Trudeau fustige les déclarations de Nétanyahou sur la frappe contre les humanitaires

Mia Rabson, La Presse Canadienne
Trudeau fustige les déclarations de Nétanyahou sur la frappe contre les humanitaires

OTTAWA — Les attaques contre des travailleurs humanitaires sont «inacceptables» et ne sont pas en tout cas «des choses qui arrivent en temps de guerre», a déclaré sur un ton très ferme Justin Trudeau, jeudi, fustigeant les déclarations du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à la suite de la frappe aérienne meurtrière contre des humanitaires dans le centre de la bande de Gaza, le 1er avril.

Le vétéran du Royal 22e régiment Jacob Flickinger, âgé de 33 ans, de la Beauce, est au nombre des sept travailleurs humanitaires tués alors qu’ils livraient de l’aide alimentaire pour l’organisation non gouvernementale «World Central Kitchen».

M. Nétanyahou a soutenu mardi qu’il s’agissait d’un tragique accident qui fera l’objet d’une enquête – mais aussi une conséquence du conflit armé. «Cela arrive en temps de guerre», a plaidé le premier ministre israélien.

En conférence de presse jeudi à Winnipeg, le premier ministre Trudeau a tenu à préciser qu’il n’était «pas d’accord avec le premier ministre Nétanyahou quand il dit que c’est des choses qui arrivent dans la guerre». 

«Non, ça n’arrive pas comme ça, a martelé M. Trudeau. Et ça ne devrait pas arriver lorsque des travailleurs humanitaires d’une organisation extraordinaire comme ‘World Central Kitchen’ risquent leur vie chaque jour dans un endroit incroyablement dangereux pour livrer de la nourriture à des personnes qui subissent une horrible catastrophe humanitaire.»

L’organisme «World Central Kitchen» exige une enquête indépendante et complète sur la frappe aérienne israélienne qui a tué sept de ses travailleurs humanitaires. Lorsqu’ils ont été touchés, ces employés faisaient partie d’un convoi humanitaire clairement identifié, qui venait de livrer 100 tonnes de nourriture dans un entrepôt du centre de la bande de Gaza, entre Rafah et Gaza.

Outre le Québécois Jacob Flickinger, la frappe israélienne a tué l’Australienne Lalzawmi (Zomi) Frankcom, 43 ans, le Polonais Damian Sobol, 35 ans, le Palestinien Saifeddin Issam Ayad Abutaha, 25 ans, ainsi que les Britanniques John Chapman, 57 ans, James Henderson, 33 ans, et James Kirby, 47 ans. 

M. Trudeau a déclaré jeudi qu’une «enquête entièrement ouverte, transparente, indépendante et rapide» était absolument nécessaire. Mais il a aussi ajouté qu’un cessez-le-feu et un afflux massif de soutien humanitaire étaient également essentiels.

«La réalité est que nous avons besoin de beaucoup plus d’aide humanitaire à destination de Gaza, de bien plus de protection des civils, des innocents et des travailleurs humanitaires», a-t-il dit.

«C’est pourquoi nous avons besoin d’un cessez-le-feu humanitaire. Nous avons besoin que le Hamas dépose les armes. Nous avons besoin que les otages soient libérés et nous avons besoin d’un cessez-le-feu pour permettre à cette catastrophe humanitaire de prendre fin le plus rapidement possible.»

Joe Biden s’impatiente 

La réaction internationale aux frappes aériennes meurtrières a été rapide et cinglante, à un moment où Israël faisait déjà face à de vives critiques pour le lourd bilan de cette guerre dans la bande Gaza. Le bilan palestinien des morts a dépassé les 33 000 personnes, avec plus de 75 600 blessés, a déclaré jeudi le ministère de la Santé, dirigé par le Hamas à Gaza.

Le président américain, Joe Biden, s’est entretenu jeudi au téléphone avec M. Nétanyahou pendant 45 minutes. Selon la Maison-Blanche, le président lui a dit que le futur soutien des États-Unis à cette guerre dépendait de nouvelles mesures israéliennes visant à protéger les civils et les travailleurs humanitaires.

«Il a clairement souligné la nécessité pour Israël d’annoncer et de mettre en œuvre une série de mesures spécifiques, concrètes et mesurables pour remédier aux dommages causés aux civils, aux souffrances humanitaires et à la sécurité des travailleurs humanitaires», a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué.

M. Biden «a clairement indiqué que la politique américaine à l’égard de Gaza sera déterminée par notre évaluation de l’action immédiate d’Israël sur ces mesures».

Les États-Unis ont été l’un des plus proches alliés d’Israël et ont approuvé plus tôt cette semaine le transfert de bombes supplémentaires à l’armée israélienne.

Mais M. Biden est de plus en plus frustré par l’aide humanitaire limitée qu’Israël autorise sur le territoire et par le nombre croissant de morts parmi les civils palestiniens.

Déplacements coordonnés avec Israël

Le fondateur de «World Central Kitchen», le chef cuisinier espagnol José Andrés, entretient une amitié avec les Biden; il préparait des repas à la Maison-Blanche lorsque le président Barack Obama était au pouvoir.

M. Andrés rejette l’affirmation d’Israël selon laquelle il s’agissait d’une frappe «accidentelle». Il rappelle que l’ONG avait une communication claire avec Israël sur le moment et le lieu où les travailleurs humanitaires se déplaceraient. Il a aussi déclaré que le droit d’Israël à se défendre ne s’étendait pas au meurtre d’innocents.

Jonathan Duguay, un ami proche de Jacob Flickinger, qui travaillait à Chypre pour «World Central Kitchen» au moment de l’attaque, a d’ailleurs précisé à La Presse Canadienne que le Beauceron d’origine n’avait pas peur parce que les livraisons d’aide étaient justement coordonnées avec Israël.

«Nous avions un accord avec l’armée israélienne, a déclaré M. Duguay en entrevue. Il y avait un itinéraire spécial. Ils savaient où nous étions.»

Jacob Flickinger s’était joint à «World Central Kitchen» l’automne dernier pour se remettre d’un syndrome de stress post-traumatique ramené de sa mission en Afghanistan. Lui et sa compagne, Sandy Leclerc, avaient récemment déménagé au Costa Rica avec leur bébé de 18 mois.

Une campagne de sociofinancement sur la plateforme «GoFundMe» afin de payer ses frais funéraires et créer une fiducie pour son fils avait permis de récolter plus de 162 000 $ en fin d’après-midi jeudi, bien au-dessus de l’objectif de 100 000 $ fixé mercredi matin.

Herzi Halevi, chef d’état-major de l’armée israélienne, a déclaré mercredi qu’il avait reçu un rapport préliminaire sur la frappe et a insisté sur le fait que les travailleurs humanitaires n’étaient pas intentionnellement visés.

«Je veux être très clair: la frappe n’a pas été menée dans l’intention de nuire aux travailleurs humanitaires de la WCK. C’était une erreur qui faisait suite à une erreur d’identification, le soir, en temps de guerre, dans des conditions très complexes. Cela n’aurait pas dû arriver.»

M. Halevi a admis que l’ONG effectuait un travail important dans des conditions difficiles et a déclaré qu’Israël «prenait des mesures immédiates pour garantir que davantage soit fait pour protéger les travailleurs humanitaires».

«Cet incident était une grave erreur», a déclaré M. Halevi lors d’un discours télévisé. «Israël est en guerre contre le Hamas, pas contre la population de Gaza. Nous sommes désolés pour le préjudice involontaire causé aux membres de la WCK. Nous partageons le chagrin de leurs familles, ainsi que de l’ensemble de l’organisation World Central Kitchen, du plus profond de nos cœurs.»

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