Ottawa lance un autre incitatif aux provinces pour la construction de logements

Michel Saba et Thomas Laberge, La Presse Canadienne
Ottawa lance un autre incitatif aux provinces pour la construction de logements

Autre journée, autre annonce en matière de logement, et autre ingérence dans les champs de compétence des provinces. Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mercredi le lancement du programme «Bâtir au Canada» qui distribuera des fonds pour la construction de logements aux provinces qui respectent une série de conditions.

«Après des décennies de manque d’investissements et d’inaction de la part de tous les ordres de gouvernements, la classe moyenne a l’impression que c’est impossible d’avoir un bon logement abordable», a déclaré M. Trudeau lors d’une conférence de presse prébudgétaire à Toronto.

Le premier ministre a mentionné au passage que le budget de cette année reposera sur l’idée de bâtir «une économie juste» pour tous. Et en fin de compte, estime-t-il, «le meilleur moyen» de faire baisser les prix est de construire davantage de logements.

La nouvelle initiative offrira des prêts à faible taux et pigera les fonds dans les 55 milliards $ dont dispose un autre programme dédié à la construction de logements, a indiqué le gouvernement fédéral.

Les provinces qui souhaitent toucher au butin devront proposer des mesures pour construire davantage de logements et respecter les exigences d’une initiative de la Colombie-Britannique qui servira de modèle.

Ces exigences sont «notamment» que les provinces fassent elles-mêmes des investissements en logement, la construction d’habitations sur des terrains du gouvernement, d’organisations sans but lucratif, communautaires et vacants, et la simplification des processus de sorte que les délais d’approbation ne dépassent pas 18 mois.

Elles devront également répondre à tous les critères du Programme de prêts pour la construction d’appartements qui alloue les fonds, dont ceux en matière d’abordabilité.

À ce chapitre, M. Trudeau a indiqué qu’Ottawa entend ajouter 15 milliards $ dans ce programme, ce qui devrait permettre de bâtir «au moins 30 000 nouveaux appartements». La mesure fiscale devrait être inscrite dans le budget 2024 dont le dépôt est prévu dans près de deux semaines.

Le gouvernement fédéral réformera aussi le programme afin de favoriser la construction. Cela comprend une prolongation de la durée des prêts, le financement de logements destinés aux étudiants et aux aînés, d’aider les constructeurs à faire progresser plusieurs chantiers simultanément, d’alléger les critères liés au coût abordable, à l’efficacité énergétique et à l’accessibilité et d’accélérer le processus pour les constructeurs qui ont fait leurs preuves.

Grognements des provinces

Comme pour plusieurs annonces prébudgétaires faites au cours des derniers jours, celle de mercredi touche directement à une compétence des provinces.

Les ministres québécois Jean-François Roberge (Relations canadiennes) et France-Élaine Duranceau (Habitation) ont d’ailleurs de nouveau dénoncé l’ingérence d’Ottawa.

«Pendant ce temps, et le premier ministre Trudeau l’a reconnu lui-même, il y a encore trop de demandeurs d’asile et d’immigrants temporaires sur le territoire, ce qui fait gonfler artificiellement la demande de logements, en plus de créer une pression énorme sur tous les services publics», ont-ils indiqué dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne.

«Comme toujours, nous entreprendrons les négociations avec le gouvernement fédéral afin que le Québec obtienne sa juste part», ont ajouté les deux ministres.

Mardi, M. Trudeau offrait de distribuer 5 milliards $ aux provinces qui accepteraient d’adopter certaines de ses priorités en matière de logement, y compris la charte des droits des locataires, d’ici la fin de l’année.

Si les annonces en matière de logement ont engendré des éloges du premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, il en allait autrement de provinces comme le Québec qui avait immédiatement réclamé un «droit de retrait avec pleine compensation et sans aucune condition».

Appelé à réagir aux commentaires de premiers ministres provinciaux insatisfaits, dont Doug Ford en Ontario qui n’apprécie pas l’approche d’Ottawa, M. Trudeau a répondu qu’il veut travailler avec «les juridictions les plus ambitieuses» au pays.

Ainsi, «idéalement» ce serait avec les provinces – le Québec et la Colombie-Britannique ont d’ailleurs fait des efforts considérables, a-t-il noté -, mais que si elles refusent «ce n’est pas grave, car nous travaillerons simplement directement avec les municipalités qui veulent le faire».

Dans un commentaire légèrement provocateur, M. Trudeau a affirmé que la mairesse de Toronto, Olivia Chow, qui était à ses côtés, lui aurait dit: «Hey! Envoie l’argent supplémentaire à Toronto. Nous construirons plus de maisons.»

«Inacceptables»

Le Parti québécois a qualifié d’«inacceptables» ces «nouvelles intrusions du fédéral dans les compétences du Québec».

«Elles le sont tout autant que l’indolence et l’inaction du gouvernement Legault en la matière, ce qui donne une apparence de légitimité au fédéral dans son mépris du Québec et du partage des pouvoirs entre les gouvernements», a soutenu le député péquiste Joël Arseneau.

Québec solidaire demande aux deux premiers ministres de s’entendre rapidement pour «que les sommes soient transférées au Québec». 

«Justin Trudeau doit respecter les compétences du Québec et François Legault doit exercer les compétences du Québec. (…)  Les Québécois n’ont pas besoin d’une chicane entre deux premiers ministres impopulaires, ils ont besoin de logements», a déclaré le chef parlementaire solidaire Gabriel Nadeau-Dubois.

Le Parti libéral du Québec a pour sa part indiqué qu’il allait attendre le «budget et les critères du programme».

«Mais nous voulons que le fédéral respecte nos champs de compétence. Il faudra nécessairement qu’il y ait collaboration entre Québec et Ottawa puisqu’il y a urgence d’agir. Il serait inconcevable que cette entente fédérale-provinciale prenne trois ans à se conclure comme ce fut le cas précédemment», a soutenu la députée libérale Virginie Dufour.

Le Bloc québécois a de nouveau demandé que les sommes annoncées par le fédéral soient directement transférées à Québec sans conditions. «Ottawa doit cesser de multiplier les ingérences, financer les programmes existants québécois et se concentrer sur ses propres compétences», a dit le député bloquiste Denis Trudel.

Le Nouveau Parti démocratique a critiqué l’annonce de mercredi et la stratégie qui la sous-tend, affirmant que 97 % des logements construits dans le cadre du programme de prêts ne sont pas abordables.

«La stratégie de Trudeau en matière de logement, déconnectée de la réalité, est dominée par des prêts accordés à des promoteurs à but lucratif qui n’aident pas les Canadiens qui ont besoin d’un logement abordable», a déclaré le porte-parole du NPD en matière de logement, Jenny Kwan.

Les conservateurs ont quant à eux affirmé qu’il semble s’agir davantage d’une autre «politique ratée» du gouvernement, soulignant que plus de la moitié des fonds disponibles dans le cadre du programme de prêts pour la construction de logements ne sont pas alloués.

– Avec des informations de Sarah Ritchie, à Ottawa

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