MONTRÉAL — Au moins le quart des adultes LGBTQI2+ québécois rapportent qu’on a tenté de les amener à modifier leur identité sexuelle ou la manière dont ils l’expriment, révèle une nouvelle étude qui s’intéresse pour la première fois à l’ampleur de ce phénomène dans la province.
«On décrit vraiment toute une série d’expériences qui vont des tentatives ou des efforts ou des conversations dirigées ou même des services directs avec des thérapies structurées, ou voire même des camps de conversion comme on en voit aux États-Unis», a dit l’auteur de l’étude, le professeur Martin Blais, de l’Université du Québec à Montréal.
«C’est tout un ensemble de pratiques qui visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des personnes. Les modifier, ou retarder leur expression ou tenter d’étouffer la diversité sexuelle et la diversité de genre dans ce cas-ci.»
Le professeur Blais et ses collègues ont analysé les réponses fournies à un sondage par 3261 personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer, intersexes et bispirituelles au Québec. Les questions portaient notamment sur les tentatives de conversion dont elles avaient fait l’objet, ainsi que sur leurs relations avec les gens qui y ont participé (par exemple, des membres de leur famille ou du clergé).
Environ le quart des participants à l’enquête rapportent qu’on a essayé de changer leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou la manière dont ils expriment leur genre. La probabilité d’avoir fait l’objet d’une telle tentative était plus élevée pour les Autochtones; pour les personnes intersexuelles, transgenres, non binaires ou asexuelles; pour les membres des minorités visibles; ou pour les personnes dont l’orientation sexuelle n’est pas monosexuelle (par exemple, bisexuelle ou pansexuelle).
«Il faut un peu s’étonner et il faut être choqués (par ces chiffres), a dit le professeur Blais. On a encore du chemin à faire, certainement.»
Les tentatives de conversion décrites par les participants vont au-delà des simples commentaires qui auraient pour but d’amener la personne à réévaluer son identité sexuelle ou la manière dont elle exprime son genre.
«On va en thérapie parce qu’on se questionne sur son orientation sexuelle, puis finalement, en cours de route, on se rend compte que l’objectif du thérapeute consiste plutôt à nier l’existence de la bisexualité, à suggérer que l’hétérosexualité est une voie préférable», a illustré M. Blais.
Rôle de la famille
Les résultats de l’enquête mettent aussi en lumière le rôle prépondérant joué par la famille des personnes LGBTQI2+ dans les tentatives ou les services de conversion.
Face à un garçon qui exhibe des comportements jugés féminins (jouer avec des poupées plutôt qu’avec des camions, pleurer au lieu d’être agressif), certains parents pourront par exemple l’ignorer quand il le fait, mais lui accorder beaucoup d’attention quand il se comportera davantage d’une manière plus conventionnelle au sexe qui lui a été assigné à la naissance.
«On cherche vraiment à étouffer quelque chose dans l’enfant, étouffer une créativité dans l’expression du genre, étouffer quelque chose qui nous apparaît être une non-conformité, qui pourrait pointer peut-être vers une homosexualité ou une homosexualité éventuelle, a ajouté le professeur Blais. On est vraiment dans l’idée d’étouffer quelque chose.»
On cherchera en revanche à encourager «ce que les stéréotypes traditionnels sur la masculinité et la féminité attendent de nous», a-t-il ajouté.
L’orientation et la diversité sexuelles des enfants nés de parents religieux pour qui l’éducation religieuse est importante pourront être très problématiques, et ces enfants «sont plus susceptibles d’être exposés à des thérapies de conversion ou à des efforts de conversion», a dit M. Blais. Les pressions pourront aussi être exercées par des membres du clergé.
Le Canada et la majorité des provinces du pays ont adopté des lois qui interdisent les thérapies de conversion. La plupart des grands ordres professionnels s’opposent aussi formellement à ce genre de pratique.
À ce titre, moins de 5 % des participants à l’enquête ont indiqué avoir participé à des services formels de conversion. Seulement 55 % ont dit que le but du service leur avait été expliqué clairement, un pourcentage qui tombe à 30 % si le service portait sur l’identité ou l’expression de genre.
«On est un peu en retard sur le plan du genre, a déploré M. Blais. Encore aujourd’hui, avoir un enfant qui présente des comportements non conformes dans le genre, ça inquiète les parents. On est en retard sur la diversité.»
Au Canada, la plupart des études précédentes sur la question avaient porté sur l’identité sexuelle des hommes appartenant à une minorité sexuelle.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal médical PLOS ONE.