Québec impose le bâillon sur le projet de loi 15 réformant le réseau de la santé

Caroline Plante, La Presse Canadienne

QUÉBEC — Le gouvernement Legault impose finalement le bâillon — son cinquième depuis qu’il est au pouvoir — pour forcer l’adoption du projet de loi 15, la vaste réforme de la santé de Christian Dubé.

«Ça fait 238 heures que Christian Dubé écoute les suggestions de l’opposition. Pensez-vous que ça en prend encore?» a lancé le premier ministre François Legault au dernier jour de la session, vendredi. «Je suis tanné», a lâché plus tard M. Dubé.

En cours de soirée vendredi, les oppositions étaient pugnaces et exigeaient que le ministre explique chacun des articles ou amendements qu’il adoptait. Cinq heures de débat étaient prévues vendredi soir.

Le projet de loi 15 crée notamment l’agence Santé Québec, qui sera chargée de coordonner les opérations du réseau. Le ministère, lui, se concentrera surtout sur la définition des grandes orientations. 

Santé Québec deviendra l’employeur unique; les CISSS et CIUSSS y seront intégrés. Les accréditations syndicales seront fusionnées. On instaure aussi une liste d’ancienneté unique, ce qui permettra la mobilité du personnel d’une région à l’autre.

Le gouvernement avait proposé aux oppositions de prolonger l’étude détaillée du projet de loi 15 la semaine prochaine, une «admission» implicite qu’il restait beaucoup de travail à faire, selon le député de Québec solidaire (QS) Guillaume Cliche-Rivard.  

L’offre a été rejetée, entre autres parce qu’elle comprenait une date butoir, c’est-à-dire que le gouvernement insistait pour que les travaux se terminent au plus tard le 15 décembre, même si les 2000 articles n’avaient pas tous été passés au peigne fin.

Réagissant au bâillon vendredi, le porte-parole libéral en santé, André Fortin, a rappelé que le ministre Dubé avait reconnu la semaine dernière ne pas comprendre un amendement touchant les hôpitaux anglophones qu’il avait lui-même présenté.

«C’est le plus gros projet de loi qu’on n’a jamais vu ici, puis il a été construit à peu près sur les plans du palais d’Égypte de Numérobis dans Astérix. Il est aussi croche que ça», a déploré le député Vincent Marissal, de QS.

Le bâillon a été déclenché vers 15 h vendredi. Il coupe court au débat, pour une adoption express du projet de loi samedi.

«Quel gestionnaire de quel hôpital a dit au gouvernement: «Il faut absolument le projet de loi 15 avant Noël, sinon tout s’écroule»? Personne n’a demandé ça. Il n’y a aucune urgence. Il n’y a aucun fait objectif qui justifie le bâillon», s’est insurgé le député péquiste Pascal Paradis.

Plus tard, M. Dubé a expliqué avoir besoin du projet de loi 15 pour assurer la qualité des services dans le réseau. «À chaque jour que l’on perd, on a des dangers dans nos urgences, on a des patients qui ne sont pas pris. Il faut régler maintenant», a-t-il plaidé.  

Le ministre soutient que sa réforme donnera aux Québécois un meilleur accès à un professionnel de la santé, notamment aux urgences et en chirurgie. Elle permettra au patient en attente d’une chirurgie de connaître sa position sur la liste d’attente.

Selon le ministre, les Québécois pourront également se faire soigner partout, peu importe leur code postal, et se faire offrir une alternative, vers une autre région ou vers le réseau privé (gratuitement), lorsque les délais d’attente sont jugés déraisonnables.

«Tous les éléments essentiels du projet de loi 15 ont été votés jusqu’à maintenant», a-t-il assuré.

«Il nous reste à voir tout le préhospitalier, les centres de communication, les sanctions administratives, le pécunier, la surfacturation, les antécédents judiciaires, les gestionnaires d’assurances, les modifications au Code civil, à la Loi sur l’aide médicale à mourir. Il reste énormément de travail. Combien d’erreurs le ministre laisse derrière lui? Cinq, 10, 15, 50?» a rétorqué M. Cliche-Rivard.

En choisissant de couper court au débat sur la réforme, «le premier ministre s’apprête à commettre la pire erreur de son mandat», a fustigé le chef intérimaire du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay.

Fait rarissime, en octobre, six anciens premiers ministres du Québec avaient fait une sortie publique pour demander au gouvernement caquiste de ne pas abolir les conseils d’administration des établissements.

Lucien Bouchard, Pauline Marois, Jean Charest, Pierre Marc Johnson, Daniel Johnson et Philippe Couillard avaient soulevé un risque de perte d’identité des établissements pouvant affaiblir leur capacité à intéresser les donateurs.

Le projet de loi 15 compte 1200 articles, et plusieurs centaines d’amendements ont été déposés, ce qui en fait l’une des plus imposantes pièces législatives de l’histoire de la province.

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