Les visas pour les familles de Gazaouis sont convoités

Laura Osman et Sarah Smellie, La Presse Canadienne
Les visas pour les familles de Gazaouis sont convoités

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Deux sœurs palestiniennes de Terre-Neuve font partie des familles à travers le Canada qui cherchent à obtenir le nombre limité de visas spéciaux dans l’espoir de sauver leurs proches de la guerre entre Israël et le Hamas.

Marilyn et Miran Kasken affirment que leurs jeunes frères, Talal, âgé de 20 ans, et Fahed, âgé de 21 ans, partagent une tente à Rafah, près de la frontière égyptienne. Ils n’ont pas d’eau, pas de nourriture, pas de toilettes, pas d’électricité et pas d’internet.

Ils vivaient dans la ville de Gaza lorsque le Hamas a attaqué Israël le 7 octobre, tuant 1200 personnes. Presque immédiatement, Israël a répondu par des bombardements quasi constants sur tout le territoire palestinien. Les frères se sont cachés des bombes dans les sous-sols et ont marché devant des bâtiments démolis et des cadavres pendant leur voyage vers Rafah, a relaté Marilyn Kasken, lors d’une entrevue à Saint-Jean de Terre-Neuve.

Pour parler avec ses frères et confirmer qu’ils sont toujours en vie, Marilyn dit qu’elle doit contacter un ami en Cisjordanie qui peut passer un appel local pour essayer de les joindre – s’ils ont réussi à trouver de l’électricité pour recharger leurs téléphones.

Les femmes disent que depuis le début de la guerre, leur oncle a été tué et leurs grands-parents ont dû rester dans la ville de Gaza parce qu’ils étaient trop vieux et trop fragiles pour être évacués. Ils n’ont pas eu de nouvelles de leur mère depuis une semaine et ils ne savent pas si elle est encore en vie.

«Le sort de nos frères et sœurs est désormais entre les mains du gouvernement canadien. S’ils veulent les sauver, ils le peuvent. Ils en ont la chance», a déclaré Mme Kasken, âgée de 24 ans. 

Elle dit que chaque jour que ses frères passent dans la bande de Gaza diminue leurs chances de survie.

«Je ne veux pas perdre un autre membre de ma famille.»

Nouveau programme de visas

Le gouvernement fédéral a lancé mardi son nouveau programme spécial de visas pour les membres de familles élargies destinés aux habitants de Gaza. Le ministre de l’Immigration, Marc Miller, a annoncé ce programme en décembre, après des mois de plaidoyer de la part des Canadiens d’origine palestinienne, qui demandaient au gouvernement fédéral de les aider à sauver leurs proches.

Les sœurs Kasken ont embauché un avocat spécialisé en droit de l’immigration grâce à une campagne de collecte de fonds en ligne. Marilyn indiquait que l’avocat s’affairait mardi matin à actualiser la demande en ligne pour le portail avec les documents prêts, en attendant la première occasion de la soumettre.

Le processus de candidature comporte plusieurs étapes. Tout d’abord, les familles doivent fournir au gouvernement fédéral des informations de base sur les personnes qu’elles souhaitent amener au Canada et leur relation mutuelle, ainsi que les documents gouvernementaux du membre canadien de la famille.

Si le gouvernement juge les informations complètes, elles obtiennent un code unique pour demander le visa. Le ministère fédéral de l’Immigration a averti les familles de remplir rapidement leurs documents lorsqu’elles reçoivent leur code unique, car il accepte un nombre limité de demandes.

«Si toutes les places disponibles sont occupées avant que vous n’ayez soumis votre demande complète, votre demande ne sera pas traitée dans le cadre de la politique d’intérêt public temporaire», a indiqué mardi le ministère sur son site.

Le programme offre des visas à un maximum de 1000 personnes ayant des membres de leur famille élargie au Canada. Cela leur permettrait de se réfugier au Canada pendant trois ans, si leurs familles sont prêtes à les soutenir financièrement pendant cette période.

Le programme déjà existant au Canada concernait uniquement les membres de la famille immédiate des Canadiens, y compris les conjoints et les enfants.

Le programme élargi inclura un nombre limité de parents, de grands-parents, d’enfants adultes, de petits-enfants et de frères et sœurs de Canadiens et de résidents permanents du Canada, ainsi que des membres de leur famille immédiate.

Le plafond du programme critiqué

Le Conseil national des musulmans canadiens a critiqué le plafond de 1000 candidats et affirme avoir déjà été en contact avec plus d’un millier de personnes qui tentent d’évacuer leur famille de Gaza.

Plus de 23 000 Palestiniens ont été tués – dont environ les deux tiers étaient des femmes et des enfants – et plus de 58 000 ont été blessés depuis le début de la guerre, selon les autorités sanitaires locales du territoire contrôlé par le Hamas.

Marilyn Kasken a fait écho à ces frustrations, soulignant qu’Ottawa a accueilli plus de 210 000 Ukrainiens fuyant les attaques russes contre leur pays depuis 2022.

«Cela dit que la vie du peuple palestinien n’a pas d’importance», a-t-elle soutenu.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a défendu ce plafond et a déclaré que le nombre de visas reflétait la volatilité de la situation sur le terrain et les difficultés affrontées par le Canada et d’autres pays pour faire sortir les personnes de Gaza par la frontière étroitement contrôlée avec l’Égypte.

M. Miller a déclaré mardi dans un communiqué que la situation à Gaza était «difficile et volatile».

«Ces nouvelles mesures offrent une voie humanitaire vers la sécurité et tiennent compte de l’importance de garder les familles unies compte tenu de la crise continue. Nous continuerons de surveiller l’évolution de la situation à Gaza de très près et nous adapterons notre intervention en conséquence», a-t-il affirmé. 

Ceux qui parviennent à obtenir un visa et à fuir Gaza recevront des fonds pour un séjour de deux nuits à l’hôtel pendant qu’ils se prêteront à un contrôle et à une prise d’empreintes digitales.

Une fois au Canada, ils pourront demander un permis de travail ou d’études gratuit et auront accès aux services d’établissement et à la couverture médicale du gouvernement fédéral pendant 90 jours.

Les sœurs Kasken ont rencontré lundi un membre du personnel de Seamus O’Regan, député libéral de St. John’s-Sud—Mount Pearl, mais ont dit que la réunion ne leur avait pas laissé beaucoup d’espoir.

«Je veux me réveiller de ce cauchemar, a témoigné Marilyn Kasken. Je m’empêche de réfléchir la plupart du temps, mais ça ne marche pas.»

Les sœurs sont arrivées à Saint-Jean en octobre, grâce au programme fédéral des défenseurs des droits de la personne, qui réinstalle les personnes qui luttent pour les libertés fondamentales mais qui courent des risques dans leur pays d’origine.

«Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir un nouveau départ au Canada, parce que je ne peux pas ressentir de bonnes choses alors que j’ai constamment peur de perdre mes amis, ma famille et mes frères», a-t-elle indiqué.

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