L’excuse de l’ex-responsable Cameron Jay Ortis ne tient pas la route, dit la Couronne

Jim Bronskill, La Presse Canadienne
L’excuse de l’ex-responsable Cameron Jay Ortis ne tient pas la route, dit la Couronne

OTTAWA — Les motifs invoqués par un ancien responsable du renseignement de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour justifier le fait qu’il a divulgué des informations secrètes sont truffés de failles et ne tiennent pas la route, de l’avis de la procureure de la Couronne au dossier.

Lors de sa plaidoirie finale devant la Cour supérieure de l’Ontario, vendredi, l’avocate fédérale Judy Kliewer a plaidé que Cameron Jay Ortis n’agissait pas dans l’intérêt de la GRC lorsqu’il a divulgué des informations classifiées à des personnes qui présentaient un intérêt pour une enquête de la GRC.

M. Ortis, âgé de 51 ans, a reconnu avoir fourni des informations à certaines personnes ciblées par une enquête du corps policier fédéral dans le but de les pousser à utiliser un service de messagerie en ligne mis en place par une agence de renseignement.

Il a plaidé non coupable d’avoir enfreint la Loi sur la protection de l’information en révélant des informations secrètes à trois personnes, en 2015, et en ayant tenté de le faire dans un quatrième cas. Son plaidoyer a été le même pour des accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire public et d’utilisation non autorisée d’un ordinateur.

Au moment de son arrestation, M. Ortis était directeur général du Centre national de coordination du renseignement de la GRC, dont la mission est de compiler des informations classifiées sur les cellules terroristes et les réseaux criminels transnationaux.

Lors de son témoignage, au début du mois, il a raconté avoir été contacté par un homologue d’une agence étrangère, en septembre 2014. Ce dernier l’aurait mis au fait d’une menace particulièrement grave.

M. Ortis a expliqué que son homologue lui a appris l’existence, en toute confidentialité, d’un service de cryptage en ligne appelé Tutanota, qui avait été secrètement mis en place pour surveiller les communications de personnes potentiellement mal intentionnées.

M. Ortis a alors décidé d’agir en dressant une liste de quatre destinataires possibles dans le cadre d’une opération surnommée Nudge. Son but était de pousser ces cibles à adopter le nouveau service de messagerie afin que leurs échanges puissent être surveillés.

De son côté, l’entreprise à l’origine de ce service de messagerie, qui porte désormais le nom de Tuta, nie avoir des liens avec des agences de renseignement.

La Couronne soutient que M. Ortis n’avait pas le pouvoir de divulguer des informations classifiées et qu’il ne l’a pas fait dans le cadre d’une sorte d’opération d’infiltration, comme il le prétend.

«On ne peut pas le croire»

Vendredi, Me Kliewer a soutenu que M. Ortis, qui était formellement tenu au secret, avait assemblé sa propre histoire pour justifier ses actes criminels. Le récit est suffisamment imparfait pour que les jurés soient convaincus qu’«on ne peut pas le croire», a-t-elle plaidé.

L’avocate a notamment mis l’accent sur le moment où M. Ortis a assuré qu’il existe des traces numériques de l’existence du projet Nudge dans les données de la GRC. Or, celles-ci n’ont jamais été trouvées, a-t-elle fait valoir.

Par ailleurs, la GRC suit habituellement des protocoles stricts lorsqu’elle mène des opérations d’infiltration.

M. Ortis a toutefois mentionné au tribunal qu’il avait jugé que la politique régissant les opérations secrètes ne s’appliquait pas à son opération clandestine parce que, contrairement à une mission d’infiltration traditionnelle, il n’avait aucune intention de collecter des preuves ou des renseignements criminels.

Me Kliewer a rejeté cette explication.

«Lorsque vous utilisez un prétexte et que vous vous engagez auprès de la cible, c’est une opération d’infiltration. Et c’est ce que faisait M. Ortis», a-t-elle tranché.

Lors d’un échange de courriels avec l’une des cibles, M. Ortis a proposé de fournir des versions complètes de documents classifiés en échange de 20 000 $.

Lorsque des questions précises ont été posées à M. Ortis, ce dernier s’est montré évasif et «sélectif dans sa mémoire», a accusé Me Kliewer.

«Ses excuses pour expliquer le fait qu’il ne se souvient pas de ces événements extraordinaires étaient tout simplement incroyables, a-t-elle affirmé. Et dans l’ensemble, il était loin d’être crédible.»

Une fois que la Couronne a eu terminé sa plaidoirie finale, le juge Robert Maranger a commencé à donner ses instructions au jury, prévenant qu’il y a «un large ensemble de preuves» à considérer dans ce dossier.

Le magistrat devrait terminer de donner ses instructions lundi, avant que le jury se retire pour amorcer ses délibérations concernant le verdict.

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