Le projet de parc commémoratif sur la fosse commune de 6000 Irlandais progresse

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

MONTRÉAL — Un pas de plus a été franchi cette semaine vers la création d’un parc commémoratif visant à honorer la mémoire des 6000 Irlandais ensevelis à l’entrée du pont Victoria, côté montréalais, dans ce qui est la plus grande fosse commune au Canada.

Bien qu’un monument existe déjà, le Rocher irlandais aussi appelé le Black Rock érigé sur un minuscule îlot de verdure au milieu des quatre voies de la rue Bridge, celui-ci est inaccessible et peine à être remarqué par les quelque 23 000 automobilistes pressés qui le frôlent quotidiennement.

Rouler sur les sépultures

Ces automobilistes, l’esprit habité pour la plupart par mille et un soucis, ne se rendent pas compte qu’ils roulent directement sur la sépulture de ces milliers d’Irlandais – et de Montréalais qui les ont assistés – morts du typhus en 1847 alors qu’ils fuyaient la Grande Famine d’Irlande.

Ce petit îlot de verdure appartenait au diocèse anglican de Montréal qui en a fait don cette semaine à la Fondation du parc du Monument irlandais de Montréal. Car oui, un parc commémoratif verra bel et bien le jour d’ici la fin de décennie sur ce site.

L’histoire du Black Rock et de ce qu’il représente, méconnue des Montréalais, constitue une page marquante de l’histoire de Montréal.

Un monument noirci par la pollution

C’est en 1859 que les ouvriers qui construisaient le pont Victoria avaient retiré un gros rocher du fleuve Saint-Laurent pour le placer à cet endroit après avoir découvert les restes d’un certain nombre de ces victimes irlandaises. La plupart des travailleurs étaient eux-mêmes irlandais et on peut facilement imaginer qu’ils avaient été touchés de près ou de loin par les tristes événements survenus à peine 12 ans plus tôt.

Au fil du temps, avec la proximité du chemin de fer et le trafic intense, le Rocher irlandais a pris une couleur noire profonde à cause de la pollution. Aujourd’hui, il est connu sous le nom de Black Rock.

La Grande Famine d’Irlande aurait fait environ un million de victimes selon les estimations historiques et un autre million ont fui le pays, dont environ 100 000 qui se sont dirigés vers le Canada, qui était alors une colonie de l’Amérique du Nord britannique.

1847: 70 000 immigrants pour 50 000 habitants

Le typhus, une maladie très contagieuse et mortelle que l’on appelait à l’époque la «fièvre des navires», a tué des milliers d’entre eux en mer, puis les escales se sont transformées en cauchemars successifs: certains furent enterrés autour de St. Andrew’s au Nouveau-Brunswick, puis des milliers d’autres furent interceptés à Grosse Île, connue à l’époque comme «l’île de la Quarantaine» et devenue aujourd’hui un site historique national. À cet endroit, où l’on a au moins tenté d’enregistrer les décès, plus de 5000 de ces personnes sont décédées et y furent enterrées.

Mais les hommes, femmes et enfants «jugés en bonne santé» étaient autorisés à poursuivre leur route vers Montréal, amenant ainsi le typhus avec eux. Or, on estime qu’environ 70 000 immigrants irlandais sont alors arrivés à Montréal, alors que la population de l’île entière n’était que de 50 000 habitants.

Le plus grand geste humanitaire au Canada

Le maire de Montréal à l’époque, John Mills, avait alors fait construire plus d’une vingtaine de grandes «cabanes à fièvre» (50 pieds par 100 pieds selon les archives) dans le quartier Pointe-Saint-Charles et c’est alors qu’avait débuté une remarquable opération de solidarité dirigée par le maire Mills et les Sœurs grises. «Les actions des Montréalais et des Québécois durant les mois de mai à novembre 1847 représentent la plus grande action humanitaire dans l’histoire du Canada», rappelle Scott Phelan, trésorier de la Fondation du parc commémoratif.

Les citoyens iront en effet massivement porter secours, soins et réconfort durant cette période et beaucoup d’entre eux, dont le maire Mills lui-même, y laisseront leur vie, de sorte qu’ils comptent parmi les morts ensevelis dans cette fosse commune.

«Imaginez: ces réfugiés sont pauvres, ils fuient une famine, ils parlent seulement l’irlandais (gaélique), pas le français ni l’anglais, puis tous les citoyens de Montréal ont donné leur nourriture, des vêtements, des emplois», poursuit Scott Phelan.

«Et n’oublions pas que ces 6000 morts ont laissé plus de 1000 orphelins qui ont été adoptés par des Québécois, des Montréalais et partout dans la région. C’est extraordinaire l’action humanitaire des Montréalais et des Québécois cet été-là.»

Découvertes grâce au REM

L’existence de cette fosse commune n’a jamais été mise en doute, mais elle a été confirmée de façon spectaculaire lors des fouilles archéologiques réalisées au moment de l’installation d’un pylône de soutien pour la voie surélevée du REM, en bordure de la rue Bridge à la hauteur du Black Rock. On y a en effet découvert les restes de 14 personnes, dont 10 étaient intacts, soit cinq adultes âgés entre 20 ans et plus de 60 ans, deux adolescents âgés entre 14 et 17 ans et trois enfants dont le plus jeune avait moins d’un an et le plus vieux âgé entre 9 et 14 ans. Les quatre autres personnes, dont les restes n’étaient pas intacts, étaient deux adultes et deux bébés.

Comment peut-on parler d’un parc commémoratif avec un seul petit îlot en plein milieu de la rue Bridge? Ce projet pourra être réalisé lorsqu’Hydro-Québec aura terminé la construction d’une nouvelle installation à l’angle de la rue Bridge et de la rue des Irlandais, qui donne accès à l’autoroute Bonaventure.

La voie ouest de la rue Bridge, celle qui mène au pont Victoria, sera réaménagée et fusionnée avec celle située sur le côté est du Black Rock, qui absorbe le trafic venant du pont, ouvrant ainsi tout l’espace entre le monument et les voies ferrées, qui comprend des terrains vagues situé directement au-dessus de la fosse commune. Le début de la construction du Parc du Monument irlandais de Montréal devrait débuter en 2027 ou 2028 et on prévoit qu’il sera complété au bout de deux ans.

La Ville de Montréal a déjà donné son consentement, de même que tous les partenaires impliqués pour le réaménagement de la rue Bridge et le don des terrains. La Fondation recueille des fonds depuis quelques années et l’allure finale du projet, qui pourrait inclure un musée, dépendra des montants recueillis.

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