Sud du Québec: inquiétudes de résidents de municipalités face à des claims miniers

Jacob Serebrin, La Presse Canadienne
Sud du Québec: inquiétudes de résidents de municipalités face à des claims miniers

MONTRÉAL — Lorsqu’Ellen Rice-Hogan a découvert que quelqu’un avait acheté un titre minier sur sa ferme de l’Outaouais, elle a été en état de choc.

Il n’y a aucune exploitation minière dans la région du Canton de Low, au Québec, à environ 40 kilomètres au nord-ouest d’Ottawa, où elle élève des moutons et du bétail. «Tout cela était choquant, surprenant», a-t-elle avoué récemment dans une entrevue. «Nous sommes une petite communauté, le potentiel est énorme et cela va avoir un impact négatif énorme, je pense, sur notre territoire.»

Un boom des claims miniers est en cours au Québec alors que les prospecteurs anticipent une forte demande pour les minéraux utilisés dans les batteries électriques. Cette ruée pousse les gens à revendiquer leurs droits partout, même sous les maisons. En réponse, les habitants et les municipalités réclament un durcissement des règles.

Même si la majeure partie de l’exploitation minière au Québec se déroule encore dans le nord de la province, la demande de graphite et de lithium – des composants essentiels dans les batteries des véhicules électriques – pousse les mineurs à étendre leurs recherches aux régions du sud, où l’industrie est peu connue des résidents et des gouvernements locaux.

Le conseil municipal de la municipalité où habite Mme Rice-Hogan souhaite qu’une grande partie de son territoire soit désignée par le gouvernement du Québec comme incompatible avec l’exploitation minière. Et elle envisage de suivre l’exemple de certains de ses voisins qui achètent les droits miniers sur leurs terres.

Selon le ministère des Ressources naturelles du Québec, 112 477 claims miniers ont été approuvés en 2023, contre 72 631 l’année précédente. Dans la région de l’Outaouais, où est situé le Canton de Low, le nombre de claims miniers actifs a plus que doublé depuis 2019, alors que 20 006 claims avaient été approuvés.

«Dans les régions où, historiquement, il n’y a pas eu d’exploitation minière, on a assisté à une explosion des demandes de réclamation», a déclaré Manon Cyr, mairesse de Chibougamau et membre de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

Au cours des 60 derniers jours, plus de 200 claims miniers ont été réalisés en Outaouais et 166 autres dans la région des Laurentides, qui comprend certaines banlieues du nord de Montréal et des destinations de ski comme Mont-Tremblant. Cette région abrite d’ailleurs la seule mine de graphite active en Amérique du Nord.

Selon la mairesse Cyr, le système actuel est trop simple: obtenir un claim en ligne coûte environ 77 $ et donne à l’acheteur le droit exclusif d’exploiter les minéraux d’un terrain spécifique pendant trois ans.

Au Canada, les droits miniers sont distincts de la propriété foncière, et un titre peut être acheté sur des terres publiques ou privées. Alors que les travaux d’exploration sont censés être effectués avant que des claims puissent être renouvelés, Mme Cyr a déclaré qu’en réalité, les propriétaires de claims sont souvent en mesure de renouveler sans rien faire.

L’accès facile aux claims permet à des personnes qui ne s’intéressent pas sérieusement à l’exploitation minière d’obtenir des droits miniers, dont beaucoup n’ont pas réellement l’expérience ou les moyens nécessaires pour lancer une opération minière. Mais leurs actions suscitent tout de même des craintes chez les habitants qui pensent qu’ils pourraient devoir vivre au-dessus d’une mine en activité.

Manon Cyr a indiqué que l’UMQ réclame une augmentation du coût des réclamations et l’exigence que les personnes qui font une réclamation démontrent une certaine expertise. Ironiquement, dit-elle, les gens qui achètent des claims sur leurs propres terres rendent plus difficile la protection du territoire, car seules les terres sans claims actifs peuvent être déclarées interdites à l’exploitation minière.

Depuis 2016, 27 communautés ont demandé au gouvernement du Québec de déclarer certaines parties de leur territoire «incompatibles» avec l’exploitation minière ; 18 l’ont fait avec succès. L’exploitation minière est également interdite dans le «périmètre urbain» des villes.

«Ce qui est difficile à accepter pour certaines municipalités, c’est qu’elles doivent justifier pourquoi elles veulent que ce territoire soit incompatible avec l’exploitation minière», a récemment expliqué en entrevue Julie Reid Forget, qui conseille les communautés québécoises en matière de développement minier.

Il existe un déséquilibre dans la loi, qui suppose que l’exploitation minière est la meilleure façon d’utiliser les terres, selon Mme Reid Forget, qui a organisé plus tôt cette année une séance d’information pour les résidents de Gatineau, la quatrième plus grande ville du Québec.

Alain Poirier, de l’Association de l’exploration minière du Québec, estime qu’une grande partie des inquiétudes concernant les claims miniers dans le sud du Québec vient d’un manque de connaissances. «Le secteur n’est pas mal compris, il est inconnu, en fait», selon lui. Les propriétaires fonciers, dit-il, doivent donner leur consentement écrit avant que les travaux miniers puissent commencer sur leur propriété, même s’ils ne détiennent pas les droits miniers. Si un propriétaire foncier ne veut pas d’exploration sur son territoire, «il n’y a pas de problème, c’est la loi et la loi est respectée».

À peine un demi pour cent des claims, environ, sont explorés avec des machines, a ajouté M. Poirier, et seulement environ une mine par an est ouverte dans la province, un processus qui peut prendre des décennies et nécessite une consultation avec la communauté à plusieurs étapes.

Selon Alain Poirier, ce ne serait pas une bonne idée que le gouvernement donne plus de pouvoir aux municipalités pour réglementer l’exploitation minière, une décision qui, selon lui, pourrait créer des centaines de cadres réglementaires différents.

«Nous trouvons que le système actuel de réglementation uniforme à travers le Québec fonctionne très bien», selon lui. Il ajoute que plus du tiers du territoire québécois est déjà interdit d’accès en raison de la présence de parcs nationaux, de réserves fauniques et d’autres formes de protection.

La grande majorité des claims miniers et de l’exploration minière se situent toujours dans des régions minières traditionnelles, a-t-il rappelé. Dans le sud du Québec, la concurrence pour les terres ne vient pas du secteur minier. «Ce sont des terres agricoles, c’est du développement immobilier, ce sont des routes, c’est un ensemble de choses différentes qui n’ont pas nécessairement quelque chose à voir avec l’exploration minière.»

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