La criminalité armée aux États-Unis fait peur aux diplomates canadiens

Dylan Robertson, La Presse Canadienne
La criminalité armée aux États-Unis fait peur aux diplomates canadiens

OTTAWA — Le syndicat représentant les diplomates canadiens souhaite qu’Affaires mondiales Canada envisage de verser des bonis à ceux qui sont en poste aux États-Unis, car ils sont confrontés à un risque accru de crimes armés et à des difficultés d’accès aux soins de santé.

Pamela Isfeld, présidente de l’Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE), a laissé entendre que les évaluations des menaces à la sécurité par Ottawa ne sont pas aussi rigoureuses pour les États-Unis que pour d’autres pays.

«Si on parle d’un poste en Afrique où on a été confiné une demi-douzaine de fois à cause de tireurs actifs au cours de l’année dernière, cela entrerait dans l’évaluation de la sécurité de ce poste», a-t-elle déploré.

Selon elle, Affaires mondiales Canada a fait face à des «problèmes majeurs» pour convaincre des diplomates de servir au sud de la frontière et que le ministère attribue au fait que des diplomates pourraient vouloir des affectations plus exotiques.

Il s’agit d’une mauvaise compréhension de la situation, soutient Mme Isfeld, soulignant que le gouvernement fédéral met souvent l’accent sur l’importance des relations canado-américaines et sur la nécessité d’avoir les meilleures performances dans les missions diplomatiques là-bas.

«Et pourtant, il y a très peu de soutien», déplore-t-elle.

Affaires mondiales Canada n’a pas répondu aux questions de La Presse Canadienne.

Des diplomates canadiens sont en poste à l’ambassade de Washington, ainsi que dans des consulats et des bureaux commerciaux répartis dans 15 autres villes, comme Boston, Los Angeles, Minneapolis et Houston.

Pamela Isfeld estime que le manque présumé de personnel dans les missions américaines est dû en partie à une rémunération qui ne reflète pas les risques et les inconvénients de la vie aux États-Unis.

Lors d’une apparition sur le balado «Global Exchange» de l’Institut canadien des affaires mondiales, plus tôt ce mois-ci, elle a affirmé qu’une personne diplomate en poste dans une mission américaine tentait d’être transférée parce que le service de police de la ville — qu’elle ne nomme pas — était sous-financé et que la criminalité montait en flèche.

«Il y a eu toutes sortes de confinements et d’évacuations dans le bureau. La personne dit avoir été personnellement témoin de cinq fusillades, et pourtant personne ne se penchera sur les niveaux de difficulté ou les programmes d’incitation, ni même sur l’augmentation des budgets de sécurité pour ces missions pour faire face à cela», s’est confié Pamela Isfeld, lors de l’épisode.

Dans une récente entrevue avec La Presse Canadienne, la directrice a déclaré que les affectations américaines présentent certainement des avantages pour le personnel, comme la proximité de leurs proches en sol canadien et un accord qui permet aux conjoints de diplomates de travailler aux États-Unis — contrairement à de nombreux autres pays.

Mais celle-ci a mentionné que les questions de sécurité constituent une préoccupation croissante pour les diplomates et les fonctionnaires d’autres ministères fédéraux qui acceptent des postes aux États-Unis.

Elle soutient qu’il existe une tendance selon laquelle Ottawa envoie davantage de personnel d’autres ministères du gouvernement canadien aux États-Unis parce qu’il n’y a pas assez d’agents du service extérieur qui souhaitent y aller. Selon elle, aucune analyse formelle des données n’a été complétée sur la question.

Mme Isfeld avance qu’une personne a quitté son poste aux États-Unis il y a quelques années, parce qu’il y avait eu une fusillade dans une école à proximité et que son enfant avait peur d’aller en classe.

Affaires mondiales Canada a connu des problèmes avec son nouveau fournisseur d’assurance maladie, et les diplomates ont signalé des retards dans l’obtention de réponses aux réclamations et à d’autres questions alors qu’ils œuvraient à l’étranger.

Selon elle, ces retards posent un problème particulier aux États-Unis, où il n’y a pratiquement pas de soins de santé publics et où les prestataires suspendent souvent un traitement jusqu’à ce que le paiement d’assurance soit réglé.

D’autres pays, a-t-elle expliqué, disposent souvent d’un plan financé par l’État sur lequel les diplomates peuvent s’appuyer, ou proposent des services médicaux primaires avant de régler la facturation.

Elle a cité deux cas récents dans lesquels soit une personne en poste aux États-Unis ou l’une de ses proches dans ce pays a éprouvé des difficultés à accéder aux soins médicaux.

L’une d’entre elles «a eu une crise cardiaque et a été retenue aux urgences parce qu’elle n’a pas pu obtenir les informations dont elle avait besoin auprès de l’assureur», a-t-elle expliqué. Une autre a dû retarder son traitement contre le cancer en raison d’un problème similaire.

«Ce genre de choses ne devrait tout simplement pas se produire. Et les gens entendent ces histoires et ne veulent pas aller (aux États-Unis)», déplore Mme Isfeld. «Tout cela s’additionne.»

Celle-ci indique qu’il serait «très incendiaire politiquement» pour le Canada de désigner officiellement une ville américaine comme un lieu d’affectation difficile. C’est une étiquette généralement appliquée uniquement aux affectations dans les pays en développement où les taux de criminalité sont élevés, les infrastructures désuètes ou les maladies endémiques.

L’ancien diplomate canadien Roy Norton a tempéré les propos de Pamela Isfeld.

Il a déclaré que le ministère devrait remédier aux problèmes liés à sa couverture d’assurance, mais qu’il ne doit pas de salaire supplémentaire aux diplomates qui travaillent dans un pays où les Canadiens prennent régulièrement des vacances.

«L’implication ou l’inférence selon laquelle nous pourrions devoir traiter les États-Unis comme un ensemble de postes difficiles et compenser d’une manière correspondante me semble presque ridicule», a-t-il ajouté.

Roy Norton a été affecté à Washington, Détroit et Chicago avant d’assumer le rôle de chef du protocole, un poste de haut niveau qui consiste notamment à superviser la sécurité des missions diplomatiques étrangères au Canada.

Aujourd’hui professeur à l’Université de Waterloo, celui-ci soutient que les affectations aux États-Unis sont uniques dans le sens où le travail implique en grande partie un engagement auprès de la société civile et des dirigeants d’entreprise, au lieu de se limiter aux «autorités» de la capitale.

Il indique que les envoyés canadiens aux États-Unis évoluent dans une culture semblable et que leurs enfants ont accès à des écoles capables d’enseigner un programme similaire à celui de nombreuses provinces.

Selon lui, le ministère pourrait faire face à une résistance publique «considérable» s’il augmentait les programmes de rémunération pour les affectations américaines, étant donné que le gouvernement de Justin Trudeau tente d’ouvrir de nouvelles ambassades dans davantage de pays tout en réduisant le budget du ministère.

En fait, il a déclaré qu’Affaires mondiales Canada devrait envisager d’élargir les règles exigeant que certains types de diplomates effectuent une affectation difficile au début de leur carrière, et de compléter cela par une affectation dans une mission américaine également, compte tenu de l’importance des États-Unis pour les intérêts canadiens.

«Mais je reconnais que ce n’est pas la tasse de thé de tout le monde, a-t-il nuancé. Beaucoup de gens ne rejoignent pas Affaires mondiales Canada pour être affectés dans un endroit où ils pourraient se rendre en voiture.»

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