Malgré la controverse à Terre-Neuve, les urgences virtuelles sauvent des vies

Sarah Smellie, La Presse Canadienne
Malgré la controverse à Terre-Neuve, les urgences virtuelles sauvent des vies

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — L’hôpital de 12 lits de New-Wes-Valley à Terre-Neuve-et-Labrador – une population de 2000 habitants – s’est retrouvé au centre d’un débat houleux sur la pénurie de personnel dans les soins de santé en milieu rural lorsque la province a signé un contrat pour augmenter virtuellement le personnel de son service d’urgence.

Le maire, Mike Tiller, un ambulancier, n’est pas complètement convaincu à l’idée de confier à des médecins à des centaines de kilomètres la responsabilité des soins d’urgence des habitants de sa ville, mais une expérience récente l’a convaincu que les urgences virtuelles peuvent sauver des vies.

M. Tiller raconte qu’un patient venu au centre de santé Dr Y.K. Jeon Kittiwake en détresse cardiaque a pu recevoir une injection vitale grâce à un médecin urgentiste virtuel, qui a fait équipe avec des professionnels de la santé sur place, tels que des infirmières ou des ambulanciers paramédicaux, pour prodiguer le traitement. L’injection a brisé les caillots sanguins et a maintenu le patient en vie afin qu’il puisse être transféré dans un plus grand hôpital, à Gander, à environ une heure et demie de là, puis transporté par avion à Saint-Jean de Terre-Neuve, a déclaré M. Tiller lors d’une récente entrevue.

Sans la salle d’urgence virtuelle, l’hôpital aurait été fermé, a-t-il déclaré.

M. Tiller souligne que cela sauvera des vies, même si ce n’est pas idéal, espérant que ce ne sera pas une solution permanente.

Comme de nombreux hôpitaux ruraux au Canada, le centre de santé de New-Wes-Valley a été en proie à des fermetures parce qu’il n’y avait ni médecins ni infirmières pour le maintenir ouvert. Il compte actuellement un médecin parmi son personnel qui ne couvre pas les urgences, a déclaré Mike Tiller. Normalement, l’établissement compterait six médecins, tous partageant les tâches d’urgences.

M. Tiller a déclaré que l’hôpital avait été si souvent fermé au début de l’année dernière qu’il craignait qu’il soit ne fermé pour de bon.

Rôle important des soins virtuels

Dans un effort pour maintenir ces centres de santé ouverts, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a offert plus d’argent aux médecins travaillant dans les hôpitaux ruraux, il a fait venir des médecins temporaires par avion et a instauré des services virtuels où les patients des hôpitaux plus petits et sans personnel pouvaient parler aux médecins de plus grandes installations.

En novembre, la province a signé un contrat de 22 millions $ sur deux ans avec Teladoc Health, dont le siège est dans l’État de New York, pour construire une «solution de soins virtuels» plus robuste pour les salles d’urgence rurales et pour les patients qui ont besoin de soins primaires, mais qui n’ont pas de médecin de famille.

Cette décision indique que les soins virtuels joueraient un rôle plus important dans les efforts du gouvernement visant à maintenir ouverts les hôpitaux ruraux. Le contrat, obtenu par La Presse Canadienne, indique que jusqu’à cinq salles d’urgence rurales recevraient les services de Teladoc à partir de novembre et jusqu’à 20 services d’urgences ruraux à partir de mars. Le service d’urgence virtuel a commencé à fonctionner à l’hôpital de New-Wes-Valley fin novembre.

Dans sa proposition aux responsables de la santé de Terre-Neuve-et-Labrador, l’entreprise affirme disposer d’un bassin de 350 médecins autorisés à exercer au Canada. Les médecins travaillant dans des salles d’urgence virtuelles résideront à l’extérieur de la province, mais seront autorisés à y travailler, a indiqué l’entreprise. Ils maintiendront les services d’urgences ruraux ouverts sept jours sur sept, 24 heures sur 24.

Des risques présents

Les pénuries de personnel entraînent un nombre record de fermetures de salles d’urgence en milieu rural partout au Canada et de plus en plus de provinces se tournent vers les soins virtuels pour les maintenir ouvertes, a déclaré le docteur Trevor Jain, urgentologue à l’Île-du-Prince-Édouard et porte-parole de l’Association canadienne des médecins d’urgence. Cette approche n’est pas sans risques, a-t-il déclaré.

«J’ai déjà entendu cet argument selon lequel certains soins valent mieux que pas de soins. Mais certains soins peuvent causer du tort s’ils ne sont pas effectués correctement», a déclaré le docteur Jain en entrevue. Les soins virtuels sont «extrêmement coûteux», a-t-il ajouté, et les responsables les considèrent souvent comme une «solution miracle» sans s’attaquer aux problèmes plus importants.

En fin de compte, les soins virtuels fonctionneraient mieux dans une situation hybride, aux côtés de médecins urgentistes sur place dans des hôpitaux bien dotés en personnel, a déclaré M. Jain. Il a ajouté que les provinces doivent continuer à travailler pour former et recruter des médecins et des infirmières qui travailleront dans les salles d’urgence rurales et pour renforcer les systèmes de soins de santé en dehors des salles d’urgence.

La docteure Jan Sommers est d’accord. Dans un système idéal, a-t-elle déclaré, les soins virtuels seraient principalement utilisés pour aider en période de pointe dans les services d’urgence déjà bien dotés en personnel. Mme Sommers est la cheffe des urgences du centre de santé Colchester East Hants de la Nouvelle-Écosse, qui a piloté le système VirtualEmergencyNS. Comme le système Teladoc, il utilise des médecins virtuels avec des professionnels de santé sur place qui agissent comme les mains du médecin.

Les soins virtuels tels qu’ils sont utilisés aujourd’hui au Canada sont relativement nouveaux — ils sont apparus pendant la pandémie de COVID-19 — et des questions subsistent quant à leur utilisation, a déclaré Mme Sommers.

À New-Wes-Valley, M. Tiller s’est dit reconnaissant que l’hôpital soit ouvert et sauve des vies, mais estime que les soins virtuels ont encore leurs inconvénients. Par exemple, les patients qui arrivent à la salle d’urgence virtuelle de la ville et qui ont besoin de soins prolongés doivent quand même être transférés à Gander, et les patients qui utilisent les soins virtuels pour des examens réguliers voient un médecin différent à chaque visite.

«Nous voulons avoir nos médecins ici», a-t-il déclaré.

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