L’annus horribilis du gouvernement de la CAQ

Caroline Plante, La Presse Canadienne
L’annus horribilis du gouvernement de la CAQ

QUÉBEC — Malgré quelques bons coups, la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault termine l’année 2023 écorchée et déboussolée, en chute libre dans les sondages d’opinion.

C’est le désamour entre les Québécois et la CAQ, si l’on se fie au plus récent sondage de la firme Léger, qui suggère une dégringolade de 16 points en un an au profit du Parti québécois (PQ).

Pourtant majoritaire en Chambre, la CAQ n’a cessé de s’autopeluredebananiser tout au long de l’année, ce qui a même fini cet automne par soulever une grogne à l’interne. 

«J’ai commencé l’année en étant pour le troisième lien. Vers le mois d’avril, je suis devenu contre le troisième lien et au mois d’octobre, je suis redevenu pour le troisième lien. 

«Je suis en train de planifier mon année 2024 et, pour tout vous dire, j’ai demandé au père Noël d’avoir une boussole», a admis M. Legault sur le ton de l’humour lors des traditionnels voeux de Noël au Salon bleu.

C’est la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2018 que la CAQ subit la colère des électeurs, elle qui a vécu une lune de miel et trôné au sommet des sondages pendant quatre ans, même pendant la pandémie.

SAAQ et 3e lien

L’annus horribilis de la CAQ a commencé avec ce qu’elle qualifie elle-même de «fiasco» à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Pendant plusieurs semaines l’hiver dernier, les Québécois ont été pratiquement incapables d’obtenir des services, en raison des ratés entourant la transition de la SAAQ vers une plateforme numérique.

Le ministre du Numérique, Éric Caire, responsable du service d’authentification gouvernemental (SAG) sur la plateforme, a poussé l’audace jusqu’à se demander pourquoi il ne recevait pas «d’éloges».

Une crise n’attendait pas l’autre pour la ministre des Transports, Geneviève Guilbault. En avril, elle a été envoyée seule pour annoncer l’abandon du projet de troisième lien autoroutier Québec-Lévis.

Ce projet était un engagement phare de la CAQ, qui promettait depuis longtemps de le réaliser coûte que coûte, afin de gagner des appuis dans les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches. 

Pris de court, des députés caquistes se sont dits très déçus (le ministre Bernard Drainville a même pleuré), mais il s’agissait de la seule décision responsable à prendre pour les contribuables, a argué François Legault.

Pendant ce temps, le gouvernement Legault obtenait d’Ottawa une hausse des transferts en santé de 1 milliard $ par année, alors que la demande du Québec avait toujours été de 6 milliards $.

En mai, lors du congrès de la CAQ, M. Legault a subi un vote de confiance et obtenu un score inédit de 98,61 %. Ravi, il a redirigé ses attaques vers le PQ de Paul St-Pierre Plamondon qui gagnait du terrain.

Salaire des députés

Toujours au printemps, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déposé le projet de loi 24 augmentant de 30 % le salaire de base des députés (de 101 561 $ à 131 766 $).

Le 6 juin, les élus de la CAQ et du Parti libéral du Québec (PLQ) ont voté pour cette bonification, tandis que Québec solidaire (QS) et le PQ s’y sont opposés. Le projet de loi a été adopté à la majorité.

Un sondage Léger réalisé pour QS suggérait que trois Québécois sur quatre étaient contre, mais le premier ministre Legault a expliqué que les élus étaient en droit de gagner «le plus d’argent possible» pour leurs enfants.

Son whip, Éric Lefebvre, a affirmé de son côté que sa charge de travail était telle qu’il ne pouvait se permettre de voir sa mère qu’une fois par année.

Cette hausse de 30 % est entrée en vigueur durant les négociations en vue du renouvellement des conventions collectives des travailleurs du secteur public, à qui l’on offrait environ 13 % sur cinq ans.

M. Legault a prédit un «automne chaud».

Jean-Talon et les Kings

Le premier ministre pensait sûrement frapper un coup de circuit en annonçant, en septembre, le plus important investissement privé de l’histoire du Québec: 7,3 milliards $ à l’entreprise Northvolt.

Dans les minutes qui ont suivi l’annonce, jubilant, il a d’ailleurs confirmé qu’il allait se représenter en 2026.

Mais la semaine suivante, il perdait la circonscription de Jean-Talon, dans la région de la capitale, aux mains du PQ. Dès le lendemain, il promettait de ressusciter le troisième lien Québec-Lévis qu’il avait lui-même enterré.

Plusieurs observateurs de la scène politique s’entendent pour dire que le point de bascule pour la CAQ, dans une année déjà difficile, a été sa cuisante défaite lors de l’élection partielle dans Jean-Talon.

Pour tenter de renouer avec l’électorat, le gouvernement Legault a arraché des mains du maire de Québec, Bruno Marchand, l’impopulaire projet de tramway pour le confier à la Caisse de dépôt.

Et le ministre des Finances, Eric Girard, a annoncé une subvention allant jusqu’à 7 millions $ pour faire venir les Kings de Los Angeles à Québec, afin qu’ils disputent deux matchs préparatoires.

L’annonce de cette subvention est survenue une semaine après qu’il eut présenté sa mise à jour économique, dans laquelle il manquait 8 millions $ pour les banques alimentaires, le ministre ayant prévenu que les finances étaient «serrées». 

L’énoncé économique comprenait toutefois une bonne nouvelle: une entente avec le fédéral pour investir 1,8 milliard $ sur cinq ans dans la construction de 8000 nouveaux logements sociaux et abordables.

Par contre, la subvention aux Kings, devenue le symbole de la déconnexion du gouvernement, a fourni d’autres munitions aux syndicats qui réclament de meilleures conditions salariales.

Au sein même de la CAQ, des députés ont eu le courage d’exprimer publiquement leur mécontentement en disant que cette subvention aux millionnaires de la Ligue nationale de hockey ne cadrait pas avec leurs «valeurs».

Grèves

Le 23 novembre, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) déclenchait une grève générale illimitée.

Le ministre Drainville a jeté de l’huile sur le feu en incitant «les directions d’école, les centres de services scolaires, les profs» à donner «du matériel» aux enfants afin de les aider à poursuivre leurs apprentissages.

La FAE et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ont accusé le ministre de l’Éducation, et le premier ministre Legault, de vouloir «culpabiliser» les enseignants.

M. Legault avait demandé aux enseignants de cesser la grève pour le bien des enfants, une déclaration très mal reçue par les syndiqués sur les lignes de piquetage.

Entre-temps, le gouvernement adoptait un projet de loi pour réformer la gouvernance scolaire afin de donner au ministre plus de pouvoirs, dont celui de nommer et limoger les directeurs généraux des centres de services scolaires.

Le projet de loi 23 crée également l’Institut national d’excellence en éducation ayant pour mandat de guider le réseau scolaire vers des pratiques pédagogiques appuyées par des données probantes.

Par ailleurs, alors que le front commun entamait une deuxième séquence de grève, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a choisi le bâillon pour faire passer le projet de loi 15, sa réforme du réseau de la santé.

Outrée, l’opposition a dénoncé cet autre «brassage de structures» et souligné la détérioration des services en santé sous M. Dubé. Le 5 décembre, des enquêtes ont été ouvertes après la mort de deux patients dans les urgences bondées de l’hôpital Anna-Laberge.

Immigration, pacte fiscal et universités

Après des déclarations explosives de M. Legault en campagne électorale, la ministre Christine Fréchette a présenté un plan en immigration qui a été bien accueilli. Elle termine toutefois l’année frappée d’une mise en demeure pour les délais en réunification familiale.

Andrée Laforest a quant à elle conclu un nouveau «pacte fiscal» avec les municipalités, leur donnant entre autres plus de pouvoirs de taxation, mais le premier ministre Legault les a ensuite sommées de réduire leurs dépenses avant de s’en servir.

Enfin, la ministre Pascale Déry a porté un dur coup à McGill et Concordia en haussant les droits de scolarité des étudiants hors province et internationaux, et en exigeant de ces universités qu’elles francisent davantage leur clientèle. L’Université Bishop’s a eu droit à des exceptions.

La mesure, qui a soulevé un tollé, devait contribuer à freiner le «déclin du français». 

2024 sera meilleure, dit Legault

Même si l’année 2023 a été pénible, François Legault ne veut pas changer de recette et assure que ça ira mieux l’an prochain. «Je ne suis pas découragé pantoute», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse pour faire le bilan de la session d’automne.

Il a reconnu que 2023 n’a pas été «facile politiquement» parce qu’il y a eu «beaucoup de controverses». Malgré cela, il n’a pas l’intention de quitter, ni de remanier son conseil des ministres ou d’expulser son chef de cabinet, Martin Koskinen.

Non seulement la CAQ est désormais moins populaire que le PQ, M. Legault lui-même est mal aimé, à un point tel qu’il est maintenant le premier ministre le moins populaire au Canada, selon un récent sondage Angus Reid.

«Je pense qu’en bout de ligne, quand on va livrer des services, bien j’ai confiance de retrouver la confiance», a déclaré le premier ministre.

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