond a été transféré en Nouvelle-Écosse, il ait fallu plusieurs mois pour intensifier les soins dont il avait désespérément besoin, même si le temps pressait», déplore le juge Scovil.

Quelques mois plus tard, le 3 janvier 2017, il a acheté légalement un fusil semi-automatique et l’a utilisé la journée même pour abattre sa femme de 31 ans, Shanna, leur fille de 10 ans, Aaliyah, et sa mère de 52 ans, Brenda, avant de retourner l’arme contre lui.

Permis d’armes à feu 

Le rapport du juge Scovil révèle que des informations clés sur la santé mentale de Lionel Desmond n’ont pas été partagées avec les contrôleurs provinciaux des armes à feu et les autorités provinciales de la santé.

L’enquête a appris que son permis d’armes à feu avait été suspendu en décembre 2015, lorsqu’il a été arrêté au Nouveau-Brunswick en vertu de la Loi sur la santé mentale de la province. À l’époque, sa femme avait déclaré à la police qu’il avait menacé de se suicider. Le permis a toutefois été rétabli en mai 2016, après qu’un médecin du Nouveau-Brunswick a signé un formulaire d’évaluation médicale déclarant que son patient était «non suicidaire et stable».

À l’époque, Lionel Desmond était suivi dans une clinique de Fredericton, où le personnel a déterminé que son état mental était devenu instable, car il était en proie à des souvenirs intrusifs de violents combats en Afghanistan. Or, aucune de ces informations n’a été partagée avec les responsables provinciaux des armes à feu, car la clinique n’était pas tenue de le faire.

En conséquence, le rapport d’enquête recommande au contrôleur des armes à feu de la Nouvelle-Écosse de travailler avec les autres provinces pour s’assurer qu’elles puissent partager des notifications si la police nourrit des inquiétudes.

Le rapport recommande par ailleurs au gouvernement de la Nouvelle-Écosse d’encourager le gouvernement fédéral à veiller à ce que tous les nouveaux anciens combattants se voient attribuer un gestionnaire de cas lors de leur transition vers la vie civile.

L’enquête a appris que le ministère des Anciens Combattants avait nommé une gestionnaire de cas pour la transition de Lionel Desmond, mais qu’il avait fallu six mois pour que ce processus soit complété. De plus, cette gestionnaire a été aux prises avec des retards et des problèmes bureaucratiques, alors qu’elle luttait pour trouver l’aide appropriée pour son client au cours des quatre derniers mois de sa vie.

À Ottawa, la ministre des Anciens Combattants, Ginette Petitpas Taylor, a déclaré mercredi qu’elle n’avait pas encore lu le rapport, mais elle a soutenu que le ministère apportait déjà des changements. À titre d’exemple, elle a mentionné que lorsqu’un ancien combattant demande du soutien en matière de santé mentale auprès d’Anciens Combattants, «ces soutiens sont immédiatement approuvés et mis en place».

Violence conjugale 

Sur un autre front, l’enquête a porté sur des questions de violence conjugale, de nombreux témoins ayant clairement indiqué que ce mariage était en difficulté avant même que Lionel Desmond ne quitte l’armée.

Au cours de l’audience publique, le docteur Peter Jaffe, psychologue à l’Université Western de London, en Ontario, a déclaré que Lionel Desmond présentait 20 facteurs de risque associés à un «homicide familial», sur 41 facteurs développés par le Comité ontarien d’examen des décès dus à la violence domestique.

L’enquête a également appris que trois heures avant les meurtres, Shanna Desmond avait demandé des informations à un refuge pour femmes sur la manière d’obtenir au tribunal un engagement à ne pas troubler l’ordre public.

Le rapport de l’enquête comprend plusieurs recommandations sur la violence conjugale, notamment des appels à une campagne d’information publique et à la mise à jour des évaluations des risques pour les professionnels de première ligne.

L’une des sœurs de M. Desmond, Cassandra, a déclaré qu’elle voulait s’assurer que les recommandations soient mises en œuvre. «Ce n’est pas la dernière étape du voyage», a-t-elle assuré à l’extérieur de la salle d’audience.

Elle a par ailleurs déploré que le rapport ne se concentre pas sur les familles qui ont été marquées par la tragédie. «Nous sommes encore nombreux à souffrir après sept ans de douleur.»

Le frère de Shanna Desmond, Sheldon Borden, a d’ailleurs ajouté que le rapport était un échec parce qu’il ne mentionnait rien sur le soutien à leurs parents, Thelma et Ricky Borden, qui vivent tous deux toujours dans la maison où les meurtres ont eu lieu. «De mon point de vue, le système continue d’échouer», a-t-il laissé tomber à l’extérieur de la salle d’audience.

L’enquête n’avait pas le mandat d’imputer des fautes en matière de responsabilité pénale ou civile, et ses recommandations ne sont pas contraignantes. «Personne ne devrait être pointé du doigt, souligne le juge Scovil. Le problème est systémique, jusqu’aux événements du 3 janvier 2017, et y compris ces événements.»

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