Un règlement freine le développement des entreprises

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Par Stéphanie MacFarlane
Un règlement freine le développement des entreprises
(Photo : Archives - Le Canada Français)

Un règlement adopté il y a un peu plus de trois ans par le conseil municipal de Saint-Jean-sur-Richelieu exige qu’au moins 20% de la superficie d’un terrain commercial ou industriel soit recouverte d’espaces verts. Une demande qui est loin de plaire aux manufacturiers puisque ça les freine dans leur développement. Certains, comme Tremcar, ont d’ailleurs dû opter pour prendre de l’expansion ailleurs qu’à Saint-Jean, faute d’espace disponible.

À l’automne 2018, les élus ont adopté un règlement qui a eu pour effet d’ajouter des normes écologiques aux règles de zonage de la Ville. Deux des nouveaux articles imposent aux commerces et industries, à l’exception des adresses situées au centre-ville, de respecter de nouvelles dispositions relatives aux espaces verts.

Elles exigent que «les aires recouvertes de pelouse, de plantes de couvre-sol, d’arbres, d’arbustes ou pourvues d’aménagements paysagers doivent occuper au moins 20% de la superficie du terrain». Les nouvelles constructions et les agrandissements y sont assujettis. «C’est le pire règlement qui existe sur la planète», réagit Daniel Tremblay, le président de Tremcar.

Tremcar

Le manufacturier de remorques et de citernes a un agrandissement de 32 000 pieds carrés dans ses cartons pour son usine située dans le parc industriel d’Iberville. Mais faute de pouvoir le réaliser, il prévoit des superficies supplémentaires à ses autres sites.

«Je suis obligé d’agrandir à Saint-Césaire et ailleurs, et pas à Saint-Jean. J’envoie mes emplois ailleurs. On en a prévu 150 de plus pour Granby et Saint-Césaire. Ma famille est dans la région depuis plus de 100 ans et on n’est pas capable d’agrandir notre usine à Saint-Jean à cause d’un règlement», poursuit M. Tremblay.

Ce dernier a besoin d’espace d’entreposage sur son terrain, ce qui rend l’atteinte du ratio de 20% de verdure irréaliste. «De plus, il manque de terrains industriels à Saint-Jean. On vient créer une rareté supplémentaire qui fait monter les prix. Les projets sont donc moins rentables et ça nuit à la création d’emplois», enchaîne-t-il.

Soleno

Tremcar n’est pas la seule entreprise johannaise à avoir besoin d’entreposage extérieur. Soleno a un grand besoin en ce sens et la compagnie est déjà très à l’étroit sur son terrain de la route 133. «J’aurais besoin d’un million de pieds carrés», expose le président Alain Poirier.

Or, une telle superficie n’existe pas à Saint-Jean. «Je dois acheter des parties de lots qui sont disponibles», enchaîne M. Poirier. Depuis 2018, il a pu acquérir deux terrains totalisant environ 320 000 pieds carrés dans le parc industriel d’Iberville. Alain Poirier a appris l’existence de ce règlement l’automne dernier, quelques semaines après avoir fait l’acquisition du second site.

Déjà, ajoute-t-il, la Ville exige que le bâtiment occupe minimalement 20% de la superficie du terrain. «Et en plus, on me demande 20% de verdure, poursuit l’entrepreneur. Autrement dit, ça représente presque 50% de l’achat pour deux affaires dont je n’ai pas tout à fait besoin», indique M. Poirier. Ce dernier précise avoir besoin de chaque pied carré qu’il achète.

En manque d’espace, Soleno s’éloigne. L’entreprise vient d’acquérir un terrain de 600 000 pieds carrés en Ontario. Elle regarde aussi du côté des États-Unis pour y acheter un lot. «Ce n’est pas nécessairement néfaste. Je minimise les risques. Je ne suis pas en guerre contre la Ville. Ça fait plutôt partie de la croissance de l’entreprise», nuance M. Poirier.

Aucune expansion

Le propriétaire de Transport Bourassa, Jean Bourassa a sonné l’alarme auprès de la Ville, mais aussi des autres industriels, après avoir pris connaissance du règlement en décembre 2020. Il le dénonce d’ailleurs avec ferveur, notamment parce qu’il freine la croissance des entreprises. «Je suis allé sur Google Maps pour voir qui pouvait agrandir son entreprise à Saint-Jean-sur-Richelieu en respectant le 20% d’espaces verts. La réponse? Quasiment personne», relate-t-il.

Michel Milot, directeur général de la Chambre de commerce et de l’industrie du Haut-Richelieu, abonde dans le même sens. Il est d’avis que des solutions doivent être trouvées pour compenser. Des entrepreneurs ont des propositions (voir autre texte).

Avec le règlement actuel, Jean Bourassa ne peut pas agrandir ses installations. À ses yeux, un parc industriel n’est pas un endroit où planter des arbres en quantité. «Pour la bâtisse que je construis au coin de Gaudette et d’Industriel, la Ville me dit que ça me prend 20% d’espace vert. On est à 1,93% ici. Ma cour est pleine de remorques. Si elle m’oblige à avoir des espaces verts, il faut que je mette mes remorques ailleurs», dit-il.

Le Canada Français a formulé une demande d’entrevue à la Ville. Cette dernière a plutôt transmis le communiqué de presse envoyé aux médias en 2018. Elle précise que le sujet est présentement discuté et qu’elle sera en mesure d’en dire plus prochainement.

Diverses solutions proposées pour dénouer l’impasse

S’ils dénoncent vivement le règlement exigeant qu’une superficie minimale de 20% d’un terrain soit réservée aux espaces verts, les industriels interviewés par Le Canada Français ont diverses propositions pour favoriser l’environnement sans nuire au développement économique. De son côté, la mairesse Andrée Bouchard indique qu’une analyse est en cours.

Le président de Tremcar, Daniel Tremblay, souhaite que la Ville laisse la chance aux entrepreneurs d’être créatifs en fonction de leur situation. Planter des arbres, être carboneutre, récupérer les eaux usées, ériger un toit blanc, installer des panneaux solaires, diminuer le bruit et la poussière, les possibilités sont multiples.

«Toutes les entreprises ont des besoins différents et des réalités différentes. Il faut laisser l’entrepreneur choisir la façon dont il va aider la planète et améliorer son empreinte carbone. Qu’on amène ça de façon constructive et qu’on donne à l’entrepreneur une panoplie de solutions afin qu’il travaille son projet en fonction de sa réalité. Il faut attaquer ça avec de la créativité et non pas avec un règlement qui attache les mains», indique M. Tremblay.

Toit vert

De son côté, Alain Poirier, président de Soleno, a pensé à un toit vert. «Si la superficie de ma bâtisse occupe 20% de mon terrain et que je mets un toit vert, en principe, ça fait la même chose. Je suis en faveur de l’environnement. Je me suis informé. Un toit vert coûte environ 8% plus cher», dit-il.

Jean Bourassa suggère, pour sa part, que la Ville permette aux entreprises de remplacer le bitume par une bâtisse. «Je ne veux pas enlever les espaces verts existants de mon terrain. Mais peut-on au moins remplacer de l’asphalte par de l’asphalte? Que l’asphalte soit au sol pour y stationner des camions ou sur le toit, c’est encore de l’asphalte», dit-il.

Révision

La mairesse Andrée Bouchard a appris l’existence de ce règlement lors de la campagne électorale. Elle a demandé au Service de l’urbanisme, de l’environnement et du développement durable de le réviser. «On ne va pas nécessairement enlever le 20% d’espaces verts dans le but de lutter contre les changements climatiques, mais on va regarder d’autres alternatives», souligne-t-elle.

Mme Bouchard est d’avis que l’objectif derrière la mise en place de ce règlement était noble. «Mais le pratico-pratique n’avait pas nécessairement été évalué», ajoute la mairesse. Elle indique que des solutions doivent être trouvées pour réaliser les objectifs de développement durable et de développement économique.

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