Le Canada propose de nouvelles règles sur le méthane

Mia Rabson et Jordan Omstead, La Presse Canadienne
Le Canada propose de nouvelles règles sur le méthane

OTTAWA — Le rejet contrôlé ou la combustion du méthane provenant des sites de production de pétrole et de gaz sera presque entièrement interdit d’ici à 2030, conformément au projet de règlement présenté lundi par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.

Le projet de règlement vise à mettre en œuvre un nouvel objectif de réduction des fuites et des rejets de méthane de l’industrie pétrolière et gazière d’au moins 75 % par rapport aux niveaux de 2012 d’ici à 2030. 

La réglementation existante prévoit une réduction de 40 à 45 % d’ici à 2025.

«En nous attaquant aux émissions de méthane, nous activons l’un des leviers les plus puissants dont nous disposons pour lutter contre le changement climatique», a déclaré M. Guilbeault, lundi, lors d’un événement sur le méthane organisé dans le cadre de la COP28, la conférence des Nations unies sur le climat qui se tient actuellement à Dubaï.

Le méthane ne reste pas aussi longtemps dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone, mais il retient mieux la chaleur, de sorte que la réduction des émissions de méthane est considérée comme l’un des moyens les plus efficaces de réduire le réchauffement de la planète.

Comme une partie du méthane capté peut être vendue, la réduction des émissions de méthane est également l’une des mesures les plus rentables pour l’industrie.

Une étude fédérale a révélé en 2021 que le Canada était en bonne voie pour atteindre son objectif de 2025, mais des analyses plus récentes remettent en question les progrès accomplis. En effet, il a été démontré que la mesure des fuites et des rejets de méthane sous-estime largement les niveaux réels d’émission de méthane.

M. Guilbeault a évoqué ce problème en annonçant l’octroi de 30 millions $ pour un «centre d’excellence» sur le méthane chargé d’améliorer «notre compréhension de ce type d’émissions», indique-t-on dans un communiqué. 

Le projet de règlement lui-même ne sera pas publié avant la mi-décembre, mais un aperçu présenté par M. Guilbeault lundi estime que la mise en œuvre du règlement entre 2027 et 2040 coûtera environ 15 milliards $ à l’industrie. 

Il indique également que les réglementations devraient permettre d’éviter l’émission de plus de 200 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère au cours de cette période de 13 ans.

La partie essentielle de la réglementation exige des compagnies pétrolières et gazières qu’elles cessent de brûler à la torche ou d’évacuer le méthane de leurs sites, avec quelques dérogations pour des raisons de sécurité. 

Le torchage consiste à brûler intentionnellement du méthane résiduel, qui est un sous-produit des sites de production de gaz naturel et de pétrole conventionnel. Le dégazage est l’émission intentionnelle de méthane.

Les sites produisent également du méthane par le biais d’émissions fugitives, qui sont des fuites d’équipement involontaires. La réglementation exige également davantage d’inspections et de meilleures réparations de ces fuites.

En 2021, le méthane représentait un peu moins de 14 % des émissions totales du Canada, dont 40 % pour l’industrie pétrolière et gazière. Les réglementations existantes visant à réduire le méthane portent déjà leurs fruits, avec plus de neuf millions de tonnes éliminées rien qu’en 2020.

Réactions de l’Alberta et de la Saskatchewan

La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, qui participe à la COP28, a dénoncé les nouvelles réglementations dans un communiqué, les qualifiant de «coûteuses, dangereuses et inconstitutionnelles».

Mme Smith a rejeté catégoriquement l’interdiction totale du torchage, le qualifiant de «pratique essentielle en matière de santé et de sécurité».

La proposition de règlement prévoit une exemption pour des raisons de sécurité.

Elle a également déclaré qu’Ottawa devrait suivre «l’approche primée» de l’Alberta en matière de méthane. 

La province est l’une des trois à utiliser ses propres réglementations en matière de méthane pour l’objectif de 2025, mais ces réglementations ont été ajustées à la suite de négociations avec Ottawa afin de garantir les mêmes réductions. 

Ottawa a signé un accord d’équivalence avec l’Alberta, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique afin de leur permettre d’utiliser leurs réglementations.

Des militants du climat se sont demandé si les dirigeants de l’Alberta et de la Saskatchewan, deux premiers ministres provinciaux présents à la COP28, n’allaient pas profiter des projecteurs d’un sommet mondial sur le climat pour donner de l’importance à leur lutte contre les objectifs fédéraux en matière de climat.

«Cela équivaut à un plafonnement de la production par défaut et constitue un autre exemple d’ingérence fédérale et de changement d’objectif, indique le communiqué. Il viole également l’accord d’équivalence actuel, que la Saskatchewan a signé avec le gouvernement fédéral en 2020.»

Les nouvelles réglementations n’entreraient pas en vigueur avant 2027. L’accord d’équivalence avec la Saskatchewan expire le 31 décembre 2024.

Combats constitutionnels déguisés

Bien que certaines provinces puissent considérer que le nouveau projet de règlement sur le méthane est trop strict, il ne s’agit pas d’une question constitutionnelle, a déclaré Stewart Elgie, professeur d’économie et de droit à l’Université d’Ottawa, qui a plaidé avec succès des cas environnementaux devant la Cour suprême du Canada.

«Il s’agit en réalité d’une lutte avec (le premier ministre Justin) Trudeau au sujet du rythme des réductions d’émissions, a écrit M. Elgie dans un courriel à La Presse Canadienne, en réponse à la déclaration de Mme Smith. 

«La première ministre Smith doit cesser de déguiser ses désaccords en matière de politique climatique en combats constitutionnels.»

Cinquante compagnies pétrolières représentant la moitié de la production mondiale, dont Shell et ExxonMobil, ont signé un engagement annoncé lors de la COP28 ce week-end pour réduire leurs émissions de méthane à près de zéro d’ici 2030. Cenovus, une société énergétique établie à Calgary, cible une réduction de 80 % des émissions de méthane par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2028.

Dans une déclaration, une coalition d’organisations canadiennes de défense du climat, dont Environmental Defence et Greenpeace Canada, ont salué le nouveau projet de règlement, tout en soulignant l’importance de la mise en place de rapports indépendants et précis sur les émissions de méthane.

L’Agence internationale de l’énergie a déclaré que les émissions mondiales de méthane étaient supérieures de 70 % à celles déclarées par les gouvernements nationaux. 

Par ailleurs, une étude du laboratoire de recherche sur l’énergie et les émissions de l’Université Carleton, évaluée par des pairs, indique que les émissions de méthane de l’industrie énergétique de l’Alberta ont été sous-estimées de près de 50 %. 

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