Les libéraux sont divisés sur la requête sud-africaine concernant un génocide à Gaza

Dylan Robertson, La Presse Canadienne
Les libéraux sont divisés sur la requête sud-africaine concernant un génocide à Gaza

OTTAWA — Les députés libéraux fédéraux sont divisés sur la position que le Canada devrait adopter face aux pressions de l’Afrique du Sud visant à ce qu’Israël soit poursuivi pour génocide dans le cadre de sa guerre à Gaza, alors que le gouvernement canadien reste muet sur cette question.

La Cour internationale de justice commencera jeudi, à La Haye, à entendre la requête introductive d’instance de l’Afrique du Sud. Pretoria affirme que le bombardement généralisé de Gaza par Israël et le siège des Palestiniens qui y vivent «revêtent un caractère génocidaire».

Dans sa requête, l’Afrique du Sud affirme qu’Israël a exprimé «l’intention spécifique requise (…) de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens». 

Pretoria affirme aussi que certaines déclarations de responsables israéliens sont la preuve d’une intention génocidaire. L’Afrique du Sud demande au plus haut tribunal des Nations unies d’ordonner à Israël de mettre fin à ses attaques contre Gaza.

Israël a qualifié ces allégations de «dégoûtantes» et de «non fondées».

La Cour internationale de justice entendra les plaidoiries de l’Afrique du Sud jeudi et celles d’Israël vendredi.

Le gouvernement canadien n’a pas exprimé jusqu’ici de position sur cette affaire. Le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, n’a pas répondu immédiatement mercredi lorsqu’on lui a demandé si le Canada prendrait position dans ce dossier.

Le Canada a généralement évité de traduire Israël devant les tribunaux internationaux, arguant que cela saperait les tentatives visant à amener Israéliens et Palestiniens à négocier directement une paix durable.

Ottawa a soulevé cet argument en juillet dernier lorsqu’il a demandé à la Cour internationale de justice de ne pas formuler d’avis consultatif sur la légalité de l’occupation israélienne des territoires palestiniens, malgré l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une résolution réclamant un tel avis juridique.

Les États-Unis ont rejeté la requête de l’Afrique du Sud, qualifiant l’initiative de diversion «sans fondement», mais la France a déclaré qu’elle soutiendrait toute décision que prendrait la Cour internationale de justice.

Des députés libéraux divisés

La députée libérale Salma Zahid souhaite que son gouvernement soutienne la requête de l’Afrique du Sud. Elle estime que le Canada devrait «donner un sens» à ses appels à toutes les parties dans cette guerre pour qu’elles respectent le droit international.

Elle a noté que certaines agences humanitaires affirment que la conduite d’Israël limite l’accès à Gaza aux nécessités de la vie et a provoqué un déplacement massif des Palestiniens qui y vivent.

«Ces accusations méritent d’être entendues dans le cadre juridique approprié», a écrit Mme Zahid.

Mais les députés libéraux Marco Mendicino et Anthony Housefather affirment tous deux que la requête sud-africaine est «sans fondement et inadmissible», parce qu’Israël tente simplement d’empêcher les militants du Hamas de répéter l’horrible agression du 7 octobre dernier.

Ce plus récent conflit à Gaza a effectivement commencé lorsque des combattants du Hamas ont franchi les barrières frontalières dans le sud d’Israël et attaqué plusieurs communautés, tuant 1200 personnes et prenant des dizaines de personnes en otages, dont des enfants.

Israël a immédiatement répliqué par la force militaire, notamment en lançant des tirs de roquettes incessants et en coupant la bande de Gaza de ses approvisionnements, notamment en nourriture, en médicaments et en électricité. 

La riposte israélienne à Gaza a tué jusqu’ici plus de 23 200 Palestiniens, soit environ un pour cent de la population du territoire, selon le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas. Environ les deux tiers des morts sont des femmes et des enfants. Le bilan des morts ne fait pas de distinction entre combattants et civils.

Le Hamas a libéré plus de cent otages fin novembre lors d’un cessez-le-feu temporaire, qui a pris fin lorsqu’Israël a accusé le Hamas d’avoir tiré une roquette et d’avoir violé son accord prévoyant la libération de toutes les femmes retenues en otages. Israël croit que plus de 100 otages sont toujours détenus par le Hamas à Gaza.

«Situation perverse»

Les députés Mendicino et Housefather soulignent le point de vue de Rosalie Abella, juge à la retraite de la Cour suprême, qui a écrit cette semaine dans un article d’opinion du Globe and Mail que «cette affaire représente un abus scandaleux et cynique des principes qui sous-tendent l’ordre juridique international mis en place après la Deuxième Guerre mondiale».

Mme Abella dénonce «la situation perverse» par laquelle le Hamas commet un génocide contre Israël, qui doit ensuite se défendre contre les attaques des militants et contre les allégations de génocide.

La porte-parole néo-démocrate en matière d’affaires étrangères, Heather McPherson, a écrit mardi à la ministre Joly pour lui demander «de ne pas intervenir» contre la requête sud-africaine et d’appuyer la décision de la Cour internationale. Elle a souligné que c’était là la position adoptée par la France.

Le haut-commissaire de l’Afrique du Sud à Ottawa, Rieaz Shaik, encourage le Canada à soutenir cette requête, mais a déclaré qu’il n’avait pas rencontré de députés libéraux depuis que son pays a déposé sa demande à La Haye le 29 décembre.

«L’Afrique du Sud a entendu les cris d’angoisse insupportables des innocents, venant des champs de bataille de Gaza et de la Palestine dans son ensemble», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse virtuelle mercredi midi.

«Nous devons agir pour mettre un terme immédiat et urgent à ce massacre brutal, systématique et organisé de civils palestiniens. Ne pas le faire, c’est (…) violer nos valeurs profondément enracinées.»

L’ambassadrice palestinienne au Canada, Mona Abuamara, a déclaré que cette cause pourrait «briser ce syndrome de victime qu’Israël impose à tout le monde», en justifiant ses actions par les menaces de sécurité afin d’échapper au droit international, selon elle. Mme Abuamara pense que l’occupation des territoires palestiniens par Israël conduit à un cycle de violence sans fin.

«Ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem, ce ne sont pas des actions aléatoires et impromptues, mais des mesures systématiques et progressives qui répondent à l’objectif global de créer une terre sans population», a-t-elle déclaré mercredi. «Le peuple palestinien est déshumanisé chaque jour, et cette déshumanisation a commencé bien avant le 7 octobre.»

Des participants à la discussion virtuelle de mercredi ont souligné que dans sa requête, l’Afrique du Sud «condamnait sans équivoque toutes les violations du droit international commises par toutes les parties, y compris le ciblage direct de civils israéliens et d’autres ressortissants et la prise d’otages par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens».

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