C-18: Québec veut exclure le diffuseur public, Ottawa ne s’y engage pas

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne
C-18: Québec veut exclure le diffuseur public, Ottawa ne s’y engage pas

OTTAWA — Le ministre québécois des Communications, Mathieu Lacombe, demande à Ottawa d’exclure CBC/Radio-Canada de la distribution des 100 millions $ promis par Google, mais sa vis-à-vis fédérale, Pascale St-Onge, ne s’avance pas.

«Ça s’adresse à des médias privés qui perdent des revenus publicitaires, donc je pense que(le diffuseur public) devrait être exclu de ce partage de revenus», a dit jeudi M. Lacombe,en mêlée de presse dans les couloirs de l’Assemblée nationale.

Celui qui a été chef d’antenne au réseau TVA a aussi affirmé que le gouvernement de François Legault réclame que Québec ait «son mot à dire dans la façon dont vont être partagés les revenus».

«Vous avez des médias comme «La Presse» ou «Le Devoir» qui n’ont pas de subventions, qui ont accès à des crédits d’impôt, mais qui voient leurs revenus publicitaires fondre comme neige au soleil», a poursuivi  le ministre au cours d’une entrevue avec La Presse Canadienne.

Hebdos Québec, qui regroupe environ 120 journaux et 350 professionnels de l’information, est aussi d’avis que CBC/Radio-Canada ne devrait pas avoir accès aux fonds prévus dans le cadre de la loi C-18, ou Loi sur les nouvelles en ligne.

«Ils sont déjà subventionnés à la hauteur d’un milliard par année. (…) Ils ont le droit de vendre de la publicité (…) pour la télévision. Ça, c’est un gros privilège (…) et de là à aller chercher une partie du montant de Google, ça serait de pousser le bouchon un peu fort», a soutenu en entrevue le président du conseil d’administration d’Hebdos Québec, Benoit Chartier.

La ministre fédérale du Patrimoine envoie le message, depuis mercredi, qu’elle a tenu compte des préoccupations quant à la part de tarte que pourrait obtenir le diffuseur public.

Le nouveau cadre qui doit entrer en vigueur avec C-18, en date du 19 décembre, vise à forcer les géants du numérique à conclure des ententes d’indemnisation avec les médias d’information pour le partage de leur contenu.

Le diffuseur public répond aux critères d’admissibilité établis dans le libellé de la loi, a souligné Mme St-Onge à plusieurs reprises. Elle a invité tous les intervenants à rester à l’affût quant à la réglementation finale qui encadrera la mise en oeuvre de la législation.

«Oui, la réalité du marché est très difficile présentement, surtout pour les médias privés, et on va (prendre) ça en considération dans la réglementation finale», a-t-elle promis jeudi.

Cette réglementation doit être publiée bientôt. Selon l’ébauche dévoilée en septembre, une entente entre une entreprise du numérique et un média devrait prévoir une compensation qui se situe dans une fourchette d’au moins 20 % de la moyenne, pour l’ensemble des accords, du ratio entre l’indemnisation versée et le montant qui représente les salaires des journalistes à temps plein.

Il reste à voir quels changements auront été apportés. «On a évidemment considéré le fait que CBC et Radio-Canada engagent environ le tiers de l’effectif journalistique au pays», a dit la ministre St-Onge en comparaissant au comité du patrimoine de la Chambre des communes.

Le terrain d’entente trouvé par Ottawa avec Google prévoit que la somme promise par le géant du numérique sera versée à un seul collectif représentant une panoplie de médias. Il est ensuite prévu que les 100 millions $ – injectés annuellement et indexés à l’inflation – soient redistribués à travers les membres de ce regroupement.

Il semble donc que le gouvernement Trudeau tente d’éviter tout scénario où les petits médias locaux ne se retrouvent qu’avec une proportion qu’ils jugeraient non équitable par rapport à de plus gros joueurs comme CBC et Radio-Canada.

M. Chartier d’Hebdos Québec a indiqué avoir entendu parler d’une possibilité de fixer un plafond limitant la fraction des 100 millions $ qui irait au diffuseur public. «Si c’est un montant assez minime, on pourrait faire affaire avec.» Il a ensuite précisé que cette proportion devrait être «très minime» à ses yeux.

«CBC/Radio-Canada (…) bénéficie d’une entrée d’argent continuelle, année après année. Nous, on est des entreprises privées, à profit, a-t-il ajouté. Alors, à partir de cette prémisse-là, les temps sont très, très durs (et) cette aide-là, on considère qu’elle nous revient avant toute chose.»

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, partage cette lecture de la situation. «Je pense qu’à des fins d’équilibre dans le marché et à des fins de stimulation d’une présence de médias privés, en particulier dans les régions, Radio-Canada ne devrait pas avoir accès à ces sommes», a-t-il tranché.

Les conservateurs s’opposent depuis le début des discussions sur C-18 à ce que CBC et Radio-Canada obtiennent des sommes dans le cadre de la législation. De façon plus générale, les troupes de Pierre Poilievre rejettent sur toute la ligne la Loi sur les nouvelles en ligne.

De son côté, CBC/Radio-Canada a déclaré mercredi qu’il «suivr(a) attentivement les prochaines étapes de ces discussions».

Appelé à commenter davantage jeudi, le diffuseur public s’en est tenu à rappeler que «le gouvernement fédéral a indiqué que les détails de cette entente seront fournis dans la réglementation qui sera publiée avant l’entrée en vigueur de la loi».

«CBC/Radio-Canada croit que cette entente constitue une avancée importante pour garantir que tous les médias canadiens reçoivent une indemnisation équitable pour les contenus d’information qu’ils produisent et que Google utilise pour générer des revenus», a-t-on réitéré.

Les dispositions de C-18 ne pourront s’appliquer que lorsque les plateformes permettent le partage d’articles ou de reportages au Canada. Ainsi Meta, qui a fermé le robinet aux nouvelles canadiennes dès le mois d’août, échappe à la loi.

Google menaçait de faire de même, mais continuait de discuter avec le gouvernement fédéral. Une entente a finalement été annoncée mercredi, à environ trois semaines de l’entrée en vigueur de C-18, prévue le 19 décembre.

Outre la contribution monétaire de Google, des contributions autres, comme de l’aide technologique, devraient s’ajouter. D’autres géants du numérique, comme Microsoft, pourraient aussi conclure des ententes d’indemnisation dans le cadre de C-18.

– Avec des informations de Thomas Laberge, à Québec, et de Michel Saba, à Ottawa

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