Un approvisionnement plus sécuritaire aux opioïdes réclamé en Nouvelle-Écosse

Lyndsay Armstrong, La Presse Canadienne
Un approvisionnement plus sécuritaire aux opioïdes réclamé en Nouvelle-Écosse

HALIFAX — Alors que les drogues illicites qui ont dévasté l’Ouest et le centre du Canada deviennent de plus en plus répandues en Nouvelle-Écosse, un médecin d’Halifax réitère sa demande pour élargir l’accès à un traitement «d’approvisionnement plus sécuritaire en opioïdes» afin de prévenir les surdoses et les décès.

Les opioïdes vendus et consommés en Nouvelle-Écosse sont de plus en plus imprévisibles et souvent contaminés, a indiqué le docteur Mike Gniewek, médecin de famille et de toxicomanie au sein de l’unité Mobile Outreach Street Health d’Halifax, dans une récente entrevue.

Pour sauver plus de vies, davantage de médecins de la région de l’Atlantique devraient être formés sur la manière de traiter certains patients avec des opioïdes de qualité pharmaceutique – connus sous le nom d’opioïdes d’approvisionnement plus sécuritaires – une approche médicale dans laquelle les toxicomanes se voient prescrire ce qui est considéré comme une alternative plus sécuritaire à ce qu’ils consomment. 

Cette approche, a-t-il dit, s’accompagne d’une surveillance continue et d’un soutien en matière de soins de santé primaires.

«Est-ce parfaitement sécuritaire? Non, mais c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus sécuritaire que le marché illicite, parce que les gens disposent d’une quantité étiquetée d’un opioïde dont ils connaissent l’effet prévisible», a-t-il soutenu.

Le problème à l’heure actuelle, a-t-il expliqué, est qu’il ne connaît que trois médecins dans la province disposés à prescrire à leurs patients un approvisionnement plus sécuritaire en opioïdes – et il est l’un d’entre eux.

Inquiétudes pour l’Est du pays

Bien avant 2017, le docteur Gniewek et ses collègues surveillaient les effets dévastateurs de ces médicaments dans l’Ouest canadien, espérant que l’Est du pays soit moins touché. 

«J’ai définitivement commencé à m’inquiéter il y a un an ou deux, et je m’inquiète de plus en plus chaque jour qui passe», a-t-il indiqué.

Le docteur Gniewek, qui fait partie d’une équipe qui fournit des soins de santé primaires et un traitement de réduction des méfaits de la toxicomanie aux patients sans-abri ou dans un logement instable, affirme que le fentanyl est devenu un «acteur de premier plan» sur le marché de la drogue à Halifax.

«Et cela n’a fait qu’augmenter ces derniers temps. Même au cours du mois dernier, nous avons constaté une légère augmentation des méfaits liés aux surdoses», a-t-il souligné.

«Nous avons constaté davantage de tests de dépistage de contaminants dans l’approvisionnement en drogues, et nous voyons davantage de fentanyl et d’analogues du fentanyl.»

Le traitement en question est plus approprié pour les personnes souffrant de dépendances graves, celles qui font une surdose hebdomadaire ou qui utilisent du fentanyl ou des analogues du fentanyl, a-t-il déclaré. 

Actuellement, le docteur Gniewek et deux autres médecins de sa clinique prescrivent une dose d’opioïde aux patients d’Halifax à «très petite échelle».

«Et cela doit absolument augmenter», a-t-il dit, ajoutant que toute prescription d’approvisionnement sécuritaire doit être accompagnée d’une formation, d’un soutien et d’un suivi des patients adéquats.

Record de décès en Nouvelle-Écosse

Depuis 2016, Santé Canada a enregistré 38 514 décès par surdose liés aux opioïdes, la plupart en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. Entre janvier et mars de cette année, il y a eu plus de 1900 décès par surdose d’opioïdes dans le pays, soit une moyenne de 21 par jour.

La Nouvelle-Écosse a un record de 63 décès liés à une intoxication aux opioïdes en 2023, soit le même nombre qu’en 2022. En 2021, 40 décès liés à une intoxication aux opioïdes ont été signalés, contre 49 décès en 2020.

Le 8 décembre 2023, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en Nouvelle-Écosse a diffusé un avertissement concernant les drogues illicites après deux surdoses mortelles présumées le même jour – impliquant un homme de 31 ans et un homme de 35 ans – à Springhill, une ville d’environ 2700 habitants dans le comté de Cumberland.

La GRC avait lancé un avertissement similaire en octobre à la suite du décès présumé par surdose d’une personne de moins de 18 ans dans une maison de Cole Harbour, une banlieue à l’extérieur de Dartmouth, le 15 octobre; deux autres personnes de moins de 18 ans avaient été transportées à l’hôpital en ambulance. Plus tard dans la soirée, la GRC s’est rendue sur les lieux d’une autre surdose présumée et a administré de la naloxone, qui inverse les effets des opioïdes, à un homme de 34 ans.

Sauver des vies

Les données montrent que donner aux consommateurs de drogues une dose prescrite d’une drogue similaire à celle à laquelle ils sont dépendants peut sauver des vies et améliorer les résultats en matière de santé, a affirmé Gillian Kolla, scientifique collaboratrice de l’Institut canadien de recherche sur l’usage de substances et professeure adjointe à la faculté de médecine de l’Université Memorial.

Un rapport de septembre 2022 dans le Journal de l’Association médicale canadienne co-écrit par Mme Kolla a révélé qu’en Ontario, il y avait une diminution rapide des visites aux urgences et des admissions à l’hôpital parmi les personnes inscrites à un programme d’approvisionnement plus sécuritaire.

Le principe d’un approvisionnement plus sécuritaire est simple, a indiqué Mme Kolla, et est aligné sur la manière dont le Canada réglemente l’alcool et le cannabis pour garantir que les clients sachent ce qu’ils achètent.

«Partout au Canada, il existe de nombreux marchés de drogues différents à différents endroits, de sorte que la crise des drogues toxiques se déroule différemment selon les provinces, voire selon les villes», a précisé Mme Kolla dans une récente entrevue.

La Colombie-Britannique et l’Alberta ont commencé à voir les taux de surdose augmenter considérablement entre 2015 et 2016, et la même chose s’est produite en Ontario en 2017, a-t-elle déclaré. 

«C’est à ce moment-là que l’approvisionnement non réglementé en drogues est passé de l’héroïne au fentanyl.»

L’héroïne est devenue extrêmement difficile à trouver dans de nombreuses régions, a relaté Mme Kolla, ajoutant que les consommateurs de drogues en Ontario déclarent ne pas avoir accès à l’héroïne depuis 2017, les obligeant à se tourner vers différentes drogues comme le fentanyl, qui est synthétique.

Chaque fois qu’une certaine drogue devient difficile à obtenir, les fournisseurs «doivent faire preuve de créativité» et développer différents mélanges d’opioïdes, en ajoutant parfois d’autres drogues, notamment des sédatifs comme les benzodiazépines.

Mme Kolla a déclaré que l’accent mis depuis longtemps par le Canada sur le recours à la police pour gérer les drogues illicites n’a «pas donné de bons résultats». 

«En fait, le principal résultat est que nous disposons d’un approvisionnement beaucoup plus puissant et dangereux.»

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