Le député Han Dong savait que des étudiants étrangers étaient venus voter pour lui

Laura Osman et Dylan Robertson, La Presse Canadienne
Le député Han Dong savait que des étudiants étrangers étaient venus voter pour lui

OTTAWA — L’ancien député libéral Han Dong a rencontré des étudiants étrangers venus de Chine et les a encouragés à s’inscrire comme membres du Parti libéral lors de sa course à l’investiture en 2019 – mais le député n’en a pas parlé à l’enquête fédérale en cours sur l’ingérence étrangère jusqu’à ce qu’il se présente à la barre mardi. 

Cette révélation a été faite lors de l’audience publique de M. Dong à la Commission d’enquête sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux, qui a répondu à des allégations non prouvées selon lesquelles la Chine aurait altéré le processus de nomination de M. Dong en exerçant des pressions sur des étudiants étrangers.

Le député fédéral a quitté le caucus libéral à la suite de reportages soutenant qu’il aurait volontairement participé à l’ingérence chinoise et qu’il aurait remporté son siège torontois avec l’aide de Pékin aux élections générales de 2019.

M. Dong, qui siège maintenant comme député indépendant aux Communes, nie ces allégations et il a intenté une poursuite contre Global News et sa société mère, Corus Entertainment.

Global alléguait dans ses reportages que des étudiants chinois munis de fausses adresses avaient été emmenés en autobus à l’assemblée d’investiture libérale dans la circonscription torontoise de Don Valley North et qu’ils avaient été contraints de voter pour la candidature de M. Dong s’ils ne voulaient pas perdre leur visa d’étudiant étranger.

Les allégations apparaissent également dans un résumé déclassifié de renseignements gouvernementaux non confirmés qui a été publié dans le cadre de l’enquête fédérale.

«Les informations rapportées après les élections ont indiqué que des menaces voilées avaient été émises par le consulat (de la République populaire de Chine) à l’encontre des étudiants internationaux chinois», peut-on lire dans le résumé.

Ces renseignements impliquaient que «leurs visas d’étudiant seraient menacés et qu’il pourrait y avoir des conséquences pour leurs familles restées en RPC s’ils ne soutenaient pas Han Dong».

Le rapporteur spécial David Johnston avait constaté en mai 2023 dans son rapport que des «irrégularités» avaient été observées dans la nomination de M. Dong en 2019. M. Johnston faisait état de «soupçons bien fondés que les irrégularités étaient liées au consulat [chinois] de Toronto, avec lequel M. Dong entretient des liens», mais que M. Dong n’était pas au courant de ces enjeux. 

Il s’est avéré que M. Dong a rencontré des étudiants internationaux d’une école privée appelée NOIC Academy lors de sa bataille pour l’investiture dans leur résidence du Seneca College, a-t-il confirmé mardi à la commission.

Il a encouragé les étudiants, qui parlaient principalement le mandarin, à se porter volontaires pour sa campagne et à voter dans sa course pour l’investiture, a-t-il déclaré.

Il n’avait pas évoqué cette rencontre avec les avocats chargés de l’enquête lors de son entretien en février.

M. Dong a également négligé de mentionner qu’un autobus rempli d’étudiants internationaux s’est présenté pour voter pour sa nomination – même s’il a affirmé qu’il ne l’avait pas vu lui-même. Il a dit qu’on lui avait parlé de l’autobus et qu’il avait présumé qu’il avait été organisé par l’école elle-même.

«Je n’ai pas prêté attention au transport en autobus des étudiants internationaux parce que… je ne l’ai pas compris comme une irrégularité», a-t-il soutenu.

Le directeur de campagne de M. Dong, Ted Lojko, a déclaré qu’il ne savait rien de l’autobus rempli d’étudiants.

L’avocat de la commission a demandé à M. Dong pourquoi il n’avait pas fourni l’information avant lundi, mais le député a expliqué que sa femme ne le lui avait rappelé qu’après son entretien avec la commission.

Il a décidé de faire part à la commission des informations supplémentaires après une récente discussion avec son avocat, a-t-il indiqué.

«La campagne a duré une courte période et j’ai contacté autant de groupes que possible», a témoigné M. Dong.

Il n’est pas illégal pour les étudiants internationaux de voter pour les candidatures libérales, à condition qu’ils puissent prouver qu’ils habitent dans la circonscription. M. Dong a nié savoir que les étudiants avaient utilisé des documents falsifiés pour voter pour l’investiture.

«Je serais le premier à le condamner. Je pense que c’est une insulte à notre système démocratique», a-t-il déclaré.

Les travaux de la commission d’enquête visent à identifier une possible ingérence étrangère de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou d’autres pays lors des deux dernières élections générales fédérales.

Pas d’irrégularités, selon le directeur du PLC

Le directeur national du Parti libéral du Canada (PLC), Azam Ishmael, a nié mardi toute irrégularité dans les procédures de nomination, malgré les conclusions contraires du rapporteur Johnston. «La seule chose qui me surprend un peu, c’est que cela a été organisé par le collège, puisqu’il s’agissait d’un événement politique partisan», a déclaré M. Ishmael.

M. Ishmael a assuré que les règles et procédures de nomination au PLC étaient généralement efficaces pour éliminer les tentatives d’ingérence.

M. Dong a également été interrogé sur une conversation qu’il a eue en 2021 avec un responsable consulaire chinois au sujet de la détention des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor dans le contexte des relations sino-canadiennes.

Un résumé de renseignements déclassifiés et non prouvés suggère que M. Dong a déclaré au responsable chinois que si la Chine devait libérer les «deux Michael», les partis d’opposition y verraient la preuve qu’une approche canadienne dure à l’égard de la Chine fonctionnait.

M. Dong a dit qu’il ne se souvenait pas de la conversation et a affirmé que cette allégation particulière n’avait aucun sens.

Dans son rapport final, M. Johnston concluait que M. Dong ne préconisait pas la détention prolongée des deux Canadiens.

L’ingérence étrangère n’était pas vraiment une priorité pour les partis lors des deux dernières élections, a appris la commission mardi.

Tous les partis se sont vu proposer des séances d’information par le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, mais la plupart des représentants ont déclaré que les séances d’information contenaient peu d’informations sur les menaces spécifiques.

La commission d’enquête, dirigée par la juge québécoise Marie-Josée Hogue, s’attend à entendre les témoignages de plus de 40 personnes, dont des membres de la communauté, des représentants de partis politiques et des responsables des élections fédérales.

Le premier ministre Justin Trudeau, des ministres et divers hauts responsables du gouvernement devraient également témoigner aux audiences publiques, qui devraient se terminer le 10 avril. Un premier rapport sur les conclusions de la commission est attendu le 3 mai.

L’enquête de la commission Hogue s’orientera ensuite vers des questions politiques plus larges, en examinant la capacité du gouvernement à détecter, dissuader et contrer l’ingérence étrangère. Un rapport final est attendu d’ici la fin de l’année.

Note aux lecteurs: Dans le 1er para. d’une ancienne version de ce texte, il était écrit que la course à l’investiture était en 2021, mais elle était plutôt en 2019.

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