O’Toole estime que l’ingérence étrangère a pu contribuer à sa démission comme chef

Laura Osman et Dylan Robertson, La Presse Canadienne
O’Toole estime que l’ingérence étrangère a pu contribuer à sa démission comme chef

OTTAWA — Erin O’Toole estime que l’approche pancanadienne plutôt que ciblée, comté par comté, pour lutter contre l’ingérence étrangère lui a peut-être coûté son poste de chef conservateur — et elle a été en tout cas injuste pour certains électeurs.

Témoignant mercredi aux audiences de la commission d’enquête sur les allégations d’ingérence étrangère lors des deux dernières élections fédérales, l’ex-chef conservateur a raconté que le soir du scrutin de 2021, il a vite réalisé qu’il n’était pas sur le point de devenir premier ministre. Mais il a néanmoins été surpris par les résultats décevants dans un certain nombre de circonscriptions.

M. O’Toole a indiqué que les instances du parti avaient déjà soulevé des préoccupations quant à une possible ingérence dans neuf circonscriptions et que son équipe avait transmis ces inquiétudes au «Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections».

Ce groupe réunit depuis 2019 des représentants du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), d’Affaires mondiales Canada et du Centre de la sécurité des télécommunications.

Et lorsque les résultats pour ces circonscriptions ont été connus le soir du 20 septembre 2021, le taux de participation et le soutien des conservateurs étaient bien inférieurs à ce que le parti s’attendait sur la base de sa modélisation, a déclaré M. O’Toole mercredi.

«Le petit nombre de sièges n’aurait pas eu d’impact sur le gouvernement minoritaire [libéral] que le Canada a actuellement, mais la différence de deux, trois ou cinq sièges m’aurait peut-être donné une justification morale plus grande pour rester chef», a-t-il soutenu.

M. O’Toole était l’un des nombreux politiciens actuels ou passés qui ont comparu mercredi à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques fédéraux, à Ottawa. La commission d’enquête, présidée par la juge Marie-Josée Hogue, de la Cour d’appel du Québec, vise à identifier de possibles ingérences étrangères de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou d’autres pays lors des deux dernières élections générales fédérales.

Un rapport «déclassifié» des services de renseignement, présenté à la commission, fait état des inquiétudes selon lesquelles M. O’Toole et le Parti conservateur auraient été la cible d’ingérence chinoise, en moussant en ligne de faux récits sur la position du parti à l’égard de Pékin.

De hauts responsables du renseignement ont déjà assuré le Parlement que les deux élections étaient justes et légitimes.

«Suggérer qu’une élection est libre et juste face à l’ingérence étrangère n’est pas exact si certaines personnes sont touchées, que le résultat soit ou non modifié dans une circonscription ou dans quelques circonscriptions: chaque vote compte», leur a répondu M. O’Toole mercredi.

Ébranler la diaspora chinoise

Les conservateurs mentionnaient la Chine à 31 reprises dans leur plateforme électorale en 2021, et le parti avait adopté ce que M. O’Toole a décrit comme une «position plus ferme» que les libéraux sur les violations des droits de la personne par Pékin.

Une «opération d’information» a diffusé des messages sur les plateformes de médias sociaux WeChat et Douyin – l’équivalent chinois de TikTok – selon lesquels M. O’Toole et son parti voulaient «rompre les relations diplomatiques avec la Chine», selon le rapport de renseignement.

Certains messages indiquaient que les Canadiens d’origine chinoise avaient peur de la plateforme conservatrice et se demandaient si la diaspora devait soutenir ce parti.

Les avertissements aux électeurs et aux candidats concernés étaient justifiés lors de cette élection, a soutenu M. O’Toole, mais les conservateurs ont déclaré que les responsables de la sécurité n’avaient pas informé le parti de ces préoccupations. M. O’Toole soutient que des responsables l’ont prévenu qu’il était la cible de tentatives d’ingérence au printemps dernier seulement.

Le rapporteur spécial du gouvernement, David Johnston, n’a trouvé que peu de preuves d’un lien entre les présumées tentatives d’ingérence et le résultat des élections fédérales, et peu de preuves démontrant que les tentatives de désinformation étaient liées à Pékin.

Interrogé là-dessus mercredi à Toronto, le premier ministre Justin Trudeau a souligné que «les experts et les fonctionnaires haut placés indépendants ont conclu définitivement que les élections en 2019 et les élections en 2021 n’ont pas été affectées par l’ingérence étrangère».

«Je comprends que pour M. O’Toole, il aimerait regarder des raisons autres que sa propre performance qui a mené à leur échec dans les élections», a-t-il dit.

L’avocate de la commission Natalia Rodriguez a demandé à M. O’Toole si les Canadiens d’origine chinoise n’auraient pas tout simplement été rebutés par la plateforme conservatrice, mais l’ex-chef a rejeté l’idée selon laquelle la position traditionnelle du parti était à blâmer.

À tout le moins, a-t-il dit, les partis et les candidats considérés comme des cibles d’ingérence étrangère devraient être informés et les électeurs devraient être avertis des campagnes de désinformation actives – en particulier lorsqu’il s’agit de plateformes de médias sociaux sous contrôle étranger comme WeChat.

De tels avertissements pourraient cibler des circonscriptions spécifiques dans les langues de la diaspora où les agences de sécurité ont détecté les plus grandes menaces, a suggéré M. O’Toole. «J’en ai vu suffisamment pour savoir que le processus de la dernière fois a échoué et qu’il a laissé tomber beaucoup de Canadiens.»

La commission Hogue devrait entendre les témoignages d’une quarantaine de personnes, dont des membres de communautés culturelles, des représentants de partis politiques et des responsables des élections fédérales.

Le premier ministre Trudeau, des ministres et divers hauts responsables du gouvernement devraient également témoigner aux audiences publiques, qui devraient se terminer le 10 avril. Un premier rapport sur les conclusions de la commission est attendu le 3 mai.

L’enquête de la commission Hogue s’orientera ensuite vers des questions politiques plus larges, en examinant la capacité du gouvernement à détecter, dissuader et contrer l’ingérence étrangère. Un rapport final est attendu d’ici la fin de l’année.

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