L’ex-premier ministre Brian Mulroney meurt à l’âge de 84 ans

La Presse Canadienne
L’ex-premier ministre Brian Mulroney meurt à l’âge de 84 ans

MONTRÉAL — Brian Mulroney, le «p’tit gars de Baie-Comeau», le fils d’ouvrier irlandais qui a gouverné le Canada pendant dix ans entre 1984 et 1993, s’est éteint à l’âge de 84 ans.

C’est sa fille Caroline Mulroney qui a annoncé la nouvelle jeudi, en fin d’après-midi sur le réseau social X.

Le 18e premier ministre du pays est mort paisiblement, entouré de sa famille, a-t-elle écrit. 

La famille de M. Mulroney avait indiqué l’été dernier que son état de santé s’améliorait de jour en jour après une intervention cardiaque qui avait suivi un traitement pour un cancer de la prostate au début de 2023.

Né le 20 mars 1939 à Baie-Comeau, sur la Côte-Nord, Martin Brian Mulroney se passionne très jeune pour les affaires et la politique, deux mondes qu’il fréquentera toute sa vie et dont il gravira tous les échelons.

Enfant, il voue une admiration sans bornes au colonel américain Robert R. McCormick, fondateur de sa ville natale et propriétaire de l’usine North Shore Paper Company, qui fabrique le papier sur lequel sont imprimés à l’époque les quotidiens «Chicago Tribune» et «New York Daily News».

Même si ses parents Benedict Mulroney et Mary Irene O’Shea sont anglophones, il fréquente l’école française parce que l’école anglaise du coin est protestante. Il se fait remarquer grâce à sa forte personnalité et son entregent.

À l’adolescence, ses parents l’envoient étudier au Nouveau-Brunswick. Il décroche un diplôme en science politique de l’université néo-écossaise de St. Francis-Xavier avant de revenir au Québec faire son droit. Il est admis au Barreau de la province en 1965.

Brian Mulroney est immédiatement recruté par le bureau montréalais de la firme Howard Cate Ogilvy — devenue Ogilvy Renaud — où il se spécialise en droit du travail.

À la demande de Paul Desmarais, il participe au règlement du conflit à La Presse en 1972. À la même époque, il négocie aussi pour la partie patronale la première convention collective du Journal de Montréal.

Commission Cliche

La Commission sur la liberté syndicale dans l’industrie de la construction le fait connaître du grand public à l’automne 1974. M. Mulroney y siège aux côtés de son ancien professeur Robert Cliche et de Guy Chevrette qui est alors président de la Centrale des enseignants du Québec. Il se forge une réputation de justicier sans peur et sans reproche.

Deux ans plus tard, en 1976, il fait le saut en politique active en se présentant notamment contre Claude Wagner et Joe Clark à l’investiture du Parti progressiste-conservateur (PCC) à la suite de la démission de Fred Stanfield, qui venait d’essuyer trois revers électoraux consécutifs contre Pierre Trudeau.

Même s’il travaille en coulisse depuis des années, Brian Mulroney n’a jamais siégé au Parlement. Son inexpérience et son programme politique qu’on dit sans substance lui nuisent beaucoup.

Il se classe troisième au congrès et refuse de se ranger derrière l’un ou l’autre de ses principaux adversaires. L’aventure le laissera amer. Il décide de s’éloigner de la politique pendant un moment.

Fermer Schefferville

Brian Mulroney devient président de l’Iron Ore (IOC), une compagnie minière qui exploite entre autres des installations à Schefferville, un village minier aménagé au début des années 1950 à la frontière du Québec et du Labrador.

«J’avais accepté la présidence de l’Iron Ore parce que j’avais décidé de changer mon fusil d’épaule, avait-il expliqué au journaliste Guy Gendron, auteur d’une biographie. C’était une occasion pour moi de faire autre chose moyennant une excellente compensation et des possibilités économiques qui n’existent pas dans les boîtes d’avocat.»

L’IOC perd de l’argent depuis des années et les relations de travail y sont très difficiles. En dix ans, 59 arrêts de travail, dont deux grèves, ont paralysé les activités de l’entreprise.

Brian Mulroney entreprend d’y faire le grand ménage. Il supprime des milliers d’emplois et annonce la fermeture définitive de la mine de Schefferville en 1982.

Grâce à son tact, l’homme d’affaires réussit pourtant à faire accepter cette décision par la population québécoise qui ne lui en tiendra clairement pas rigueur.

Ottawa par la grande porte

Il quitte son poste en 1983, après sept ans, et annonce sa candidature à la direction du Parti progressiste-conservateur. Cette fois-là, il est prêt. Il promet de livrer le Québec. Le 11 juin 1983, Brian Mulroney bat Joe Clark par moins de 300 voix.

Il se fait élire dans le comté de Central Nova, en Nouvelle-Écosse, et fait son entrée à la Chambre des communes. John Turner, qui a succédé à Pierre Trudeau à la tête du Parti libéral, déclenche des élections qui auront lieu le 4 septembre 1984.

Le «p’tit gars de Baie-Comeau» choisit alors de tenter sa chance dans la région de son enfance en se présentant dans la circonscription de Manicouagan qui comprend entre autres les villes de Baie-Comeau et Sept-Îles ainsi que… Schefferville!

Il fait mentir les sombres pronostics de son équipe en battant son plus proche rival par 18 000 voix.

À l’instar de la Côte-Nord, le Canada se teinte de bleu après une vingtaine d’années de règne libéral, à l’exception des quelques mois au pouvoir de Joe Clark en 1979-1980. Les progressistes-conservateurs raflent 211 sièges sur 282, dont 58 au Québec. Brian Mulroney a tenu sa promesse de livrer la Belle Province. Il vient du même coup de réaliser son rêve de devenir premier ministre du Canada.

Il a alors 44 ans. Il est marié depuis 1973 à Mila Pivnicki, une immigrante yougoslave de 15 ans sa cadette qui milite depuis toujours pour le Parti progressiste-conservateur. Le couple a déjà trois enfants: Caroline (1974), Benedict (1976) et Mark (1976). Un quatrième, Nicholas, naîtra l’année suivante alors que la famille est installée au 24, Sussex.

Le pouvoir

Le premier mandat des conservateurs est entaché par quelques scandales dont celui du thon avarié et l’affaire Oerlikon. Les démissions s’accumulent, mais le premier ministre maintient le cap.

Il croit toujours possible de faire rentrer le Québec dans la fédération canadienne dans «l’honneur et l’enthousiasme». En 1987, il réussit même à signer avec ses homologues des provinces l’Accord du lac Meech.

Mais l’Accord sera torpillé par ses opposants en 1989. Il aura tout tenté pour le sauver, au prix de son amitié avec Lucien Bouchard qu’il avait recruté et nommé ministre de l’Environnement. Celui-ci refuse tout compromis et quitte le gouvernement avec fracas.

M. Mulroney prétendra toujours que c’est plutôt lui qui avait congédié M. Bouchard. 

Il reprend le bâton du pèlerin et relance les discussions constitutionnelles avec les provinces, les territoires et les leaders autochtones. Le 28 août 1992, une deuxième entente est conclue à Charlottetown. Mulroney déclenche un référendum au Canada anglais sur cet accord pendant que le Québec organise le sien. Le 26 octobre, le verdict populaire tombe comme une guillotine: le Non l’emporte, tant au Québec que dans une majorité de provinces.

En 1988, il avait été réélu en faisant la promotion d’un accord de libre-échange avec les États-Unis conclu plus tôt cette année. L’idée divise beaucoup l’électorat, mais finalement, l’appui massif du Québec fait pencher la balance du côté des progressistes-conservateurs.

Les troupes de Brian Mulroney en sortent un peu amochées et perdent une trentaine de députés, mais elles se maintiennent au pouvoir.

Au cours de son deuxième mandat, d’autres mesures seront fort impopulaires, notamment la participation canadienne à la première guerre du Golfe et l’adoption de la taxe sur les produits et services (TPS).

M. Mulroney démissionne le 24 février 1993. Celle qui lui succédera, Kim Campbell, ne pourra pas empêcher la dégringolade de son parti aux élections suivantes, les progressistes-conservateurs ne gardant que deux sièges.

Après s’être retiré de la politique, Brian Mulroney renoue avec le droit et retourne travailler à l’étude Ogilvy Renaud pour le compte de laquelle il conseille plusieurs grandes compagnies et organisations.

L’affaire Mulroney-Schreiber

Critiqué par les médias canadiens-anglais, qui le décrivent régulièrement comme un homme vain, dépensier et corrompu, Brian Mulroney rêvait d’être «réhabilité» par les historiens.

Sa réputation et son legs ont toutefois été irrémédiablement entachés par ce qu’il convient d’appeler «l’affaire Mulroney-Schreiber», qui lui a même valu d’être ostracisé de son parti par le premier ministre Stephen Harper.

Après des années de déni, Brian Mulroney a été forcé d’admettre en 2007 qu’il avait accepté au moins 275 000 $ en argent comptant du marchand d’armes germano-canadien Karlheinz Schreiber et qu’il avait tardé à déclarer ce revenu au fisc.

L’ex-politicien, contrit, a déclaré à plusieurs reprises qu’il s’agissait de «la pire erreur» de sa carrière et que toute cette histoire les avait beaucoup fait souffrir, sa famille et lui.

Après d’innombrables enquêtes journalistiques, une étude en comité parlementaire et une commission d’enquête, la raison de ce paiement demeure nébuleuse.

Brian Mulroney a toujours soutenu qu’il s’agissait d’un paiement pour ses services de démarchage sur la scène internationale, tandis que Schreiber affirme qu’il avait embauché Brian Mulroney pour lui ouvrir les portes des bureaux de ministres à Ottawa.

La Gendarmerie royale du Canada a enquêté sur la possibilité qu’il s’agisse d’un pot-de-vin pour l’achat d’appareils Airbus par Air Canada, à la fin du règne conservateur. Aucune accusation n’a été portée et le gouvernement fédéral a été tenu de s’excuser pour la manière dont il avait traité son ancien chef.

Karlheinz Schreiber a été déporté en Allemagne à l’été 2009 à la demande des autorités qui l’ont accusé de corruption et d’évasion fiscale, entre autres.

Malgré ses ennuis avec la justice et le gratin politique, Brian Mulroney a toujours conservé l’estime et l’amitié de certains collaborateurs, dont ses anciens ministres Jean Charest, Michael Wilson et Jean-Pierre Blackburn, qui ont célébré en grande pompe le 25e anniversaire de la victoire électorale de 1984.

M. Mulroney était compagnon de l’Ordre du Canada depuis 1988 et grand officier de l’Ordre national du Québec en 2002.

En 2016, il se fait décerner la Légion d’honneur française.

Autre récompense: il reçoit en 2007 un doctorat honoris causa de l’Université Laval. 

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