Les clowns thérapeutiques convergent vers Montréal

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
Les clowns thérapeutiques convergent vers Montréal

MONTRÉAL — Une centaine de clowns thérapeutiques provenant de toute l’Amérique du Nord sont à Montréal ces jours-ci à l’occasion d’un colloque qui leur permettra de se rencontrer et d’échanger en personne pour la première fois depuis la fin de la pandémie.

Se tenant de dimanche à mardi au Centre St-Pierre, au centre-ville de Montréal, le colloque «Meeting of the Noses 2024» de la North American Federation of Healthcare Clown Organizations est organisé cette année par la Fondation Dr Clown. Des ateliers et des conférences permettront aux participants de raffiner leur art, mais aussi de réfléchir à la place du clown dans la société.

La Presse Canadienne a discuté avec la cofondatrice et directrice artistique de la Fondation Dr Clown, Melissa Holland, quelques jours avant l’événement.

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La PC: Qu’est-ce que ça vous apporte de pouvoir rencontrer des clowns d’ailleurs en Amérique du Nord ou d’ailleurs dans le monde?

C’est un soutien. Il n’y a pas grand monde qui fait ce travail, c’est une profession émergente. C’est sûr que petit à petit, on a fait notre chemin dans les milieux hospitaliers. Et pour moi, de pouvoir réunir ce monde et de parler des meilleures pratiques, ça nous aide à être sur un même diapason en termes de crédibilité envers le milieu de soins pour que ça devienne quelque chose de connu et en fait d’attendu que, oui, c’est un hôpital, alors il y a des clowns qui sont là. Donc moi, c’est vraiment ça ma vision intime, qu’un jour ça aille de soi, comme il y a des médecins, il y a des infirmières, il y a des physiothérapeutes ou des nutritionnistes, et il y a des clowns parce que ça fait partie du plan de soins.

Ça me surprend un peu que vous utilisiez le mot «crédibilité». Est-ce qu’il y a encore des milieux de soins ou des milieux dans lesquels vous êtes mal accueillis ou dans lesquels on doute de ce que vous pouvez contribuer?

Je pense que l’image du clown est toujours fragile. Je pense qu’il y a de l’éducation à faire dans le type de clown que nous sommes. Comme pour tout art, il y a de la musique qui fait l’affaire d’une personne et qui ne fait pas l’affaire de l’autre. L’art clownesque, ce n’est pas nécessairement donné à tout le monde. Et il faut dire que dans la société aussi, il y a comme des fausses images de clowns ou des clowns monstres, où l’image du clown a été détournée.

Pennywise [NDLR: le clown des films ‘Ça’, de Stephen King], pour ne pas le nommer.

Oui, oui. Il n’a pas donné un bon nom (aux clowns). Alors quand les gens nous voient, peut-être qu’il y en a qui vont dire ‘Oh I hate clowns, j’aime pas ça, les clowns’. Mais ça prend quelques secondes et ils voient que, ah OK non, ce sont des gens qui ont une formation artistique, ce sont des gens professionnels qui ont une sensibilité, qui ont une écoute et qui sont là vraiment pour être au service de la personne qui est devant eux. Ça fait 22 ans que nous sommes au Québec, donc je trouve que ce genre d’événement, ça démontre notre sérieux.

Justement, vous venez de le dire, ça fait 22 ans que vous êtes présents au Québec. Qu’est-ce qui a changé au fil des ans dans la manière dont vous pratiquez votre art, dans la manière dont vous intervenez auprès des enfants ou auprès des aînés?

C’est une bonne question. Auprès des enfants, c’est sûr que la présence de la technologie est devenue un grand concurrent. Quand on cogne à la porte et qu’on demande si on peut entrer, souvent on va interrompre soit un jeu vidéo, soit un film, soit une jasette avec quelqu’un sur internet… Avant, je peux dire que les enfants étaient peut-être plus disponibles parce qu’ils s’ennuyaient. Puis là c’était wow, c’est cool, on peut jouer! Mais il faut dire qu’on est quand même bien accueillis. Et je pense que la plupart des gens sont contents de mettre de côté leur tablette, leur téléphone pour un instant, pour pouvoir avoir un moment d’échange, de joie et de plaisir ensemble.

Et pour les aînés?

Pour les aînés, c’est sûr qu’on a vu au fil du temps que le protocole pour faire entrer les personnes âgées dans les CHSLD, les critères ont augmenté dans le sens que les gens qui rentrent ont plus besoin de soins. Il y a 20 ans, on pouvait avoir plein de visites avec du monde qui avait plus de cognition. Je peux dire que la clientèle est plus lourde un peu. Alors pour nous, c’est une adaptation. Qu’est-ce qu’on peut offrir à ces gens-là? C’est sûr que ce n’est pas de l’humour, on ne va pas raconter des blagues, mais comment rentrer en contact avec une personne qui a les yeux fermés, qui est toute crispée, qui peut-être a des cris involontaires? Est-ce qu’il y a des choses qu’on peut offrir? À travers le toucher, à travers le son, la musique, les rythmes et juste le simple effet de prendre un moment pour être avec cette personne, c’est incroyable. Des fois, il n’y a rien qui arrive, mais des fois il y a les yeux qui s’ouvrent, il y a la respiration qui va se calmer, il y a un changement dans le débit du cri, il y a comme un contact qui se fait quand même. Et pour moi, c’est très touchant d’avoir ces moments.

Dernière question. Quand vous côtoyez des collègues d’ailleurs dans le monde, qu’est-ce que vous remarquez que vous avez en commun? Ou qu’est-ce que vous remarquez qui vous différencie?

Ce qui est le fun, c’est qu’on dit qu’il y a comme une ‘génétique du clown’.On se reconnaît, et pas seulement avec nos nez rouges! Il y a une sorte de légèreté, d’habileté, de curiosité… Ce sont des traits qui sont très importants pour un clown, le désir de pouvoir s’adapter à son public. Mais il y a aussi des façons différentes (de pratiquer l’art clownesque). Les clowns américains viennent beaucoup du milieu du cirque, donc leur milieu de base c’est beaucoup sur les techniques de jonglerie, de magie… Et nous notre façon de faire, (on travaille) plus au niveau du personnage, donc de développer le personnage qui est vraiment ancré en nous. On utilise les techniques aussi, mais c’est sûr que c’est notre personnage qui passe en premier, qui fait le contact avec la personne… Donc ce n’est pas si on est un bon jongleur ou pas, c’est vraiment la vulnérabilité du clown qu’on présente.

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Les propos de Mme Holland ont été abrégés à des fins de concision et de clarté.

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