Le CMQ et la FMSQ réticents au consentement présumé du don d’organes

Katrine Desautels, La Presse Canadienne
Le CMQ et la FMSQ réticents au consentement présumé du don d’organes

MONTRÉAL — Le Collège des médecins du Québec (CMQ)et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’implanter rapidement le consentement présumé au don d’organes.

Les parlementaires analysent présentement la possibilité de mettre en place un système où les personnes décédées n’auraient plus à consentir au don d’organes, ce serait plutôt à celles qui refusent d’avoir une preuve appuyant leur décision.

Selon les intervenants du CMQ et de la FMSQ, le consentement présumé ne serait pas garant d’une bonification du don d’organes au Québec. Comme d’autres experts, ils estiment qu’il faut une multitude de solutions, notamment sensibiliser et informer le public sur le don d’organes, afin qu’il adhère au consentement présumé. Sinon, cela pourrait briser la confiance des citoyens envers le processus de don, ont averti mercredi plusieurs docteurs en commission parlementaire. 

«Pour le Collège, le consentement présumé n’est pas central à l’augmentation du nombre de dons d’organe et de tissus», a déclaré le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ. 

Il a spécifié qu’un plus grand bassin de donneurs «ne se traduit pas nécessairement» par une hausse du nombre de dons. «Et même si le consentement présumé entraînait une augmentation du nombre de donneurs potentiels, cela ne signifierait pas pour autant que le nombre d’organes disponibles et transplantés augmenterait. Et il y a là un risque à prélever plus d’organes qu’on peut en greffer: le risque de gaspiller les organes. On n’a pas ce luxe-là.»

La FMSQ était du même avis. «Notre point de vue est que de changer le modèle de consentement n’est pas une stratégie probante. (…) La proposition de migrer vers un système de consentement implicite ou présumé, bien qu’elle puisse sembler être une solution attrayante, s’avère en réalité être plus complexe et potentiellement problématique», a affirmé le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ. 

Il a déclaré que la pénurie de personnel, les difficultés d’accès au bloc opératoire et le manque de lit pour les patients sont des défis qui ont des «contrecoups majeurs sur tout l’écosystème du don». 

Le Dr Oliva a relaté qu’unophtalmologiste lui avait dit qu’il reçoit beaucoup de dons de cornée, mais qu’il n’était pas capable de les greffer en raison d’un manque de capacité et d’infrastructure. 

«Des donneurs il y en a, le problème c’est de les faire. (…) Le goulot d’étranglement, c’est vraiment de faire les transplantations des donneurs qui nous sont présentés», a souligné le Dr Oliva. 

Tensions au sein des professionnels

Le président du CMQ a indiqué que l’organisation du réseau actuel «rend incertaine la disponibilité de lits de soins intensifs et de salles d’opération au moment du prélèvement ou de la transplantation des organes ou tissus issus d’un don». 

Cela crée des tensions au sein des équipes médicales, a-t-il dit. «Les médecins sont en compétition pour les lits aux soins intensifs pour y maintenir en vie quelques jours un patient décédé qui est donneur et identifié ou tout autre patient victime d’un trauma dont la vie est en danger.» 

Dr Gaudreault croit qu’il faut donc régler en amont les enjeux d’accès aux lits et aux salles opératoires avant de changer le système de consentement. «Pour nous, ce n’est pas suffisant, à notre avis ça ne marchera pas. Les risques qu’on échoue sont plus grands si on y va seulement avec le consentement présumé. Ce n’est pas qu’on n’est pas d’accord avec cela, ce n’est que c’est pas suffisant», nuance-t-il. 

Il a proposé qu’un protocole de priorité des cas de donneurs soit élaboré et d’établir des lignes directrices pour encadrer l’accès au bloc opératoire.

Pour sa part, Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, affirme que la population québécoise doit d’abord bien comprendre le processus de don d’organes et les changements au système de consentement le cas échéant. «Si on change la loi pour créer une présomption, ça prend vraiment une campagne d’information et de sensibilisation», a-t-elle souligné. 

Elle a dit que le Barreau du Québec souhaite travailler avec les élus pour voir comment améliorer la situation. 

Comme c’est le cas présentement, advenant l’implantation du consentement présumé, la famille aurait le dernier mot sur le don d’organes, peu importe si la personne décédée a signé sa carte d’assurance maladie.

Pour cette raison, Transplant Québec souligne l’importance de parler de ses volontés avec ses proches. Au cours des dernières années, la discussion au Québec était surtout axée sur la signature de la carte de donneur. «Mais il faut aller une coche plus loin», a déclaré la directrice générale de Transplant Québec, Martine Bouchard. 

Elle rappelle l’importance de discuter avec sa famille et ses partenaires de ses volontés et de dire qu’on souhaite qu’elles soient respectées advenant un décès.

Registre unique 

La création d’une seule plateforme pour consentir ou refuser le don d’organes est demandée par les différents experts entendus à la commission parlementaire visant à étudier les moyens facilitant le don d’organes ou de tissus. 

Actuellement, il existe trois façons de faire connaître ses intentions concernant le don d’organes au Québec: via la carte d’assurance maladie, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et la Chambre des notaires. 

La totalité des experts entendus mardi et mercredi ont fait valoir qu’il était nécessaire que le gouvernement mette en place un seul guichet, accessible 24h sur 24, et qu’il soit convivial. 

Cela faciliterait la tâche de signifier son consentement ou son refus pour la population, mais aussi pour les professionnels de la santé qui doivent valider le statut de la personne décédée. 

«Il existe des registres dans d’autres juridictions qui sont en ligne, qui sont accessibles, qui ne demandent pas qu’on reçoive un papier, c’est assez simple», a indiqué le directeur médical à Transplant Québec, Dr Prosanto Chaudhury. Il a fait savoir qu’aux États-Unis, les gens peuvent consentir au don d’organe à partir de leur cellulaire grâce à l’organisation à but non lucratif Donnate Life. Il estime que le Québec possède les mêmes technologies qui permettraient de lancer un registre universel de ce type assez rapidement. 

Mélanie Bourassa Forcier, professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke, Fellow CIRANO, a proposé que les élus envisagent d’ajouter certaines options, par exemple la possibilité de donner certains organes seulement. Me Nicholas Hébert-Gauthier, avocat chez Bélanger Sauvé s.e.n., a donné l’exemple du coeur qui est souvent un organe sensible pour certaines communautés. 

«Il faut penser à différentes modalités qui pourraient permettre d’accroître la confiance des individus envers le don d’organes», a mentionné Mme Bourassa Forcier. 

Selon elle, il est primordial de s’assurer que le consentement ou le refus soit connu pour chaque Québécois, mais qu’il n’y ait pas «de case vide».

Piètre performance du Québec

La directrice générale de Transplant Québec, Martine Bouchard, a indiqué que le taux de donneur par millions d’habitants s’élevait à 16,7 au Québec, la moyenne canadienne étant de 19,3. 

«Si on regarde le nombre de donneurs par million d’habitants, nous sommes en queue de peloton par rapport à nos voisins (au Canada) ou même d’autres juridictions hors mer. On a déjà été très performant et on ne l’est plus.

«On s’est fait dépasser pour toutes sortes de raison. Le fait qu’on n’ait pas de loi, le fait que les différentes juridictions aient accordé des ressources financières vraiment supplémentaires à ce que nous avons ici au Québec», a énuméré Mme Bouchard. 

Le Dr Chaudhury a soutenu que les autres juridictions performantes ont souvent une loi qui désigne un organisme en don et en transplantation avec les pouvoirs nécessaires pour assurer leur rôle. Qu’un organisme voué à chapeauter l’ensemble du processus de don d’organes au Québec soit désigné par le gouvernement fait partie des demandes phares de Transplant Québec. 

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