«Rien pour les patients» dans le projet de loi 15, déplore un éminent chercheur

Ugo Giguère, La Presse Canadienne
«Rien pour les patients» dans le projet de loi 15, déplore un éminent chercheur

MONTRÉAL — Les consultations particulières sur le projet de loi 15 ont pris fin la semaine dernière, mais les critiques continuent de se faire entendre. Pour le Dr Steven Grover, qui travaille comme chercheur depuis plus de trois décennies, la réforme Dubé n’aura aucune incidence sur l’accès aux soins.

«C’est bien clair que, si la loi est adoptée dans sa forme actuelle, ce sera un changement majeur pour la structure de notre établissement, mais ça ne fera rien du tout pour améliorer les soins aux patients», tranche-t-il en entrevue.

Le Dr Grover est épidémiologiste et expert en biostatistiques à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), en plus d’être professeur au département de médecine de l’Université McGill. Il dit vouloir exprimer une opinion toute personnelle sur la réforme attendue du système de santé.

Dans une lettre d’opinion traitant du PL-15 transmise à La Presse Canadienne, il juge que le projet de loi «a peu de chances de répondre aux défis croissants que nous observons dans nos hôpitaux et communautés».

Données à l’appui, le médecin soutient que le système de santé québécois est mis sous pression par deux forces, soit le vieillissement accéléré de la population et la pénurie de main-d’œuvre aggravée par des démissions et des départs à la retraite.

La région de Montréal serait particulièrement désavantagée, selon le Dr Grover, alors que les délais d’attente dans les urgences de la métropole sont deux à trois fois plus longs qu’à Toronto.

Encore une fois, le manque de personnel pourrait expliquer cet engorgement alors qu’à peine 70 % des Montréalais ont accès à un médecin de famille contre environ 85 % des Canadiens en moyenne. Les autres régions québécoises sont aussi mieux nanties que Montréal de manière générale.

«Le problème d’accès à un médecin de famille, le temps d’attente dans les urgences, c’est extraordinaire! Et la nouvelle loi ne fait rien pour tout ça. On ne reconnaît même pas le problème», insiste-t-il lors d’un entretien téléphonique.

Afin de remédier à ce problème, le Dr Grover réclame la fin des quotas imposés par les Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) pour les médecins de famille et les Plans d’effectifs médicaux (PEM) pour les spécialistes. Selon la version actuelle du PL-15, ces deux mesures vont demeurer en place.

Ces deux plans ont pour but de répartir les ressources médicales à travers le Québec en limitant le nombre de nouveaux médecins pouvant s’établir dans chacune des régions.

«Tsunami des baby-boomers»

Au-delà des médecins, la pénurie de main-d’œuvre touche aussi tout l’éventail de professionnels en soins. Selon le Dr Steven Grover, le taux très élevé de mortalité au Québec pendant les premières vagues de la pandémie de COVID-19 a mis en lumière le manque criant d’investissement dans les soins de longue durée.

Là encore, il reproche au ministre de la Santé Christian Dubé de n’avoir rien prévu dans sa réforme pour bonifier les soins à domicile ou de longue durée afin «de prendre en charge le tsunami des baby-boomers vieillissants».

«Le projet de loi 15 ne répond pas à un trop grand nombre de ces enjeux pour être considéré comme une solution sérieuse par nos élus, gestionnaires d’hôpitaux et ordres professionnels», écrit celui qui connaît très bien la machine de l’intérieur en vertu de ses nombreuses implications au sein de comités.

En s’appuyant sur des données de Statistique Canada, le médecin rappelle que seuls l’Alberta et le territoire du Nunavut dépensent moins que le Québec en matière de soins de longue durée. La province est aussi celle qui dispose du moins de lits disponibles à l’exception du Nunavut.

Centralisation

Le Dr Grover estime aussi que la création de l’agence Santé Québec pour prendre en charge les opérations du réseau de la santé pourrait avoir pour conséquence d’aggraver les problèmes en centralisant les pouvoirs et en réduisant la responsabilité des gestionnaires locaux.

L’épidémiologiste va même jusqu’à espérer le retrait du projet de loi en entier. Il voudrait voir le ministère de la Santé adopter une approche misant sur la collaboration entre les professionnels sur le terrain plutôt qu’une approche de centralisation.

Il croit que l’efficacité du réseau de santé passe par une plus grande flexibilité d’action à l’échelle locale et non par la microgestion d’une grande société d’État.

Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.

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