Une horlogère ukrainienne répare une tour d’horloge de T.-N. brisée depuis des années

Sarah Smellie, La Presse Canadienne
Une horlogère ukrainienne répare une tour d’horloge de T.-N. brisée depuis des années

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Dans une confluence improbable de conflits géopolitiques, d’émerveillement d’enfance et d’air salin, une horlogère ukrainienne a réparé une horloge municipale vieille de 118 ans dans l’est de Terre-Neuve qui n’indiquait plus l’heure depuis des décennies.

Liudmyla Pass, 68 ans, était à Terre-Neuve depuis moins d’un mois lorsqu’elle a gravi mardi les escaliers menant à la tour de l’horloge longtemps silencieuse de la ville côtière de Carbonear, armée de ses outils et de cinq décennies d’expertise.

Environ quatre heures plus tard, les mécanismes de l’horloge claquaient et tournaient, a déclaré sa fille, Yulia Veretennyk. Le métal était rouillé et recouvert de sel provenant de l’air marin, a fait savoir Mme Veretennyk, traduisant pour sa mère. Mme Pass l’a bien frotté puis a soigneusement réinitialisé les machines.

«Je suis très fière, mais j’ai toujours été fière de ma mère parce que je sais qu’elle est unique, a déclaré Mme Veretennyk. Je suis heureuse qu’elle soit enfin appréciée.»

Mme Pass a atterri avec son mari à l’aéroport international de St. John’s le 25 novembre après avoir fui l’invasion russe de son pays. Mme Veretennyk, 37 ans, vivait déjà à Terre-Neuve ; elle est arrivée en mai 2022 avec son mari et ses deux enfants sur le premier des quatre vols nolisés par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour les Ukrainiens fuyant la guerre.

Mme Veretennyk et sa famille, y compris sa mère et son père, vivent maintenant à Chapel’s Cove, une ville côtière d’environ 1065 habitants située dans la baie de la Conception à Terre-Neuve. À proximité, Carbonear est l’une des plus anciennes colonies européennes de la province, et sa tour de l’horloge s’élève sur l’ancien bureau de poste de la ville, un bâtiment en planches à clin de couleur beurre avec des bordures vert forêt le long de la rue principale de la communauté.

Le bâtiment abrite désormais la Carbonear Heritage Society, qui a publié des articles sur la tour de l’horloge sur les réseaux sociaux en octobre. «Ne serait-ce pas génial si en 2025, à l’occasion du 120e anniversaire de l’horloge, elle fonctionnait à nouveau», indique le message.

Mme Veretennyk a vu le message et leur a immédiatement écrit pour l’informer de l’arrivée imminente de sa mère.

Mme Pass avait cinq ans lorsqu’elle est tombée amoureuse des horloges. Elle a rencontré pour la première fois un horloger dans un magasin de jouets de son village et elle a été complètement fascinée, a raconté Mme Veretennyk.

«Elle pensait qu’ils venaient d’un conte de fées, ou comme Merlin, dit-elle. Elle pensait que c’était une sorte de magie.»

Quand Mme Pass avait 15 ans, elle a découvert une université à proximité où elle pouvait apprendre à réparer des horloges et des montres, mais ses parents ne voulaient pas qu’elle y aille, a mentionné Mme Veretennyk. Alors elle s’est enfuie. Mme Pass est restée chez des amis et a commencé ses études, et ses parents n’ont eu d’autre choix que de l’accepter.

L’Ukraine faisait alors partie de l’Union soviétique et le gouvernement de l’époque dictait où les gens vivaient et travaillaient, a précisé Mme Veretennyk. Lorsque Mme Pass a obtenu son diplôme, elle a été envoyée dans une ville d’environ 16 000 habitants au centre de l’Ukraine. Elle avait 17 ans lorsqu’elle a ouvert son entreprise là-bas, réparant des montres et des horloges, a déclaré Mme Veretennyk.

«Elle était la seule personne dans notre ville à réparer des horloges et les gens la connaissaient», a indiqué Mme Veretennyk.

Depuis qu’elle a exercé sa magie mardi, tout le monde autour de Carbonear la connaît aussi. Keith Thomas, président de la Carbonear Heritage Society, a soutenu que la réparation faite par Mme Pass a montré aux gens que les bâtiments et les objets précieux de leur passé valent la peine d’être réparés – et méritent d’être sauvés. Il a affirmé que les gens regardent désormais la tour et ressentent de la fierté, de la gratitude et de l’émerveillement.

«Qu’une Ukrainienne, un couple qui a été contraint de quitter son pays à cause de la guerre, vienne sur les côtes d’une petite île appelée Terre-Neuve, puis répare une tour d’horloge dans un bâtiment historique ? Eh bien, cela vous donnerait des frissons», a-t-il déclaré dans une entrevue. 

M. Thomas a 57 ans et il a dit qu’il n’avait jamais vu l’horloge fonctionner correctement et indiquer l’heure.

Mme Veretennyk a déclaré que depuis que sa mère a réparé l’horloge, les gens lui apportent leurs propres montres et horloges à réparer, garantissant ainsi que sa mère n’aura pas à abandonner son métier – ou son entreprise – en Ukraine.

«Nous n’avons pas le choix, a mentionné Mme Veretennyk à propos du lancement d’une nouvelle entreprise par Mme Pass à Terre-Neuve. Tout le monde veut que ses propres horloges, les montres de (ses) grands-pères, grands-mères soient réparées, et nous ne pouvons pas dire non.»

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