Des avocats réclament plus de transparence de la part des prisons provinciales

Sarah Smellie, La Presse Canadienne
Des avocats réclament plus de transparence de la part des prisons provinciales

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — C’est peu de temps après qu’un autre décès ait été confirmé dans une prison réputée pour être dure de Terre-Neuve que Bob Buckingham a écrit à ses confrères avocats de la défense pour leur demander ce qu’ils pouvaient faire pour mieux défendre les intérêts des détenus.

Ce décès du mois d’août, qui, selon des sources, était un suicide, était au moins le septième depuis 2017 dans les prisons de la province, qui, entre 2010 et 2020, avait le taux de suicide de détenus le plus élevé du Canada atlantique.

Les juges de Terre-Neuve-et-Labrador ont récemment réduit les peines d’au moins deux détenus du pénitencier de Sa Majesté à St-Jean dans des décisions écrites cinglantes condamnant les infestations de rongeurs et de moisissures dans cette prison vieille de 164 ans et son infrastructure en ruine. 

Me Buckingham souhaite que les avocats soulèvent ces conditions plus souvent lors des plaidoiries et donnent ainsi aux juges plus d’occasions de prendre position, ce qui, espère-t-il, fera pression sur le gouvernement provincial pour qu’il apporte des changements.

«Il doit y avoir une volonté politique pour faire quelque chose pour changer la façon dont les choses fonctionnent et pour introduire les principes de justice fondamentale dans le système carcéral à l’égard des détenus, a déclaré l’avocat dans une entrevue. Ils doivent avoir une opportunité fondamentale de contester ce qui se passe, de contester les mauvaises conditions.»

«Un système fermé»

Contrairement au système correctionnel fédéral, il n’existe souvent aucune surveillance indépendante des prisons provinciales au Canada. Les prisons fédérales sont surveillées par le Bureau de l’enquêteur correctionnel et le Service correctionnel du Canada publie des statistiques sur les décès de détenus. L’agence alerte la presse chaque fois qu’un détenu décède, et les décès qui ne sont pas dus à des causes naturelles font l’objet d’une enquête par une équipe de quatre membres et d’un rapport.

Dans certaines provinces, notamment à Terre-Neuve-et-Labrador, le ministère provincial de la Justice ne confirme souvent publiquement le décès d’un détenu que si les médias demandent des informations. Le public n’apprend souvent les suicides derrière les barreaux que si la famille s’exprime.

Ceules certaines provinces, dont la Colombie-Britannique, lancent des enquêtes automatiques sur les décès de détenus qui ne sont pas manifestement attribuables à des causes naturelles.

«Dans la plupart des prisons provinciales, ce que vous regardez est un système fermé», a déclaré Corey Shefman, avocat torontois spécialisé dans les droits de la personne, qui représente exclusivement des personnes et des organisations autochtones. 

«De manière générale, les seules personnes qui savent ce qui se passe dans les prisons provinciales sont les détenus, les gardiens et les avocats de la défense. Et personne n’écoute les détenus. Il y a donc un réel manque de responsabilité», a-t-il ajouté.

C’est particulièrement préoccupant, a déclaré Me Shefman, car une grande proportion de détenus dans les prisons provinciales sont en détention provisoire, ce qui signifie qu’ils attendent leur procès et n’ont pas été reconnus coupables. Cela est également très préoccupant, car les Autochtones sont représentés de manière disproportionnée dans les prisons provinciales, a-t-il déclaré, ajoutant que dans certaines provinces des Prairies, plus de 80% des détenus des établissements correctionnels provinciaux sont autochtones.

«À cela s’ajoute le fait que dans la plupart des établissements correctionnels provinciaux, il n’y a pas de véritable programme de réadaptation, contrairement au système fédéral,» a-t-il ajouté.

Transparence réclamée

Me Shefman estime que les prisons provinciales devraient implanter une surveillance similaire à celle qui existe au niveau fédéral.

« Il faut qu’il y ait quelqu’un d’indépendant, comme l’enquêteur correctionnel fédéral, qui puisse demander des comptes à ces systèmes », a-t-il déclaré, ajoutant que la plupart des provinces ont un ombudsman ou un représentant des citoyens, mais qu’ils n’ont pas beaucoup de pouvoir.

Jen Metcalfe, directrice exécutive des Prisoners’ Legal Services, une clinique de Colombie-Britannique, affirme que les provinces devraient au moins être tenues de publier des données sur les décès survenus dans leurs prisons, y compris la cause du décès, la race du détenu décédé et les circonstances du décès, par exemple s’ils avaient récemment passé du temps en isolement cellulaire.

Les services d’aide juridique au Canada atlantique et dans les provinces des Prairies sont notoirement sous-financés, a déclaré Mme Metcalfe. Mais ce n’est pas le cas en Colombie-Britannique; son organisation est soutenue par Legal Aid BC et c’est l’une des seules cliniques au Canada créée spécifiquement pour offrir des services juridiques gratuits liés à l’incarcération et aux droits des détenus.

Mme Metcalfe a déclaré que son organisation entendait environ 1000 personnes incarcérées chaque année. Cela peut aider à résoudre des problèmes individuels et pousser à un changement systémique, a-t-elle déclaré. De cette façon, il fonctionne un peu comme un organisme de surveillance indépendant des prisons de la province et contribue à mettre en lumière des conditions qui autrement passeraient inaperçues.

Bob Buckingham a déclaré avoir reçu une réponse « tiède » à son appel à faire mieux, mais il s’attend à ce qu’environ six avocats se réunissent ce mois-ci pour discuter de ce qu’ils peuvent faire.

Il aimerait au moins voir des enquêtes automatiques ou des enquêtes sur les décès dans les prisons de la province. «Nous avons eu assez de morts» a-t-il déclaré. Mais il espère que les avocats lanceront un effort coordonné pour provoquer un changement systémique.

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador promet de remplacer le pénitencier de Sa Majesté, a noté Me Buckingham, mais il affirme que sans changements fondamentaux dans l’approche de la province en matière correctionnelle, «tout ce que nous faisons avec un nouvel établissement, c’est transporter un mauvais système dans un nouveau bâtiment.»

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