ONU: le Canada et les Pays-Bas poursuivent la Syrie

Mike Corder, The Associated Press
ONU: le Canada et les Pays-Bas poursuivent la Syrie

LA HAYE, Pays-Bas — La Syrie a boycotté mardi une audience devant la plus haute juridiction des Nations unies, au cours de laquelle les Pays-Bas et le Canada ont accusé Damas de mener depuis des années une campagne de torture «institutionnalisée» à l’encontre de son propre peuple.

L’audience portait sur une demande préliminaire des Pays-Bas et du Canada visant à ce que la Cour impose des ordres ― connus sous le nom de mesures provisoires ― à la Syrie pour qu’elle mette immédiatement fin à la torture afin de protéger les victimes potentielles pendant que leur affaire accusant Damas d’avoir enfreint la convention sur la torture se poursuit devant la Cour internationale de justice.

«Chaque jour compte», a prévenu René Lefeber, l’avocat du gouvernement néerlandais.

«La pratique persistante et récurrente de la torture en Syrie ne fait que souligner la nécessité urgente pour la Cour d’indiquer des mesures provisoires pour manifester les menaces à la vie et à l’intégrité physique et psychologique», a déclaré M. Lefeber.

Le conflit syrien a commencé par des manifestations pacifiques contre le gouvernement du président Bachar Assad en mars 2011, mais s’est rapidement transformé en une véritable guerre civile après la répression brutale des manifestants par le gouvernement. Le vent a tourné en faveur d’Assad contre les groupes rebelles en 2015, lorsque la Russie a apporté un soutien militaire essentiel à la Syrie, ainsi qu’à l’Iran et au groupe militant libanais Hezbollah.

L’avocate du gouvernement canadien, Teresa Crockett, a souligné l’urgence de la demande en déclarant que «la Syrie a systématiquement pratiqué la torture et soumis sa population à d’autres mauvais traitements à grande échelle. Depuis 2011, des dizaines de milliers de personnes sont mortes alors qu’elles étaient détenues par la Syrie».

«Si rien n’est fait, la Syrie poursuivra ses violations», a-t-elle ajouté.

Lors de l’ouverture de l’audience dans la grande salle de justice de la Cour, le panel de 15 juges s’est retrouvé face à une rangée de sièges blancs vides réservés à la délégation syrienne.

«La Cour regrette la non-comparution de la République arabe syrienne», a déclaré la présidente de la Cour, Joan E. Donoghue.

Le chef de l’équipe juridique du Canada, Alan Kessel, a déclaré aux juges que «la décision de la Syrie de ne pas participer à la procédure d’aujourd’hui ne la met pas à l’abri des directives de la Cour».

Un groupe de Syriens s’est rassemblé à l’extérieur du tribunal avant l’audience, portant des photos de personnes qu’ils disent avoir été victimes de torture et de disparition forcée, et brandissant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Mettez fin à la torture maintenant» et «Où sont-ils?».

Parmi eux se trouvait Yasmen Almashan, une femme 43 ans qui a déclaré avoir perdu cinq frères en Syrie.

«Nous avons simplement demandé la liberté, a-t-elle lancé. Le régime d’Assad est criminel. Ce procès apportera peut-être un peu de justice.»

Dans un document écrit adressé à la Cour en juin, les Pays-Bas et le Canada précisaient que la torture en Syrie comprenait «des coups et des fouets violents, y compris avec les poings, des câbles électriques, des bâtons en métal et en bois, des chaînes et des crosses de fusil; l’administration de chocs électriques; la combustion de parties du corps; l’arrachage d’ongles et de dents; des simulacres d’exécution; et des simulacres de noyade».

M. Lefeber a mis en évidence une autre méthode de torture connue sous le nom de «dulab», qui consiste à forcer la victime à entrer dans un pneu de voiture et à la battre, parfois pendant des heures. Il a également noté l’utilisation de la violence sexuelle et sexiste comme instrument de torture à l’encontre des femmes, des filles, des hommes et des garçons.

Balkees Jarrah, le directeur associé de la justice internationale à Human Rights Watch, a estimé que cette affaire «offre une occasion importante d’examiner de près les tortures odieuses infligées depuis longtemps par la Syrie à d’innombrables civils».

M. Lefeber a ajouté que «la nature institutionnalisée» de la torture en Syrie était évidente au vu du nombre de victimes et de la «cohérence frappante des méthodes de torture» dans l’ensemble du pays.

«Au vu de la récurrence des actes de torture et autres mauvais traitements dans l’ensemble du pays, il ne fait aucun doute que cette pratique émane des plus hautes sphères du gouvernement syrien», a-t-il dit.

Les ordonnances de la Cour sont juridiquement contraignantes, mais ne sont pas toujours respectées par les pays impliqués dans les procédures. L’année dernière, les juges ont rendu une telle ordonnance dans une autre affaire demandant à Moscou de cesser les hostilités en Ukraine.

Le Canada et les Pays-Bas accusent l’administration Assad d’avoir enfreint la Convention des Nations unies contre la torture et soutiennent que le mécanisme de résolution des conflits de la convention donne à la Cour de La Haye la compétence pour entendre l’affaire.

À ce jour, la guerre en Syrie a fait un demi-million de morts, des centaines de milliers de blessés et a détruit de nombreuses régions du pays. Elle a déplacé la moitié des 23 millions d’habitants que comptait la Syrie avant la guerre, dont plus de 5 millions sont réfugiés hors de Syrie.

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