Des Ukrainiens au Québec craignent de ne pas satisfaire aux exigences de français

Thomas MacDonald, La Presse Canadienne
Des Ukrainiens au Québec craignent de ne pas satisfaire aux exigences de français

MONTRÉAL — Inna Gonchukova ne s’attendait jamais à vivre au Canada. Mais près de deux ans après avoir fui l’Ukraine déchirée par la guerre, elle dit s’être à peu près habituée à la vie à Granby, en Estrie, même si elle a hâte de retourner un jour dans son pays d’origine et de retrouver son mari qui est resté derrière.

«Mon mari a sa guerre et j’ai ma propre guerre ici, parce que je dois donner à mes enfants le meilleur avenir», a raconté Mme Gonchukova lors d’un entretien téléphonique, samedi.

Cependant, elle indique que l’avenir est incertain. Elle envisage de rester au Québec et a même suivi des cours de français, mais elle ne sait pas si elle aura le temps de développer davantage ses compétences linguistiques et de se préparer à l’examen qu’elle devra passer pour démontrer sa maîtrise du français, une exigence pour de nombreux programmes d’immigration de la province.

«Ce n’est pas si facile, confie-t-elle. Il faut se préparer et il faut avoir du temps. En tant que mère célibataire de deux enfants, et je travaille beaucoup, c’est difficile de se préparer, difficile de trouver le temps.»

Mme Gonchukova fait partie des Ukrainiens déplacés au Québec qui ne sont pas sûrs de pouvoir répondre aux exigences de français. Comme de nombreux Ukrainiens, elle est arrivée au Canada grâce à un programme fédéral qui lui permet de rester et de travailler dans le pays pendant trois ans, appelé Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine.

Les bénéficiaires ont jusqu’à la fin mars pour demander la prolongation de leur statut de résident temporaire.

Toutefois, l’avocate spécialisée en droit de l’immigration Nataliya Dzera affirme que même avec une prolongation, il sera difficile pour certains membres de la communauté d’atteindre le niveau de maîtrise du français souvent nécessaire pour immigrer au Québec.

Mme Dzera travaille avec des Ukrainiens déplacés par la guerre et dit que beaucoup sont arrivés au Québec avec peu ou pas de compétences en français parce qu’ils ne s’attendaient jamais à vivre dans la province. Deux ans plus tard, le français est toutefois devenu la clé pour certaines personnes cherchant à s’installer de manière plus permanente dans ce qui était autrefois un refuge temporaire.

«Mais cela ne va pas être facile et tout le monde ne sera pas en mesure de le faire», a déclaré Mme Dzera, à propos des Ukrainiens qui tentent d’apprendre le français tout en subvenant aux besoins de leur famille et en répondant à d’autres exigences professionnelles.

Une mise à jour de la politique d’immigration du Québec, l’année dernière, a rendu la maîtrise du français obligatoire pour tous les principaux programmes d’immigration économique et a éliminé la possibilité pour certaines personnes d’immigrer sans passer un examen de français, a expliqué Mme Dzera.

D’autres flux d’immigration, tels que les programmes humanitaires et de regroupement familial, ont une portée plus limitée et sont probablement inaccessibles à de nombreux Ukrainiens, a-t-elle ajouté.

Mme Gonchukova dit qu’elle pourrait demander le parrainage de son employeur, ou même retourner en Europe et demander la résidence permanente à l’extérieur du Canada.

Tetiana Iriohlu est une autre Ukrainienne déplacée qui dit que sa vie a été bouleversée lorsque l’invasion russe a commencé le 24 février 2022. Elle et ses deux filles se sont finalement installées à Longueuil, et elle espère y rester. Mme Iriohlu a également suivi des cours de français et envisage de demander la résidence permanente. Elle indique qu’elle a déjà réussi une section d’expression orale du test de français requis et qu’elle prépare un deuxième examen de compréhension orale.

Elle est confiante dans sa réussite et affirme avoir bénéficié du soutien de la communauté ukrainienne et québécoise. D’autres n’ont pas ce privilège, a-t-elle souligné. 

«Beaucoup de mères célibataires venues avec des enfants ne connaissaient ni l’anglais ni le français, a-t-elle affirmé. Et elles acceptent des emplois peu qualifiés, ce qui limite considérablement leur capacité à demander la résidence permanente, et elles doivent quand même apprendre le français. Cette mission est extrêmement difficile.»

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