L’IRIS dénonce le cercle vicieux de l’accès à la psychothérapie

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — L’accès aux services de psychothérapie au Québec est coincé dans un cercle vicieux que seule une intervention du gouvernement pourrait être en mesure de briser, prévient un nouveau rapport de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) du Québec.

Bien que la demande pour de tels services ait explosé au cours des dernières années, de nombreux Québécois qui en auraient besoin n’y ont tout simplement pas accès, que ce soit parce que les psychologues du réseau public sont complètement débordés ou parce que les patients n’ont pas les moyens de se tourner vers le privé, précise le document.

La situation est multifactorielle, explique l’IRIS. Dans un premier temps, les conditions de travail des psychologues du secteur public se sont tellement détériorées au fil du temps qu’ils sont de plus en plus nombreux à passer au privé, où on constate une flambée des frais exigés pour une consultation ― une hausse qui est notamment alimentée par l’afflux de patients qui peinent à obtenir des services du secteur public.

L’accès au service privé sera souvent réservé aux Québécois bien nantis ou armés d’une assurance privée qui leur permet de s’offrir l’aide dont ils ont besoin. Du côté du secteur public, quelque 21 000 personnes attendaient un service de santé mentale en 2022-2023, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux.

L’exode vers le privé augmente la charge de travail des psychologues qui demeurent au sein du secteur public, ce qui en incite inévitablement d’autres à quitter pour le privé, où les conditions de travail et les salaires sont autrement plus alléchants. Le salaire d’un psychologue qui travaille au privé serait 44 % plus élevé que celui de son collègue du côté public.

Le nombre de psychologues qui pratiquent au sein du réseau de la santé et des services sociaux est ainsi passé de 2500 en 2010 à moins de 2100 en 2022.

«On a quand même 400 psychologues de moins dans le réseau en termes absolus, alors que la population augmente et que les besoins augmentent, et ça, c’est très préoccupant», a dit l’auteure du rapport, la chercheuse Ève-Lyne Couturier.

On estime par ailleurs qu’environ la moitié des personnes habilitées à pratiquer la psychothérapie au Québec ont une pratique soit entièrement, soit partiellement privée.

Cet arrangement public-privé est problématique, estime l’IRIS: les cas les moins lourds et les plus rentables sont réservés au secteur privé alors que les cas les plus lourds et les plus coûteux sont pris en charge par le secteur public, avec tout ce que ça implique pour les conditions de travail et l’accès aux services dans le secteur public.

«La pénurie de psychologues dans le (réseau public) ne s’explique donc pas par des difficultés à former de nouveaux et nouvelles psychologues, mais plutôt par la difficulté à les retenir dans le réseau public, explique le rapport. Le marché privé oppose (…) une concurrence déloyale au secteur public.»

Des solutions

Face à cette situation, l’IRIS propose dans un premier temps d’élargir la couverture du régime d’assurance maladie du Québec aux soins de psychothérapie fournis au privé. Le rapport rappelle que de tels programmes ont été déployés avec succès au Royaume-Uni et en Australie au cours de la dernière décennie.

L’IRIS suggère aussi un nouvel encadrement par le gouvernement du marché de la psychothérapie, puisque «dans un contexte de crise de la santé mentale mise au jour par la pandémie de COVID-19, l’existence d’un marché privé non régulé de la psychothérapie est un obstacle à une allocation adéquate des ressources en santé mentale».

«Laisser le libre marché et les acteurs privés décider de l’allocation des soins en santé mentale représente un usage irrationnel et inéquitable de ressources rares et essentielles à la santé globale de la population», peut-on lire dans le document.

L’IRIS considère que le gouvernement pourrait s’inspirer des mesures mises en place pour encadrer la pratique privée des médecins, des mesures qui interdisent, par exemple, d’avoir une pratique privée parallèle à des activités rémunérées par la RAMQ.

«On voudrait que les psychologues soient obligés de choisir dans quel réseau ils veulent travailler, le public ou le privé, a dit Mme Couturier. Et comme pour les médecins, on voudrait interdire les assurances duplicatives. Les personnes qui veulent travailler dans le privé, elles ont le droit, pas de problème, mais il n’y aura pas d’assurances pour rembourser leurs services.»

De telles mesures, dit l’IRIS, créeraient un réseau similaire à celui de la médecine, avec un guichet unique où l’accès aux services de psychothérapie serait octroyé en fonction des besoins plutôt qu’en fonction des moyens et de l’accès à une assurance privée.

Le rapport souligne aussi l’importance de s’attaquer aux déterminants individuels et sociaux d’une bonne santé mentale, notamment le logement, le travail et la protection sociale.

Combattre des facteurs comme la pauvreté et l’insécurité économique, l’isolement social, la précarité alimentaire, l’endettement, les difficultés à se loger, les inégalités sociales et la criminalité favoriserait une meilleure santé mentale de la population en amont, dit l’IRIS, ce qui réduirait la demande pour des services en aval. Il en irait de même avec une amélioration des conditions de travail.

«C’est essentiel, a dit Mme Couturier. Même si tous les psychologues décidaient de travailleur dans le secteur public, on n’aurait quand même pas assez de professionnels pour répondre à la demande de la population.»

Il faut enfin ajouter à cette liste les changements climatiques.

Si le gouvernement québécois voulait réellement s’attaquer aux sources de stress qui causent des problèmes de santé mentale, il pourrait également adopter une stratégie de transition écologique ambitieuse qui diminuerait le sentiment d’impuissance généralisé chez les personnes souffrant d’écoanxiété, estime l’IRIS.

«Peu importe le nombre de psychologues qu’on ajoute dans la société ou dans le réseau public, on n’aura pas réglé la crise climatique», a rappelé Mme Couturier.

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