Le Canada va remplacer ses avions Aurora par des Boeing P8A

Sarah Ritchie et Christopher Reynolds, La Presse Canadienne
Le Canada va remplacer ses avions Aurora par des Boeing P8A

OTTAWA — Le gouvernement fédéral achète au moins 14 avions de surveillance Boeing des États-Unis pour remplacer la flotte vieillissante des CP-140 Aurora, ont annoncé jeudi les ministres du cabinet.

La transaction se chiffre à plus de 10 milliards $ au total, dont 5,9 milliards $ pour les avions eux-mêmes. Les aéronefs devraient être livrés en 2026 et 2027.

«Ces appareils ne sont pas de simples avions, ce sont des systèmes d’armes complexes. Et le Poseidon a une capacité éprouvée et un palmarès de réussite», a déclaré jeudi le ministre de la Défense nationale, Bill Blair, lors d’une conférence de presse à Ottawa.

Il a aussi indiqué que l’avion de reconnaissance de Boeing est le seul appareil disponible qui répondra aux besoins de l’Aviation royale canadienne avant que les Aurora n’atteignent l’âge de la retraite en 2030.

«Le fait qu’il réponde à toutes les exigences définies par l’Air Force pour nous en a fait non seulement le bon choix, mais franchement le seul choix.»

Lors d’un breffage pour les médias, des responsables ont déclaré que la flotte offrirait au Canada de nouvelles capacités de chasse aux sous-marins dans l’Arctique, et que des alliés, dont la Norvège, utilisaient déjà ces avions dans le Grand Nord. 

Ces responsables du ministère de la Défense, de l’Aviation royale canadienne et du ministère de l’Approvisionnement ont fourni ces informations sous le couvert de l’anonymat. 

Les autres membres de l’alliance Five Eyes — les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande — ainsi que l’Allemagne et la Corée du Sud utilisent tous le P-8 ou prévoient de le faire.

«Cette interopérabilité est essentielle dans le contexte actuel de la sécurité mondiale, a souligné le ministre Blair. Nos adversaires déploient des capacités de plus en plus sophistiquées, furtives et meurtrières.»

Le major-général Sylvain Ménard, chef des chasseurs et des capacités du NORAD de l’armée de l’air, a indiqué qu’il devenait de plus en plus difficile pour les aviateurs de compenser les capteurs vieillissants des avions Aurora.

Et bien que les avions se soient bien comportés lors des tests, obtenant même de meilleurs résultats que le Poséidon, il a déclaré qu’il existe des limites évidentes dans le monde réel, en particulier à mesure que les menaces de la Chine et de la Russie augmentent.

«Lorsque nous patrouillons et traquons les menaces en mer, nous devons couvrir des zones extrêmement vastes, pour lesquelles le CP-140 devient rapidement inadapté», a-t-il expliqué. 

Bombardier laissé de côté

La décision d’opter pour un contrat unique a fermé la porte au constructeur québécois d’avions d’affaires Bombardier, qui avait fait pression en faveur d’un appel d’offres ouvert. 

Une procédure de passation de marché classique avec appel d’offres ouvert prendrait environ trois à quatre ans avant que les avions puissent être achetés, ont rappelé des responsables jeudi. 

Le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, a fait valoir que son avion, qui est actuellement un prototype et qui devrait sortir des chaînes de montage au début des années 2030, offrirait une alternative moins chère et de plus haute technologie, fabriquée au Canada. 

Dans un communiqué publié après l’annonce du gouvernement, Bombardier a fait part de sa déception, arguant que sa solution aurait pu devenir «un modèle alors que de nombreux pays alliés à travers le monde considèrent notre offre comme l’avenir des avions multimissions».

L’entreprise s’est dite déçue qu’Ottawa ait attribué un «contrat générationnel sans concours ouvert et équitable».

Le ministre Blair s’est exprimé sans détour sur le projet de Bombardier. «Il n’y a aucun avion actuellement», a-t-il déclaré aux journalistes.

«Il existe un degré élevé d’incertitude quant au coût, au calendrier de livraison et à l’efficacité opérationnelle finale.»

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui représente une circonscription en Mauricie, a qualifié l’effort de l’entreprise d’«objectif louable». Mais il s’est joint à ses collègues ministres pour présenter le P-8A comme la seule option actuellement sur la table.

Il a fait remarquer que Boeing s’était engagé à établir un «centre d’innovation» à Montréal, qui est déjà un pôle de l’aérospatiale et le siège de Bombardier.

«Mais laissez-moi être très clair, nous allons soutenir Bombardier avec tout ce que nous avons. Nous croyons en eux», a déclaré M. Champagne.

Le ministre Blair a également reconnu que la décision d’opter pour un marché exclusif était une reconnaissance de la nécessité pour le gouvernement fédéral d’agir plus rapidement en matière d’approvisionnement militaire. 

Le Syndicat des Machinistes (AIMTA) a qualifié la décision d’Ottawa de «désaveu envers notre industrie aérospatiale».

«Quand tu as une entreprise comme Bombardier sur ton territoire, dont la qualité des produits est reconnue mondialement et qu’elle veut soumissionner pour un contrat public, la moindre des choses à faire aurait été de lui laisser une réelle chance de se faire valoir», a affirmé le vice-président canadien de l’AIMTA, David Chartrand, dans une déclaration. 

Des questions subsistent quant à savoir si Boeing pourra fabriquer les Poséidons à temps. Ces dernières années, la société basée en Virginie a été confrontée à des problèmes de production et de qualité sur ses grands avions de ligne commerciaux, en particulier le 737 Max, le 787 Dreamliner et le 777.

Mais le calendrier de livraison de 2026-27 est «une bonne estimation pour l’instant», a déclaré Sean Liedman, directeur du développement commercial international de Boeing. Les détails seront précisés dans le contrat de l’entreprise avec le gouvernement américain, a-t-il déclaré dans une entrevue. 

Des responsables ont indiqué que Boeing avait également signé un accord prévoyant des activités commerciales et des investissements au Canada à hauteur de la valeur de sa part du contrat, qui s’élève à 5,4 milliards $.

L’accord conclu entre le Canada et le gouvernement des États-Unis lui permet d’acheter jusqu’à 16 avions, mais les responsables ont indiqué qu’il était prévu d’en acheter d’abord 14 pour répondre aux besoins de l’armée de l’air. 

La nouvelle flotte sera basée en Nouvelle-Écosse, à la base des Forces canadiennes Greenwood, et en Colombie-Britannique, à la base des Forces canadiennes Comox. Les avions ont un rayon d’action de plus de 7000 kilomètres et peuvent être ravitaillés en vol grâce à la nouvelle flotte de CC-130 Husky.

Entreprise dans cette dépêche: (TSX:BBD.B)

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