Élus munipaux menacés: Québec n’écarte pas des mesures punitives

Patrice Bergeron, La Presse Canadienne
Élus munipaux menacés: Québec n’écarte pas des mesures punitives

RIVIÈRE-DU-LOUP, Qc — Devant le cri du cœur de plusieurs maires et conseillers, le gouvernement Legault n’écarte pas des mesures punitives contre les citoyens qui attaquent les élus. 

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a annoncé mercredi l’entrée en vigueur d’une aide psychologique pour les élus et leurs familles et du même souffle, elle a évoqué des mesures législatives à venir. 

Pas moins de 741 des 8000 élus municipaux ont quitté leurs fonctions depuis 2021 et la démission la semaine dernière de la mairesse de Gatineau, France Bélisle, a créé une onde de choc, qui s’ajoutait aux difficultés exprimées par les maires des grandes villes au cours des dernières années. 

En conférence de presse à Rivière-du-Loup, dans le Bas-Saint-Laurent, la ministre a affirmé qu’elle n’écarte pas des mesures punitives contre les personnes qui se comportent de façon inacceptable avec les conseillers et maires.

Présent à la conférence de presse, le maire de Rimouski, Guy Caron, qui fait lui-même face à des contestataires agressifs à son conseil municipal, a salué l’ouverture de la ministre.

«On espère des mesures législatives», a-t-il dit en entrevue avec La Presse Canadienne.

À titre d’exemple, il a fait remarquer qu’il ne peut interdire à des citoyens de se présenter aux séances du conseil municipal à moins de s’adresser à la cour. 

Lundi, M. Caron a dû demander l’intervention de la Sûreté du Québec (SQ) contre l’irruption d’un groupe d’activistes qui a perturbé la séance du conseil.

L’enjeu des menaces et du harcèlement est encadré par le Code criminel, qui relève du fédéral, et les corps policiers peuvent alors intervenir, mais Mme Laforest ne ferme donc pas la porte à des sanctions pénales ou autres.

«On va vraiment bien englober le tout» avec des mesures législatives à venir, a-t-elle laissé entendre. Elle a rappelé que la Commission municipale du Québec (CMQ) avait déjà toutefois des outils pour lutter contre les «citoyens quérulents».

Pas moins de 74 % des élus municipaux disent subir du harcèlement et de l’intimidation, selon un sondage de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) cité par la mairesse de Granby, Julie Bourdon, qui représentait l’UMQ à l’annonce de mercredi.

Mme Laforest a attribué cette flambée de l’incivilité visant les élus à la pandémie: beaucoup de personnes ont alors adopté derrière leur écran d’ordinateur des comportements désobligeants, mais les ont conservés par la suite. 

Des conseillers et leurs proches se font ainsi harceler à la banque, au supermarché, voire à leur domicile.

«Il faut savoir pourquoi ces (741 élus municipaux) ont démissionné», a demandé Mme Bourdon, pour savoir comment mieux aider les élus et mettre d’autres mesures en place. 

En entrevue avec La Presse Canadienne, elle a notamment évoqué le fait que les conseillers et maires peuvent se sentir impuissants et dépassés, du fait de nombreuses responsabilités qui se sont ajoutées dans les dernières années, itinérance, crise du logement, changements climatiques, sans que les municipalités aient les ressources pour les assumer adéquatement. 

Aide psychologique

La ministre a annoncé que Québec versera plus de 2 millions $ à l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et à la Fédération québécoise des municipalités (FQM), notamment pour offrir un service d’aide par téléphone, en lien avec un psychologue.

«Les élus municipaux, contrairement aux employés de la ville, n’avaient aucun accès à ce genre de services, donc il fallait agir rapidement», a déclaré Mme Laforest.

Le président de la FQM, Jacques Demers, ainsi que Mme Bourdon ont fait savoir que leurs membres demandaient la mise en place d’un tel service. 

Les proches de l’élu pourront aussi recourir au service d’aide, car ils sont aussi éprouvés par le climat de menaces, voire visés directement, ce que déplore M. Demers.

Une personne qui a choisi la vie politique s’attend à subir de la pression et être confrontée à l’adversité, mais pas ses proches, qu’il ne faut pas attaquer, a-t-il résumé.

«Ceux qui sont autour (de l’élu), on ne touche pas à ça», a-t-il lancé.  

La ministre a aussi annoncé que dans les premiers mois après les élections, les élus devront suivre une formation obligatoire avec plusieurs thématiques «pour bien les outiller».

Démissions et difficultés

L’annonce de Québec survient quelques jours après la démission fracassante de la mairesse de Gatineau, France Bélisle, qui a reçu une vague de soutien et d’encouragements des maires d’autres villes.

Lors de l’annonce de sa démission, Mme Bélisle avait invité le gouvernement du Québec à réfléchir «sur cet exode des élus municipaux, mais aussi sur toutes les élections par acclamation».

«Je pense qu’il faut toutes et tous s’inquiéter d’un service public qui n’a plus la cote», avait-elle alors souligné.

Avant elle, la jeune mairesse de Chapais, Isabelle Lessard, qui s’était illustrée dans la lutte contre les incendies de forêt dans sa région, avait aussi lancé la serviette en novembre. 

En octobre, la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, avait annoncé son retrait temporaire pour des raisons de santé, sur avis de son médecin. Au début de février, elle a aussi évoqué les tensions au conseil municipal et le travail de sape de l’opposition. 

En outre, en janvier 2023, le maire de Trois-Rivières, Jean Lamarche, avait également pris une pause de quelques semaines en raison d’un «climat de travail malsain» à l’hôtel de ville. Il avait même songé à démissionner.   

Dans une lettre ouverte, la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a appelé à un changement de «culture politique». 

Visée par des commentaires agressifs dans les réseaux sociaux et placée sous protection policière depuis septembre, elle a soutenu que les élus devaient eux-mêmes donner l’exemple et qu’«il n’est pas normal de constater les climats toxiques d’intimidation qui peuvent régner dans les hôtels de ville… et dans nos parlements».

Commission parlementaire réclamée

Vendredi, le Parti libéral du Québec (PLQ) a demandé à ce qu’une commission parlementaire se penche sur l’enjeu des menaces et de l’incivilité qui vise les élus, particulièrement dans les municipalités. 

La ministre Laforest a évité de se prononcer vendredi sur la pertinence d’une commission parlementaire pour étudier d’urgence la question.

Lors de la démission de Mme Bélisle, elle avait toutefois soutenu que le gouvernement «fait sa part pour soutenir les élus dans leurs fonctions».

Sur le réseau X, anciennement Twitter, elle avait toutefois ajouté qu’«il est important que certains changements s’opèrent de l’intérieur des conseils avec une volonté sincère et au bénéfice des citoyens».

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