Témoins «pleins de marde»: le député Francis Drouin s’excuse

Michel Saba, La Presse Canadienne
Témoins «pleins de marde»: le député Francis Drouin s’excuse

OTTAWA — Le député franco-ontarien Francis Drouin s’est finalement excusé jeudi d’avoir qualifié trois jours plus tôt des témoins d’«extrémistes» et de «pleins de marde».

«Tout témoin qui vient devant ce comité devrait se sentir libre d’avoir une conversation dans un environnement respectueux. Je n’ai pas fait ça lundi alors je présente mes excuses encore une fois à M. Bourdon et M. Lacroix», a déclaré M. Drouin lors d’une réunion du comité permanent des langues officielles.

Lors de la réunion précédente, lundi, le député de Glengarry—Prescott—Russell s’est vulgairement opposé aux propos du chercheur Frédéric Lacroix et du professeur de cégep Nicolas Bourdon.

Le député avait retiré ses paroles immédiatement après les avoir prononcées en comité. Il répétait depuis qu’il accepterait «bien sûr» de s’excuser «si les deux témoins se sentent vexés».

Les deux témoins avaient expliqué, en s’appuyant sur des données de Statistique Canada, que lorsqu’un francophone ou un allophone fréquente une université ou un cégep anglophone, cela augmente significativement la probabilité qu’il mène ensuite sa vie en anglais.

Deux motions à Québec

Ces deux experts se sont fait traiter «de manière complètement irrespectueuse», a dénoncé en point de presse jeudi matin le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon.

Il a déposé une motion, conjointement avec le ministre de la Langue française Jean-François Roberge, demandant que l’Assemblée nationale «dénonce les propos disgracieux envers des témoins tenus ce mardi (…) et qu’elle reconnaisse que les études supérieures en anglais peuvent être un facteur d’anglicisation».

Le Parti libéral du Québec a rejeté la motion, mais le ministre Roberge en a immédiatement présenté une deuxième, qui, elle, a été adoptée à l’unanimité.

Cette motion réclame «que l’Assemblée nationale réitère que le déclin du français au Québec est une réalité démontrée par de nombreux indicateurs linguistiques et qu’elle condamne toutes les insultes et accusations envers les défenseurs de la seule langue officielle du Québec, le français.»

Elle invite également le gouvernement fédéral à «sensibiliser ses représentants à la précarité de la langue française au Québec (…) et à agir avec vigueur afin de défendre et promouvoir le français».

Appels à la démission

À Ottawa, à la réunion du comité permanent des langues officielles, des membres du Parti conservateur du Canada et du Bloc québécois ont tenté de faire adopter une motion pour demander à M. Drouin de démissionner de son poste de président de la section canadienne de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, mais également de cette fonction qu’il occupe à l’échelle internationale.

Ils souhaitaient également demander son «expulsion immédiate» de leur comité, que l’élu s’excuse par écrit aux témoins et qu’il reconnaisse que les données présentées par les témoins sont basées sur la science.

Le président du comité, René Arseneault, leur a expliqué que la motion, l’amendement et le sous-amendement sont irrecevables étant donné qu’ils dépassent l’autorité du comité. Or, sa décision a été contestée avec succès. Seuls les députés libéraux – à l’exception de M. Drouin qui s’est abstenu – se sont prononcés en faveur.

M. Drouin est «le visage du Canada à l’international» en matière de francophonie, a insisté la porte-parole du Nouveau Parti démocratique, Niki Ashton, lors des délibérations. Elle a aussi soutenu que les propos employés étaient «insultants, un manque de respect flagrant» et qu’ils envoient le «signal» aux futurs témoins qu’ils ne pourront pas partager le point de vue de manière «sécuritaire».

Son homologue bloquiste, Mario Beaulieu, dont le parti fait ses choux gras de cette controverse, a aussi reproché à M. Drouin d’avoir de surcroît «déformé» les propos des témoins étant donné qu’ils ont expliqué que la fréquentation scolaire, c’est «un des facteurs» et non «le seul» de l’anglicisation.

Les libéraux ont longuement expliqué que M. Drouin s’est excusé et ont déploré que l’opposition au comité «fait de la politique» étant donné que les conservateurs attaquent régulièrement des témoins et que même le chef conservateur, Pierre Poilievre, a traité le premier ministre Justin Trudeau de «cinglé» à la Chambre des communes pas plus loin que la semaine dernière.

Le porte-parole conservateur en matière de Langues officielles, Joël Godin, s’est désolé que les libéraux «ridiculisent» et «banalisent» les gestes de leur collègue dans une tentative d’obstruction parlementaire pour éviter la tenue d’un vote.

Son collègue du Bloc, Mario Beaulieu, a renchéri que cette «obstruction systématique» démontre que les libéraux «ne prennent pas ça au sérieux», la situation. Il a aussi dénoncé l’«instrumentalisation des francophones hors Québec» du premier ministre Trudeau qui, la veille en Chambre, leur a reproché de s’en prendre à un Franco-Ontarien.

La réunion a été suspendue sans la tenue d’un vote sur la motion. Elle devrait reprendre dans deux semaines.

À sa sortie du comité, le député Drouin a déclaré que «j’ai dit tout ce que j’avais à dire» lorsque les journalistes lui ont demandé s’il entend démissionner de ses postes de président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

Les témoins avaient été invités à échanger avec les parlementaires dans le cadre d’une étude portant sur le financement des institutions postsecondaires anglophones au Québec et francophones ailleurs au pays.

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