Une élue conservatrice s’excuse après avoir réclamé une réponse en anglais

Michel Saba, La Presse Canadienne
Une élue conservatrice s’excuse après avoir réclamé une réponse en anglais

OTTAWA — La députée conservatrice Rachael Thomas s’est excusée jeudi après avoir suscité un tollé pour avoir demandé à la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, de répondre en anglais à ses questions.

Dans un bref message transmis à la présidente du comité parlementaire où elle intervenait, Mme Thomas affirme que «les conservateurs soutiennent le bilinguisme officiel, la préservation de la langue française au Canada et le droit des Canadiens à communiquer dans la langue de leur choix».

Plus tôt en matinée, l’élue albertaine, qui est porte-parole de sa formation en matière de Patrimoine canadien, avait dit qu’elle constatait que la ministre lui répondait systématiquement en français, mais qu’elle répondait en anglais lorsque les questions provenaient des libéraux.

«Je me rends bien compte que c’est entièrement votre choix, nous sommes un pays bilingue, mais, si c’est possible, j’aimerais que ça soit en anglais», a-t-elle ajouté.

Les commentaires d’indignation fusaient avant même la fin de sa phrase, enterrant sa voix. «C’est ridicule, ça», pouvait-on entendre.

«Est-ce que tout le monde peut cesser de crier. Il y a au moins cinq personnes qui crient pour des rappels au règlement», a déclaré la présidente du comité du Patrimoine canadien, Hedy Fry, qui tentait péniblement de déterminer qui devait avoir la parole en premier.

Le porte-parole bloquiste en matière de Patrimoine, Martin Champoux, a parlé de commentaires «insultants» pour les Québécois et les francophones et a noté que le service d’interprétation est «extrêmement efficace».

Des libéraux ont déclaré que cela va «à l’encontre de tout ce sur quoi ce pays a été fondé», que c’est «inacceptable» et que ça va même «à l’encontre de nos valeurs de base comme Canadiens».

Lorsque la députée a réitéré sa demande, le porte-parole néo-démocrate en matière de Patrimoine canadien, Peter Julian, a entrepris de l’«éduquer».

«Pour avoir été élevé dans un environnement anglophone et avoir appris le français à l’école, il y a de nombreuses occasions où votre vocabulaire dans une langue vous permet de vous exprimer plus facilement dans cette langue et c’est le principe du bilinguisme officiel», a-t-il dit.

Selon lui, il est «absolument répréhensible» de «remettre en question» cette notion. «Je n’en reviens pas à quel point ce parti est rendu radical et extrême depuis que le député de Carleton (Pierre Poilievre) en a pris le contrôle», a-t-il soutenu.

À la reprise de son témoignage, la ministre a expliqué, en français, qu’elle répond dans sa langue maternelle parce qu’elle a «beaucoup de respect pour les questions de ma collègue» et qu’elle souhaite être «certaine d’utiliser le bon vocabulaire», de répondre avec clarté et adéquatement.

La présidente du comité a, à plusieurs reprises, confirmé que le rappel au règlement est valide et que la ministre peut s’exprimer dans la langue officielle de son choix.

Durant tout l’échange, aucun conservateur n’a pris la défense de Mme Thomas. Et les journalistes tentaient d’arracher les vers du nez de ceux qui arrivaient à la période des questions.

Le député Kevin Waugh, qui était présent dans la pièce du comité, a mentionné par lui-même qu’il s’est tenu «plutôt calme» lorsque ça s’est produit, et que «non» ce n’était pas parce qu’il était d’accord.

«Speak White»

Pour le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il est évident pour quiconque «avec troisième année B forte» qu’une telle demande ne peut pas se faire, et «en particulier ici» dans les édifices du Parlement d’un «pays qui se prétend bilingue».

«C’est une bonne vieille réminiscence de ce bon vieux Ouest canadien, de ce bon vieux “Speak White”, a-t-il résumé. Parle-moi en anglais, moi je parle anglais. Tu es au Canada. Tu dois me parler en anglais si je veux parler en anglais, avec un mépris suintant. Les conservateurs se définissent eux-mêmes.»

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, a jugé «grave» que l’élue «ne compren(ne) pas où elle est» et qu’il est «extrêmement méprisant» qu’elle «pointe du doigt» la ministre.

Les parlementaires ont le «droit acquis» de «poser des questions dans la langue de leur choix et (…) de répondre dans la langue de leur choix», a-t-il insisté.

Quant à la ministre St-Onge, qui a répondu aux questions des journalistes quelques heures plus tard alors que la poussière retombait, elle a dit avoir trouvé l’épisode «très insultant, (…) très déplacé, puis très méprisant».

Cette nouvelle controverse linguistique survient quelques jours après qu’un député bloquiste unilingue francophone, Mario Simard, s’est dit brimé dans ses droits linguistiques et en a imputé le blâme aux conservateurs.

Le problème tient au fait que les interprètes cessent de traduire les délibérations de ce comité des ressources naturelles où siège l’élu en raison de la cacophonie, ce qui l’empêche de suivre les délibérations.

Les députés conservateurs, qui font de l’obstruction parlementaire au comité, considèrent plutôt qu’ils ont le droit de parler par-dessus d’autres élus qui ont la parole et que le président les a induits en erreur en invoquant des enjeux de santé et de sécurité pour les interprètes.

La Loi constitutionnelle précise que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada, qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

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