Poilievre menace de faire tomber le gouvernement par une motion de censure

Mia Rabson et Stephanie Taylor, La Presse Canadienne
Poilievre menace de faire tomber le gouvernement par une motion de censure

OTTAWA — Les libéraux minoritaires à Ottawa font face à une pression politique croissante sur leur mesure environnementale phare, alors que le chef conservateur Pierre Poilievre menace de faire tomber le gouvernement avec une motion de censure, jeudi.

Alors que des politiciens provinciaux — dont un premier ministre libéral — promettent de se joindre à la lutte contre la tarification du carbone, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, traite ouvertement M. Poilievre de menteur.

Il met également au défi le chef conservateur de présenter un plan environnemental qui éliminerait autant d’émissions de GES que la tarification du carbone, sans coûter un cent aux Canadiens.

Les conservateurs s’opposent depuis toujours à cette politique climatique libérale, mais la résistance a atteint de nouveaux sommets depuis que M. Poilievre a pris les rênes du Parti conservateur, en septembre 2022.

Sous sa direction, les conservateurs ont réussi à exploiter la crise du coût de la vie et de l’inflation post-COVID-19 comme plate-forme pour convaincre les Canadiens que la tarification du carbone rendait leurs fins de mois plus difficiles.

M. Poilievre exige donc que le gouvernement libéral abandonne l’augmentation annuelle prévue de la tarification du carbone de 15 $ la tonne, le 1er avril prochain. Cette hausse ajoutera environ trois cents au prix du litre d’essence à la pompe.

Dans un discours aux accents de campagne électorale, mercredi matin à Ottawa, devant le caucus conservateur et ouvert aux médias, M. Poilievre a lancé qu’il donnait à M. Trudeau «une dernière chance» d’oublier la hausse prévue. 

«Si Trudeau ne déclare pas aujourd’hui la fin de ses prochaines augmentations de taxes sur l’alimentation, l’essence et le chauffage (…) nous présenterons une motion de censure», a-t-il lancé à un lutrin portant son plus récent slogan: «Non à la hausse – Spike the hike».

Or, les libéraux n’ont rien annoncé de tel, mercredi, et le vote sur la motion de censure est prévu jeudi.

C’est la dixième fois depuis les 18 mois de leadership de M. Poilievre que les conservateurs présentent une motion en Chambre demandant l’abolition ou une modification significative de la tarification du carbone. À ce jour, aucune d’entre elles n’a réussi.

Le leader du gouvernement en Chambre, Steven MacKinnon, a déclaré mercredi qu’il ne craignait pas de perdre le vote de confiance, jeudi. Le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois soutiennent la tarification du carbone.

Le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, a déclaré mercredi que «si c’est un vote sur la taxe carbone», il n’avait «pas de temps à perdre avec ça», puisque ça ne s’applique pas au Québec. Et si c’est un vote de confiance, «bien on fait tomber un gouvernement sur un budget», ou «sur une loi qui ne fait pas notre affaire».

«À sa face même, la motion des conservateurs est mauvaise, a affirmé M. Blanchet. Donc, on va voter contre une autre motion qui répète les mêmes calembredaines conservatrices, encore une fois.»

Guilbeault accuse Poilievre de mentir

Le discours de M. Poilievre à son caucus faisait suite à une nouvelle campagne publicitaire «Axe the tax» et à une autre série de rassemblements et d’assemblées publiques en faveur de la suppression de cette mesure, au cours desquels le chef a attiré des foules de milliers de personnes à Toronto et dans tout le Canada atlantique.

À la suite de ce blitz, le ministre Guilbeault a accusé M. Poilievre de «mentir» aux Canadiens sur la tarification du carbone. Le ministre de l’Environnement a répété mardi que les conservateurs liaient faussement cette mesure à l’inflation, en ignorant l’existence de remises aux consommateurs et en omettant de proposer un plan qui reconnaisse le coût du changement climatique.

«Le changement climatique est réel, il a un impact sur les Canadiens et coûte cher aux Canadiens, et vous n’entendrez jamais Pierre Poilievre en parler, a déclaré M. Guilbeault. Plus nous attendons, plus nous subirons les effets des changements climatiques, plus les Canadiens seront touchés par les dômes de chaleur, les incendies de forêt, les inondations, l’érosion côtière et l’élévation du niveau de la mer.»

Le ministre Guilbeault a déclaré que selon les analystes d’Environnement Canada, la tarification du carbone permettra de réduire du tiers environ les émissions au Canada d’ici 2030. Cela équivaut à environ 75 millions de tonnes de gaz à effet de serre, soit les émissions annuelles de 17 millions de véhicules de tourisme.

«S’il y a quelqu’un, quelque part, qui peut me montrer une mesure qui ne coûte rien aux contribuables canadiens parce qu’elle est sans incidence sur les revenus, et qui peut nous donner un tiers de nos réductions d’émissions, j’aimerais l’entendre», a déclaré M. Guilbeault.

«Parce que je travaille sur ce sujet depuis 30 ans. C’est tout ce que j’ai fait en tant qu’adulte, travailler sur le changement climatique. Et de telles mesures n’existent pas», a-t-il soutenu.

Exonération controversée sur le mazout

Les libéraux ont été sur la défensive dans ce dossier presque depuis le début. Ils ont eu du mal à expliquer aux Canadiens une politique complexe qui fait augmenter progressivement le prix des combustibles fossiles, même si le gouvernement accorde des remises aux ménages pour compenser ces coûts.

Ces débats se sont intensifiés au cours des derniers mois. Le premier véritable signe de fissures parmi les libéraux sur la tarification du carbone est survenu l’automne dernier, lorsque M. Trudeau a annoncé, avec son caucus de l’Atlantique derrière lui, que le gouvernement exempterait le mazout résidentiel de cette politique pendant trois ans.

Dans les provinces de l’Atlantique, environ le tiers des foyers utilisent du mazout pour se chauffer, comparativement à moins d’un ménage sur dix partout ailleurs au pays.

Les libéraux ont déclaré que de plus en plus de ménages utilisaient du mazout en dehors de cette région et ont fait valoir que ces Canadiens avaient besoin d’aide pour remplacer le chauffage au mazout par des solutions plus écologiques. Et ils ont promis de ne pas introduire d’autres exclusions ailleurs.

Mais cette décision a donné aux conservateurs et à d’autres opposants le champ libre pour accuser M. Trudeau de ne pas respecter unilatéralement une politique phare par crainte de perdre des votes dans les provinces de l’Atlantique.

Des provinces mécontentes

Le gouvernement fédéral se trouve également dans une impasse juridique avec la Saskatchewan. Le premier ministre Scott Moe a mis fin à la perception de la tarification du carbone sur les factures de gaz naturel le 1er janvier dernier, en violation de la loi fédérale sur la tarification du carbone.

M. Moe et six autres premiers ministres se sont joints à M. Poilievre la semaine dernière pour exiger que l’augmentation du 1er avril soit suspendue. Parmi ces premiers ministres, un libéral, Andrew Furey, à Terre-Neuve-et-Labrador, et Blaine Higgs, premier ministre conservateur du Nouveau-Brunswick, qui avait pourtant déclaré en 2019 que la réélection des libéraux était un signe que les électeurs étaient d’accord avec une tarification du carbone.

En Ontario, cette semaine, la cheffe libérale, Bonnie Crombie, a promis que sa plateforme électorale n’inclurait pas de tarification sur le carbone, à la suite des attaques du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford.

Plusieurs candidats à la direction du NPD de l’Alberta se sont engagés à ne pas réintroduire un prix provincial sur le carbone, notamment Sarah Hoffman, qui était vice-première ministre de l’Alberta lorsque le gouvernement de Rachel Notley a introduit une taxe provinciale sur le carbone en 2016.

Mme Hoffman a déclaré que la décision de M. Trudeau de «faire de la politique» avec cette mesure et de choisir les gagnants et les perdants avait tué cette politique.

Huit organisations environnementales ont publié jeudi une lettre dénonçant les politiciens qui, selon eux, «exploitent sans vergogne les souffrances économiques bien réelles des Canadiens à des fins politiques».

«Les politiques climatiques n’ont rien à voir avec les difficultés auxquelles les Canadiens sont confrontés, et pourtant ces politiciens ignorent les véritables causes de la crise du coût de la vie et font de la tarification du carbone des boucs émissaires.»

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