Une étude canadienne révèle une hausse de la mortalité des requins

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Une étude canadienne révèle une hausse de la mortalité des requins

MONTRÉAL — Les mesures adoptées au cours des dernières années pour interdire le prélèvement d’ailerons de requins ont été accompagnées d’une hausse de la mortalité due à la pêche de ces prédateurs, révèle une étude à laquelle ont contribué plusieurs chercheurs canadiens.

L’étude publiée par la prestigieuse revue Science indique ainsi que la mortalité est passée de 76 millions à 80 millions de requins par année entre 2012 et 2019, et ce même si le nombre de lois visant à combattre le prélèvement des ailerons a décuplé pendant cette même période.

Environ le tiers des requins tués pendant cette période provenait d’espèces menacées d’extinction.

«Le nombre d’espèces de requins menacées dans le monde ne cesse d’augmenter et non de diminuer», a dit l’auteur principal de l’étude, le professeur Boris Worm du département de biologie de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse.

«Nous avons constaté, parce que nous avons procédé pays par pays, que les réglementations de certains pays (…) ont effectivement réussi à réduire la mortalité, mais cela a été compensé par des augmentations dans d’autres régions. Nous ne constatons donc pas un déclin global, mais nous voyons quelques signes d’espoir que si l’on s’attaque réellement à la mortalité, et pas seulement au prélèvement des ailerons, il est possible de faire baisser la mortalité.»

Les ailerons de requins sont très prisés dans certains marchés, notamment en Asie. La pratique appelée «shark finning» en anglais consiste à amputer le requin de ses nageoires et de sa queue avant de rejeter la carcasse à l’eau.

Aucune étude ne s’était jusqu’à présent penchée sur l’efficacité des mesures adoptées pour combattre cette pratique. Les chercheurs ont donc examiné la mortalité des requins dans 150 pays où ils sont pêchés, ainsi qu’en haute mer.

La pêche côtière était responsable de 95 % de la totalité des requins capturés et tués pendant la période étudiée. La mortalité dans ces pêcheries a augmenté de 4 % entre 2012 et 2019. En revanche, pendant la même période, la mortalité a reculé de 7 % dans les pêcheries en pleine mer, surtout dans l’Atlantique et l’ouest du Pacifique.

La répression du prélèvement d’ailerons de requins semble avoir eu l’effet pervers d’ouvrir de nouveaux marchés pour la chair. Maintenant qu’il leur était interdit de ne conserver que les ailerons, les pêcheurs ont commencé à garder et à vendre l’animal en entier.

Les auteurs de l’étude ont ainsi noté une hausse de la demande dans des pays comme le Brésil et l’Italie. La chair de requin représentant un substitut bon marché pour celle d’autres poissons, précisent-ils, l’identification erronée du produit est courante et il est probable que de nombreux consommateurs en mangent sans le savoir.

Une enquête réalisée au Royaume-Uni a par exemple découvert que 90 % des échantillons de poisson-frites analysés contenaient de la chair de requin.

«Nous voyons ces marchés émergents pour la viande de requin et puis l’huile de requin et d’autres produits de requin là où nous ne les voyions pas auparavant, a expliqué la chercheuse Laurenne Schiller, de l’Université Carleton en Ontario. Ça montre que si on veut mettre en place une réglementation, il faut penser aux conséquences involontaires potentielles. Et si l’objectif réel est de lutter contre la mortalité des espèces, il faut s’assurer que ce que vous mettez en place va réellement atteindre cet objectif.»

Les mesures réellement efficaces pour protéger les requins sont rares. Une interdiction complète de leur pêche ― par exemple, dans des sanctuaires marins ― en est une, préviennent les auteurs de l’étude.

Une autre solution est un encadrement strict des pêcheries, surtout en ce qui concerne les espèces menacées, comme c’est le cas au Canada où on doit remettre ces espèces à l’eau vivantes quand c’est possible, a dit le professeur Worm.

«Et troisièmement, une pratique plus sélective de la pêche en essayant d’éviter les requins», a-t-il complété.

Cela impliquerait de remplacer les équipements de pêche qui capturent des requins par erreur par des équipements qui sont plus sélectifs, ou à tout le moins par des équipements qui permettent au requin de survivre en attendant le retour des pêcheurs, a ajouté le professeur Worm.

Les auteurs réclament l’adoption de nouvelles politiques spécifiquement pour décourager la conservation des espèces surexploitées et menacées. Ils soulignent également l’importance de la responsabilisation des flottes, des entreprises de pêche et des organes de gestion pour favoriser la bonne mise en œuvre de ces mesures.

«La santé des requins dans un écosystème est un très bon indicateur de la santé de l’environnement marin, a rappelé la professeure Schiller. Lorsque nous constatons ce niveau de mortalité, nous voyons ce qui fonctionne, mais aussi ce sur quoi nous devons encore nous concentrer. On doit réfléchir de manière plus critique à notre rôle, en tant qu’êtres humains, dans la protection de ces espèces afin d’espérer des écosystèmes plus résistants à l’avenir.»

Les requins nagent dans les océans depuis environ 400 millions d’années et on estime qu’ils ont survécu à au moins cinq extinctions. On considère toutefois qu’ils comptent aujourd’hui parmi les espèces les plus menacées de la planète.

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