Un tribunal du Nouveau-Brunswick s’excuse à deux hommes innocentés pour meurtre

Hina Alam, La Presse Canadienne
Un tribunal du Nouveau-Brunswick s’excuse à deux hommes innocentés pour meurtre

FREDERICTON — La juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Nouveau-Brunswick a présenté vendredi ses «sincères excuses» à deux hommes qui ont été innocentés après avoir purgé de longues peines de prison pour un meurtre survenu en 1983 qu’ils n’ont pas commis. 

La juge en chef Tracey DeWare affirme que le système judiciaire a laissé tomber Robert Mailman et Walter Gillespie, qui ont été reconnus coupables de meurtre au deuxième degré en 1984 et condamnés à la prison à perpétuité pour le meurtre de George Gilman Leeman à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. 

Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, a annulé ces condamnations le mois dernier et a ordonné un nouveau procès.

«Je souhaite remercier M. Mailman et M. Gillespie pour leur persévérance, tout en reconnaissant que cette reconnaissance n’est guère de réconfort pour les décennies qu’ils ont passées sous l’ombre de cette condamnation pour meurtre», a écrit la juge DeWare. 

Dans une décision de quatre pages, la juge DeWare a affirmé que des erreurs judiciaires se produisent parfois «malheureusement» et que lorsqu’elles arrivent, la réponse raisonnable est de redoubler d’efforts pour améliorer le système.

«La seule réponse raisonnable est de redoubler d’efforts pour améliorer notre système judiciaire et se prémunir contre ces anomalies, ce qui se fait d’abord en mettant en lumière les circonstances qui ont conduit à ces situations dévastatrices», a-t-elle mentionné. 

La juge a souligné que le système judiciaire a une dette de gratitude envers les deux hommes et leur équipe juridique pour avoir poursuivi leurs démarches avec détermination pendant près de quatre décennies.

Elle a salué le courage de MM. Mailman et Gillespie et de leur équipe juridique pour avoir mis en lumière ce qu’elle a appelé une «erreur judiciaire». Les leçons qui seront tirées de cette affaire bénéficieront au système judiciaire dans son ensemble, a-t-elle ajouté.

La juge DeWare a déclaré MM. Mailman et Gillespie non coupables, jeudi, après que la procureure de la Couronne, Karen Lee, eut informé le tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des preuves contre les deux hommes.

L’audience à Saint-Jean a eu lieu après que le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, eut annulé le mois dernier les condamnations et ordonné un nouveau procès, affirmant que de nouvelles preuves avaient fait surface qui remettaient en question «l’équité globale du processus».

Le ministère fédéral de la Justice a toutefois indiqué vendredi dans un communiqué que le rapport d’enquête qui a conduit à cette conclusion était confidentiel.

Enquête publique réclamée

David Taylor, porte-parole du ministre Virani, a déclaré que les condamnations injustifiées étaient un sujet de profonde préoccupation pour le gouvernement. «Nous pensons qu’un système de justice pénale juste et équitable doit protéger contre d’éventuelles erreurs judiciaires», a-t-il affirmé dans un communiqué.

«Les provinces et les territoires sont responsables de l’administration de la justice, ce qui comprend la mise en accusation et la poursuite de la plupart des infractions au Code criminel et la présentation d’observations quant à la peine appropriée à imposer.»

Après l’audience de jeudi, un avocat d’Innocence Canada, l’organisation qui représente les deux hommes, a demandé une enquête publique. James Lockyer a fait valoir que s’il y avait eu une erreur judiciaire pour MM. Mailman et Gillespie, il y en aurait probablement d’autres. Il a évoqué le cas d’Erin Walsh, qui s’est battue pendant 33 ans pour blanchir son nom d’un meurtre survenu en août 1975, également à Saint-Jean. 

«S’il y a deux cas comme celui-ci, vous pouvez parier votre dernier dollar qu’il y en a beaucoup d’autres», a déclaré Me Lockyer, ajoutant qu’on ne peut faire mieux que l’enquête publique, où tout est diffusé publiquement.

S’adressant à la province, Me Taylor a fait remarquer que cette affaire a fait l’objet d’une enquête de la police de Saint-Jean et de poursuites engagées par la Couronne du Nouveau-Brunswick. 

Le ministre de la Justice du Nouveau-Brunswick, Ted Flemming, n’était pas disponible pour une entrevue vendredi, et le ministère n’a pas répondu à une demande de commentaires sur une éventuelle enquête publique et des excuses de la province aux deux hommes et à la famille de la victime du meurtre. Un porte-parole a déclaré que le ministère n’avait rien à ajouter au-delà de la déclaration de la Couronne devant le tribunal selon laquelle il ne présenterait pas de preuves.

Le chef des Verts, David Coon, a dit qu’il appuyait l’idée d’une enquête publique pour garantir qu’une telle «terrible parodie de la justice» ne se reproduise jamais. Le porte-parole libéral en matière de justice, Rob McKee, est d’avis que la province, les forces de police et le système judiciaire doivent des excuses «sincères» aux hommes et à la famille de la victime.

«Il faudrait certainement réexaminer cette affaire pour mieux comprendre ce qui n’a pas fonctionné et comment nous en sommes arrivés là. Personne ne devrait avoir à attendre des décennies pour obtenir justice», a-t-il affirmé. 

«Cette affaire, ainsi que d’autres, mettent en évidence des failles dans notre processus d’enquête ainsi que dans le système judiciaire, et cela nécessite un examen approfondi et continu.»

Une série de lacunes 

Une déclaration écrite présentée au tribunal par Innocence Canada a mis en évidence une série de manquements. Elle indiquait que des témoins se sont rétractés et que les policiers n’ont pas révélé qu’un témoin avait été payé pour son témoignage. Les preuves médico-légales étaient inférieures aux normes attendues en 1984, et la Couronne a exhorté le jury à conclure que l’alibi des hommes – qui était soutenu par de nombreux témoins et un reçu d’achat – était «un mensonge pour échapper à leur culpabilité».

La police de Saint-Jean n’a pas répondu aux conclusions du tribunal, se contentant d’une brève déclaration disant qu’elle attend de voir l’examen de l’affaire par le ministère fédéral de la Justice et de comprendre les raisons qui ont mené à l’acquittement.

Dans sa décision, la juge DeWare a indiqué que puisque la Couronne a choisi de ne pas fournir de preuves, elle doit «en déduire que de graves erreurs ont été commises, et que l’erreur judiciaire survenue à la suite de ces erreurs (a) eu les conséquences les plus désastreuses pour ces deux hommes.»

Ces erreurs signifient également que la famille et les amis de M. Leeman sont confrontés à l’injustice parce qu’ils ne savent pas qui l’a tué ni pourquoi, a-t-elle ajouté.

«En tant que juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Nouveau-Brunswick, je ne peux qu’à ce stade, exprimer mes plus profonds regrets à M. Mailman, M. Gillespie, à leur famille et à leurs amis, ainsi qu’à la famille et aux amis de M. Leeman que ces événements se sont déroulés comme ils l’ont fait», a-t-elle déclaré.

«M. Mailman et M. Gillespie ont été privés de liberté pendant des décennies et habités par la honte d’une condamnation pour meurtre. Espérons que leur acquittement apportera à M. Mailman et M. Gillespie un sentiment de paix accompagné de la reconnaissance publique qu’ils ont été déclarés non coupables de ce crime.»

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