Ottawa veut consulter avant de mettre à jour la Loi sur les mesures d’urgence

Jim Bronskill, La Presse Canadienne
Ottawa veut consulter avant de mettre à jour la Loi sur les mesures d’urgence

OTTAWA — Le gouvernement fédéral est ouvert à d’éventuelles modifications à la Loi sur les mesures d’urgence, mais il veut d’abord mener de larges consultations sur la loi qu’il avait invoquée pour réprimer les manifestations du «convoi de la liberté» il y a deux ans.

Dans sa réponse finale mercredi à la commission d’enquête Rouleau, le gouvernement libéral décrit également les mesures qu’il prend pour améliorer la circulation des renseignements et protéger les principaux corridors de transport du pays.

Le gouvernement fédéral minimise toutefois la nécessité d’adopter bon nombre des changements aux protocoles policiers suggérés par la commission – dans certains cas parce que la police est déjà en train de procéder à des ajustements.

Le juge Paul Rouleau a formulé 56 recommandations, dont une vingtaine sont précisément liées à la Loi sur les mesures d’urgence. Dans l’ensemble, le gouvernement salue le rapport, qualifié d’«étape importante dans le processus de rétablissement de la confiance du public et de guérison des divisions au sein de la société canadienne».

Début février 2022, le centre-ville d’Ottawa a été assiégé par des manifestants, dont beaucoup se trouvaient à bord de gros camions, qui étaient arrivés dans la capitale à partir de la fin janvier. Initialement présenté comme une manifestation contre les restrictions sanitaires liées à la COVID-19, le rassemblement a attiré des gens qui en voulaient au premier ministre Justin Trudeau et à son gouvernement, pour diverses raisons.

Les protestations se sont étendues et des camions ont bloqué les principales voies d’accès vers les États-Unis à Windsor, en Ontario, et à Coutts, en Alberta.

Loi d’exception

Le 14 février 2022, le gouvernement a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence. Cela a permis des mesures temporaires, notamment la réglementation et l’interdiction des réunions publiques, la désignation de lieux sécurisés, l’ordre aux institutions financières de geler les avoirs des manifestants et l’interdiction de les soutenir financièrement.

Cette loi d’exception était utilisée pour la toute première fois depuis qu’elle avait remplacé la Loi sur les mesures de guerre en 1988.

Dans une lettre adressée le 15 février aux premiers ministres des provinces, M. Trudeau avait expliqué que le gouvernement fédéral estimait qu’on était «désormais en présence d’une situation d’urgence nationale causée par des menaces envers la sécurité du Canada».

Dans une décision récente, le juge Richard Mosley, de la Cour fédérale, a conclu que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était déraisonnable et avait mené à une violation de droits constitutionnels. Le gouvernement fédéral fait appel de cette décision.

Par contre, la Commission sur l’état d’urgence, qui a procédé à un examen après l’application de la loi, comme l’exige la mesure d’exception, a constaté au début de l’année dernière que le gouvernement satisfaisait aux normes juridiques très élevées pour son application. Le juge Rouleau a néanmoins réclamé une révision en profondeur des dispositions traitant des situations d’urgence liées à l’«ordre public».

La réponse fédérale indique que le gouvernement mobilisera les provinces, les territoires, les partenaires autochtones et la société civile sur les recommandations du juge Rouleau concernant la Loi sur les mesures d’urgence, notamment «en sollicitant des avis sur les amendements législatifs potentiels décrits dans les recommandations».

La Loi sur le SCRS

Le juge Rouleau a découvert que la définition de «menaces envers la sécurité du Canada» dans la Loi sur les mesures d’urgence était incorporée à partir de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, loi régissant la principale agence d’espionnage du Canada.

«Cela dit, la Loi sur le SCRS et la Loi sur les mesures d’urgence sont des régimes différents qui fonctionnent indépendamment l’un de l’autre, écrit le juge Rouleau dans son rapport. Elles servent des objectifs différents, font intervenir des acteurs différents et mettent en jeu des considérations différentes.»

Le gouvernement indique qu’il attendra l’issue des procédures judiciaires en cours concernant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, entre autres facteurs, avant de décider si des changements sont justifiés.

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a déclaré mercredi en conférence de presse que tout changement à la définition des «menaces envers la sécurité du Canada» dans la Loi sur les mesures d’urgence devrait être effectué dans le contexte d’un examen «réfléchi et plus holistique» de la législation sur la sécurité nationale.

Plusieurs recommandations du juge Rouleau touchent directement d’autres ordres de gouvernement, a ajouté M. LeBlanc. «Dans le cas de la Loi sur les mesures d’urgence, on veut évidemment parler à nos partenaires dans la fédération, a-t-il dit. Imaginez la réaction des gouvernements, que ce soit le Québec ou d’autres provinces, si on procédait unilatéralement.»

Le juge Rouleau a recommandé que lorsqu’un gouvernement déclare un état d’urgence en matière d’ordre public, il soit tenu de remettre à la commission d’enquête qui suivra l’ensemble des informations, des avis et des recommandations fournis au cabinet fédéral, aux comités du cabinet ou aux ministres individuels.

Le gouvernement Trudeau affirme que même s’il a fourni «à titre exceptionnel et sur une base volontaire» au juge Rouleau certaines informations sur le cabinet, il appartiendra à un futur gouvernement de procéder à une «analyse comparative de l’intérêt public» avant de décider si une commission devrait avoir accès aux secrets du cabinet.

La police et le renseignement

Lors de la manifestation à Ottawa, des résidents ont déploré le laxisme de la police d’Ottawa. Des policiers d’autres forces sont finalement arrivés pour aider à dégager les rues de la capitale.

Dans sa réponse publiée mercredi, le gouvernement suggère que les protocoles existants sont adéquats pour demander ou redéployer des ressources policières dans des situations d’urgence. Mais le gouvernement voit d’autres domaines à améliorer.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) travaille avec des partenaires fédéraux et d’autres corps policiers pour améliorer la collecte et le partage de renseignements criminels, indique la réponse fédérale.

De plus, le Service de renseignements criminels du Canada, avec l’aide de la GRC, étudie comment le Système canadien de renseignements criminels — la base de données qui soutient la communauté du renseignement criminel et de la police — pourrait être mieux utilisé pour aider à gérer et à conserver les renseignements sur la criminalité grave associée à l’ordre public.

Échange d’informations

Le gouvernement s’engage également à «examiner et explorer» une recommandation du juge Rouleau visant à garantir que ses ministères et organismes ont «l’autorité et la responsabilité nécessaires pour surveiller et faire état de l’information contenue dans les médias sociaux, à des fins appropriées et avec des mesures de protection appropriées».

Sous la direction de la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement du premier ministre, la communauté canadienne du renseignement a lancé un examen interne des activités de source ouverte et cherche à mettre à jour ses politiques et à élaborer des cadres clairs autour de la surveillance en ligne, y compris des médias sociaux et d’autres plateformes en ligne complexes, ajoute le gouvernement.

Dans sa réponse, Ottawa souligne que la communauté de la sécurité nationale s’efforce d’améliorer la collecte et la diffusion des renseignements en modifiant éventuellement des lois clés, notamment la Loi sur le SCRS. L’un des objectifs est de donner aux agences fédérales de sécurité la capacité légale de divulguer des informations sur les menaces à un plus large éventail de destinataires.

Les infrastructures 

Le gouvernement souscrit à l’appel du juge Rouleau visant à identifier les corridors commerciaux et les infrastructures essentielles en consultation avec les groupes provinciaux, territoriaux et autochtones. Il indique qu’une nouvelle stratégie nationale pour les infrastructures essentielles sera publiée avant la fin de l’année.

L’Agence des services frontaliers du Canada a déjà amélioré la sécurité à 11 points d’entrée et mis à jour ses plans de gestion des frontières en réponse aux blocus de 2022.

Un groupe de travail comprenant la Sécurité publique, Services publics et Approvisionnement Canada et le Bureau du Conseil privé, ainsi que des partenaires parlementaires et des organismes d’application de la loi, examine les questions de maintien de l’ordre propres à la Cité parlementaire et à ses environs, souligne le gouvernement.

Il réaffirme l’engagement du gouvernement à poursuivre les discussions avec la Ville d’Ottawa pour transférer au fédéral une partie de la rue Wellington, qui passe en face de la colline du Parlement.

L’objectif est de marquer les limites juridiques et géographiques de l’enceinte et de clarifier les rôles et responsabilités en matière de sécurité et de police, ajoute le gouvernement dans sa réponse.

Le ministre LeBlanc a évoqué mercredi la possibilité d’intégrer le Service de police d’Ottawa dans une structure de commandement unifiée, en reconnaissance de ses efforts dans des dizaines de situations de protestation chaque année. «J’aurai donc quelque chose à dire en détail, je l’espère dans les semaines à venir, sur l’augmentation des investissements qui rendront cela possible.»

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