Une action collective liée aux éclosions de COVID-19 dans les CHSLD est autorisée

Jacob Serebrin, La Presse Canadienne
Une action collective liée aux éclosions de COVID-19 dans les CHSLD est autorisée

MONTRÉAL — La Cour supérieure a accordé son feu vert, mardi, à une action collective qui accuse le réseau de la santé québécois d’avoir omis de protéger les CHSLD au cours de la première année de la pandémie de COVID-19 — et d’avoir ainsi causé des souffrances et des décès évitables à des milliers de résidents.

La poursuite autorisée mardi par le juge Donald Bisson, de la Cour supérieure, soutient que la réponse de la province aux deux premières vagues de COVID-19 a été improvisée, et que les responsables du réseau de la santé ont ignoré le plan existant en cas de pandémie, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Patrick Martin-Ménard, l’avocat représentant les membres de l’action collective, a déclaré mardi que le gouvernement du Québec avait «tous les outils» à sa disposition pour protéger les plus vulnérables dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) publics, mais qu’il ne l’a pas fait.

«On ne connaissait pas la COVID à ce moment-là, a admis Me Martin-Ménard en conférence de presse mardi. Par contre, on avait suffisamment d’informations pour savoir à quelles menaces on était exposés à cause d’une pandémie — et on avait même un plan en place pour y faire face.»

L’action collective comprend toute personne vivant dans 118 CHSLD, selon la poursuite, qui ont connu une éclosion de COVID-19 qui a infecté au moins 25 % des résidents entre le 13 mars 2020 et le 20 mars 2021. L’action collective inclut également «leur conjoint, leur(s) aidant(s) naturel(s), leurs enfants et leurs petits-enfants, de même que les héritiers et ayants droit des résidents décédés».

Me Martin-Ménard estime que cette poursuite concernera entre 6000 et 7000 résidents de CHSLD ainsi qu’un nombre indéterminé de membres de leur famille.

Sa mère meurt à 94 ans

Le représentant de l’action collective, Jean-Pierre Daubois, avait déposé la demande en avril 2020 après le décès de sa mère au CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. Anna José Maquet est morte le 3 avril 2020 à l’âge de 94 ans.

Selon le document judiciaire, la dame allait bien jusqu’au 3 avril au matin, lorsqu’elle a commencé à avoir des difficultés respiratoires. Selon le récit de ses enfants, ils n’ont jamais pu voir le médecin ce jour-là et leur mère n’a pas reçu les soins requis par son état. Sa santé s’est aggravée pendant la journée et elle est morte le soir même.

Selon M. Daubois, sa mère s’est étouffée en buvant de l’eau et a été soumise à un protocole de détresse respiratoire qui a conduit à sa mort. L’éclosion dans ce CHSLD a tué plus de 100 résidents.

M. Daubois a déclaré aux journalistes mardi qu’il voulait s’assurer que «l’improvisation totale» du gouvernement québécois à la pandémie ne se reproduise plus jamais. «Je suis toujours en colère parce que c’était évitable», a-t-il déclaré.

L’infirmière qui s’occupait normalement de sa mère était hospitalisée dans une unité de soins intensifs, atteinte de la COVID-19, au moment du décès de Mme Maquet.

Son fils a déclaré mardi que la COVID-19 avait été introduite dans le CHSLD après que deux employés – qui auraient signalé avoir été infectés – se soient fait dire par la direction qu’ils seraient sanctionnés s’ils ne rentraient pas au travail. «C’était totalement irresponsable», a soutenu M. Daubois.

Les CHSLD «négligés» par Québec

Me Martin-Ménard a déclaré que le réseau de CHSLD avait été négligé au début de la pandémie, alors que le gouvernement se concentrait sur la protection des hôpitaux. Le personnel soignant n’est pas formé à la prévention et au contrôle des infections, a-t-il ajouté, et aucune mesure n’a été prise pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre, ce qui empêche les résidents de recevoir «même les soins les plus élémentaires».

«Cette tragédie, a déclaré Me Martin-Ménard, est le résultat d’une série de pratiques négligentes et de mauvaises décisions de la part des autorités de santé publique et de ceux qui étaient responsables de la planification et de la préparation du système de santé à la pandémie, car il y avait un plan.»

La poursuite désigne comme défendeurs le CHSLD Sainte-Dorothée de Laval, 20 centres intégrés de santé et de services sociaux et le Procureur général du Québec, à titre de représentant du ministre de la Santé et du directeur de la santé publique.

Le ministère de la Santé a refusé de commenter l’affaire mardi.

L’action collective allègue que bon nombre des facteurs qui ont conduit aux éclosions au cours de la première vague de la pandémie se sont poursuivis lors de la deuxième: transfert de personnel entre établissements accueillant des patients infectés, équipement de protection individuelle inadéquat, et accès limité aux soins de base pour les patients en raison du manque de main-d’œuvre et du pourcentage élevé d’employés en congé de maladie.

Le gouvernement du Québec s’était opposé à l’action collective en plaidant qu’elle était de portée trop large et que même si les allégations s’appliquaient au CHSLD Sainte-Dorothée, elles ne s’appliquaient pas à l’ensemble du réseau ni à la deuxième vague de la pandémie.

10 M $ en dommages punitifs

La poursuite vise à obtenir une indemnisation de 100 000 $ pour chaque résident infecté, ainsi qu’une indemnisation supplémentaire pour ceux qui ont été hospitalisés ou auraient dû l’être mais ne l’ont pas été en raison des politiques gouvernementales. Par ailleurs, on demande également 40 000 $ pour chaque résident qui n’est pas tombé malade.

De plus, la poursuite vise à obtenir une indemnisation supplémentaire d’au moins 100 000 $ pour le conjoint survivant d’un résident décédé et de 30 000 $ pour chacun de leurs enfants. La poursuite demande également 10 millions $ supplémentaires en dommages-intérêts punitifs au nom des résidents.

«Il reste encore beaucoup de chemin à franchir, mais c’est un dossier qui est extrêmement important (…) dans le contexte où évidemment, on a aussi un devoir de mémoire face aux victimes du printemps 2020», a indiqué Me Martin-Ménard.

«On a le devoir de ne pas oublier ce qui s’est passé et s’assurer que les leçons qu’on doit retenir ont été apprises et qu’on a fait les changements et correctifs qu’on doit faire. Et à cet égard-là, malheureusement, on constate qu’il y a encore beaucoup de travail à faire.»

Note aux lecteurs: Version corrigée. Il faut bien lire l’avocat Patrick Martin-Ménard, et non Patrick Martin-Maynard comme il était écrit dans la version précédente.

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