Le financement de Google sera plafonné à 7 % pour CBC/Radio-Canada

Mickey Djuric, La Presse Canadienne
Le financement de Google sera plafonné à 7 % pour CBC/Radio-Canada

OTTAWA — Le gouvernement libéral plafonne le montant que CBC/Radio-Canada et les autres diffuseurs pourront toucher de Google.

Le géant du web a accepté le mois dernier de verser 100 millions $ par année pour indemniser les médias d’information. Ottawa a annoncé vendredi que CBC/Radio-Canada ne recevra qu’une part de 7 millions $ de ce fonds annuel, tandis qu’un maximum de 30 millions $ sera réservé aux autres diffuseurs, selon le règlement final publié vendredi, qui mettra en œuvre la Loi sur les nouvelles en ligne.

Les 63 millions $ restants seront partagés entre d’autres médias admissibles, tels que les journaux et les plateformes numériques. Les médias indépendants et les médias des communautés autochtones et de langue officielle en situation minoritaire doivent également bénéficier du fonds, précise le règlement.

La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a déclaré vendredi aux journalistes qu’il s’agissait d’une approche équitable.

«Avoir des relations commerciales plus équitables entre les géants de la technologie et nos salles de rédaction constitue un élément essentiel pour assurer la pérennité de notre secteur de l’information (…) et veiller à ce que le journalisme continue de jouer son rôle dans la démocratie», a déclaré vendredi Mme St-Onge.

Grâce à l’entente conclue avec Ottawa, Google sera exempté de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui oblige les entreprises technologiques à conclure des accords de compensation avec les médias d’information pour les liens créés vers leur contenu, si cela génère des revenus pour ces géants du web.

Google considère toujours cette loi comme «fondamentalement imparfaite», mais se réjouit d’avoir pu trouver «une voie viable vers une exemption dans la réglementation finale», a déclaré vendredi un porte-parole de l’entreprise dans un communiqué.

«Heureusement, cela signifie que nous pourrons continuer à envoyer un trafic précieux aux médias d’information canadiens et que les Canadiens pourront continuer à profiter des produits Google qu’ils connaissent et aiment pendant que nous travaillons sur le processus d’exemption.»

Pour que les médias d’information puissent bénéficier de cette compensation, leur contenu doit être accessible par le moteur de recherche de Google. D’autres médias qui produisent des informations, mais qui n’ont pas de présence en ligne, comme les stations de radio universitaires, seront exclus du financement, dans le cadre de l’accord.

Une fois la loi officiellement entrée en vigueur mardi prochain, Google devra lancer un appel ouvert au cours duquel les entreprises de presse admissibles auront 60 jours pour demander une part du gâteau de 100 millions $, qui doit être indexé annuellement à l’inflation.

L’argent sera distribué proportionnellement au nombre de journalistes à temps plein employés par les entreprises de presse. Pour être admissibles, les entreprises doivent compter au moins deux employés à temps plein.

Les petits médias imprimés et numériques peuvent s’attendre à recevoir environ 17 000 $ par journaliste, a déclaré vendredi un responsable du ministère du Patrimoine canadien lors d’une séance d’information technique destinée aux journalistes. Les informations ont été fournies à condition que les responsables ne soient pas nommés.

Réactions mitigées 

La réaction dans le secteur de l’information a été partagée, vendredi.

CBC/Radio-Canada, qui vient d’annoncer son intention de supprimer 600 emplois et de ne pas pourvoir 200 postes vacants au cours de la prochaine année, a accueilli favorablement la nouvelle. «Nous savons qu’une loi ou qu’une réglementation ne suffira pas à résoudre tous les enjeux auxquels fait face le secteur de l’information au Canada, mais c’est un pas dans la bonne direction»,  a indiqué le diffuseur public dans un communiqué.

Des voix s’étaient élevées, notamment au Québec, pour que le diffuseur public, qui est en partie financé par les deniers publics, soit exclu des compensations de Google. La ministre St-Onge a expliqué vendredi que CBC/Radio-Canada «aussi fait face à la baisse de revenus publicitaires et à la crise des médias».

«Par contre, on a fixé à 7 % [sa compensation] parce qu’on tient compte quand même de la réalité du marché, du fait que oui, le secteur privé a beaucoup de difficultés, a-t-elle précisé. Ça va quand même donner un coup de main pour payer des journalistes, notamment dans des zones dans des régions éloignées, là où il y a des déserts médiatiques, ou encore pour desservir les communautés autochtones dans huit langues autochtones.»

Médias d’information Canada, qui représente des centaines d’entreprises de presse, a également salué le règlement final.

Mais l’Association canadienne des radiodiffuseurs a exprimé sa déception, affirmant que le règlement ne reflète pas le rôle que jouent les diffuseurs privés de toutes tailles sur le marché canadien de l’information. Et le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada estime que le règlement «laisse les médias ethniques se débrouiller tout seuls».

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a accueilli favorablement la réglementation, qui constitue «un pas dans la bonne direction», en rappelant que «Meta et Google accaparent environ 80 % des revenus publicitaires numériques au Canada, ne laissant que des miettes pour les médias d’ici».

La FPJQ croit toutefois que des correctifs devraient être apportés pour avoir une définition plus claire de «production de nouvelles locales, régionales et nationales», puisque le règlement prévoit qu’une «majeure partie» des indemnisations devrait y être consacrée. 

Des mois de tensions

Cette version définitive du règlement de la Loi sur les nouvelles en ligne a été publiée vendredi après des mois de tensions entre Google et Ottawa.

Même si le premier ministre Justin Trudeau n’avait exprimé aucun intérêt pour un compromis, le gouvernement libéral a finalement cédé aux exigences du géant technologique de la Silicon Valley, qui menaçait de supprimer de son moteur de recherche les liens vers les nouvelles en ligne. M. Trudeau avait déclaré au cours de l’été que leurs «tactiques d’intimidation» ne fonctionneraient pas contre son gouvernement.

Les libéraux ont depuis présenté comme une victoire l’accord conclu avec Google, mais la porte-parole conservatrice en matière de patrimoine canadien, Rachael Thomas, a accusé le gouvernement de céder aux exigences de Google.

Le gouvernement avait initialement demandé une compensation qui aurait été plus proche de 172 millions $, selon une formule incluse dans un projet de règlement antérieur.

Google a déclaré qu’il était à quelques jours de commencer le processus de suppression des informations sur ses produits au Canada, avant d’être approché par le gouvernement «dans les dernières heures» avec une proposition répondant à leurs préoccupations.

Même avant l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, Google proposait de verser aux entreprises de presse 100 millions $ par année. L’entreprise a déjà conclu des accords avec des médias d’information, mais il est difficile de savoir si ces contrats seront renouvelés à la lumière du nouvel accord avec Ottawa.

Les seules entreprises suffisamment importantes pour répondre aux critères énoncés dans la Loi sur les nouvelles en ligne sont Google et Meta.

De son côté, Meta avait réagi à l’adoption du projet de loi en bloquant l’accès aux nouvelles pour les utilisateurs canadiens d’Instagram et de Facebook. Cette position reste inchangée.

«Nous avons clairement indiqué depuis des mois que le processus réglementaire ne pouvait pas répondre aux prémisses fondamentalement erronées de la Loi sur les nouvelles en ligne», a indiqué Rachel Curran, responsable des politiques publiques de Meta Canada, dans un communiqué.

«Les médias choisissent d’utiliser nos services gratuits parce que cela améliore leurs résultats, et la publication aujourd’hui du règlement final ne change rien à notre décision commerciale de mettre fin à la disponibilité des nouvelles sur Facebook et Instagram au Canada.»

La FPJQ invitait encore Ottawa vendredi à «demeurer ferme face à Meta», qui a demandé une exemption à la loi afin de partager à nouveau des contenus sur ses plateformes, «mais sans payer de redevances aux médias», a soutenu le président, Éric-Pierre Champagne.

La ministre St-Onge a déjà déclaré à La Presse Canadienne que Meta pourrait toujours être réglementée en vertu de la loi, car les utilisateurs des médias sociaux ont trouvé des failles pour partager des informations sur ses plateformes. Mais cette décision reviendra au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qui sera responsable de l’application du règlement de la Loi sur les nouvelles en ligne.

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