Des provinces réclament une pause sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir

Stephanie Taylor et Laura Osman, La Presse Canadienne
Des provinces réclament une pause sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir

OTTAWA — Une majorité de provinces et de territoires demandent au gouvernement fédéral de suspendre «indéfiniment» le projet controversé visant à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes «dont le seul problème médical est une maladie mentale».

Les ministres de la Santé et de la Santé mentale de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique et des trois territoires demandent à leurs homologues fédéraux plus de temps dans ce dossier.

Un comité parlementaire «mixte spécial» a adopté à peu près cette position de prudence dans son rapport final déposé lundi. Les députés ont conclu que le système n’était pas prêt à autoriser l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale.

Cet élargissement devait entrer en vigueur en mars. Mais dans une lettre adressée au ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, et à son collègue de la Justice, Arif Virani, les ministres de ces provinces et territoires soutiennent qu’il y a tout simplement trop de travail à faire avant d’y arriver. 

«Il est essentiel que toutes les provinces et les territoires, les autorités sanitaires, les régulateurs et les professionnels de la santé disposent de suffisamment de temps pour mettre en œuvre les garanties et répondre aux problèmes de capacité qui devraient résulter de cet élargissement», peut-on lire dans la lettre.

«Nous vous encourageons (…) à suspendre indéfiniment la mise en œuvre des critères d’admissibilité élargis (à l’aide médicale à mourir) afin de permettre une collaboration accrue entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.»

Les ministres Holland et Virani ont tous les deux accepté lundi les conclusions du comité mixte spécial, mais ils ont refusé de préciser à quel moment ils communiqueraient les détails d’un nouvel échéancier. 

Les ministres de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard estiment que leur province est mieux préparée aux changements, mais ils ont accepté de signer la lettre de leurs collègues, en soutien.

Les conservateurs fédéraux demandent aux libéraux d’annuler complètement les projets d’élargissement de l’aide médicale à mourir. Les néo-démocrates veulent d’abord mettre en place davantage de soutiens en matière de santé mentale. 

S’adressant aux journalistes à son arrivée à la réunion hebdomadaire du cabinet, mardi matin, le ministre Holland a déclaré qu’un nouveau projet de loi était à venir, mais a refusé de donner plus de détails.

Un échéancier déjà reporté

Le gouvernement fédéral avait mis à jour sa loi sur l’aide médicale à mourir en 2021, afin d’en élargir l’accès aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale.

Cette loi prévoyait une mise en oeuvre deux ans plus tard, afin de permettre aux professionnels de la santé et aux systèmes de se préparer, ce qui signifie que le changement devait entrer en vigueur en mars 2023.

Mais l’année dernière, le gouvernement a adopté un projet de loi visant à prolonger d’une année supplémentaire ce délai.

Si le gouvernement choisit de suspendre indéfiniment l’élargissement, cela pourrait laisser la porte ouverte à une contestation constitutionnelle, a déclaré Shelley Birenbaum, présidente du groupe de travail sur la fin de vie à l’Association du Barreau canadien.

«Je pense que c’est une grave injustice envers ceux dont les souffrances sont si grandes qu’ils souhaitent avoir accès à l’aide médicale à mourir», a déclaré Me Birenbaum, une avocate spécialisée dans le domaine de la santé à Toronto.

Même si le ministre déposait un projet de loi fixant un nouveau délai pour élargir l’admissibilité, Me Birenbaum se demande qui ferait encore confiance au gouvernement pour respecter cet échéancier.

Elle ne croit pas non plus qu’un comité parlementaire soit la plateforme appropriée pour déterminer l’état de préparation clinique partout au pays. «Pourquoi des profanes siégeant au sein d’un comité, qui ne sont experts dans aucun de ces domaines, seraient-ils capables d’évaluer l’état de préparation?», se demande-t-elle.

Des avocats devraient débattre la semaine prochaine d’une résolution appelant l’Association du Barreau canadien à retirer sa position sur cette politique. Entre-temps, Me Birenbaum a déclaré que le groupe de travail envisageait de continuer à plaider en faveur de l’élargissement.

Le ministre Holland a reconnu mardi que certains responsables provinciaux pourraient s’opposer à l’élargissement simplement pour des raisons idéologiques.

Le gouvernement de l’Alberta, par exemple, réclame un report indéfini parce qu’il ne croit pas que ce soit le rôle du système de santé d’offrir l’aide médicale à mourir à une personne souffrant d’un trouble mental.

Les partisans de l’élargissement soutiennent que les personnes atteintes de maladie mentale méritent d’être traitées de la même manière par la loi que celles souffrant de maladies physiques débilitantes. Ils affirment que les exclure violerait les droits constitutionnels des patients.

Le ministre Holland a déclaré que pour cette raison, le gouvernement croyait en la nécessité d’effectuer un jour ce changement — il s’agit seulement de s’assurer qu’une majorité de provinces et de territoires sont prêts.

Les ministres provinciaux de toutes les allégeances politiques expriment leurs inquiétudes, a soutenu M. Holland, disant avoir parlé avec le Québec et des ministres de la Santé de gouvernements du NPD et libéral. «Ils disent tous que leur système n’est pas prêt», a-t-il affirmé.

«Ce ne sont donc pas seulement les ministres conservateurs de la Santé qui disent cela», a-t-il ajouté.

Pas dans les plans au Québec

La ministre québécoise responsable des aînés, Sonia Bélanger, a affirmé que la décision d’Ottawa ne changeait rien pour le Québec, rappelant que la province n’a pas inclus les personnes aux prises avec une maladie mentale dans sa propre loi sur l’aide médicale à mourir.

«On évolue comme société, puis le jour où la population, les patients, je dirais les premières personnes visées voudront faire le débat là-dessus, on sera au rendez-vous au Québec pour faire les choses correctement dans l’ordre. Mais honnêtement, on n’est pas là. Puis je ne vois pas un horizon à court terme», a affirmé Mme Bélanger, mardi, en réponse aux journalistes en marge d’une annonce sur l’aide aux résidences privées pour aînés.

«Notre loi est solide, c’est une loi de soins de fin de vie, on a nos mécanismes», a dit la ministre, en ajoutant qu’elle préciserait sous peu de prochaines étapes, notamment sur la question de la «demande anticipée».

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