Israël/Hamas: des débats dans les universités du Québec sur la réaction à afficher

Jacob Serebrin, La Presse Canadienne
Israël/Hamas: des débats dans les universités du Québec sur la réaction à afficher

MONTRÉAL — Cinq jours après l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre, le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, subissait une pression croissante pour se positionner sur le conflit.

Peu après minuit, le 12 octobre, il a envoyé un courriel à ses collègues. Alors que d’autres universités prenaient publiquement position sur la guerre, M. Jutras admettait qu’il devenait de plus en plus difficile pour l’établissement de ne pas emboîter le pas.

Le lendemain matin, Sophie Langlois, directrice des communications de l’université, se disait d’accord avec le recteur: le silence n’est pas neutre, écrivait-elle, d’autant plus que l’université avait pris des positions fermes suite aux attentats terroristes de Paris et au déclenchement de la guerre en Ukraine.

Des documents obtenus par La Presse Canadienne auprès des universités québécoises illustrent les débats parfois déchirants qui ont eu lieu au sein des établissements lors de la préparation de déclarations sur le conflit entre Israël et le Hamas — et dans la gestion des tensions entre les diasporas juive et arabe au Québec. 

Ces courriels révèlent les pressions, internes et externes, exercées sur les directions des universités pour qu’elles prennent position sur cette guerre, et comment les administrateurs ont fait face à de vives critiques, peu importe ce qu’ils disaient – ou ne disaient pas.

Environ 1200 personnes sont mortes du côté israélien, principalement des civils tués lors des attaques-surprises du Hamas le 7 octobre en Israël. Le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, a déclaré que le nombre de morts dans l’enclave palestinienne a dépassé vendredi les 17 400, avec plus de 46 000 blessés.

Le 10 octobre, trois jours après les attaques du Hamas, le recteur Jutras publie une brève déclaration sur les médias sociaux décrivant à quel point il était «choqué de l’escalade brutale de la violence». Mais cela ne suffisait pas pour certains cadres supérieurs de l’«UdeM», alors que d’autres recommandaient la prudence. 

Plus tard dans la journée, le vice-recteur Jean-François Gaudreault-DesBiens envoie un courriel pour indiquer que le Centre consultatif des relations juives et israéliennes était contrarié par le fait que l’université semblait établir une équivalence morale entre les actions du Hamas et la riposte d’Israël.

Le lendemain, 11 octobre, M. Gaudreault-DesBiens envoie un autre courriel, affirmant que le recteur Jutras hésitait sur l’opportunité d’adopter une position plus ferme contre l’attaque du Hamas. Le vice-recteur indiquait alors que pour lui, le silence était difficile à accepter. 

Il se demandait si l’université aurait hésité si les victimes de ces «actes ignobles» avaient été des musulmans, des personnes trans ou des Autochtones.

Le 12 octobre, le recteur Jutras publie une deuxième déclaration aux membres de la communauté de l’Université de Montréal. «Alors que nous découvrons l’horreur des actes perpétrés au cours des derniers jours et que nous suivons avec attention l’évolution de la situation, nous ne pouvons être que profondément inquiets du sort des populations civiles dans la zone des hostilités», écrivait-il entre autres. 

Le recteur explique ensuite que «l’université en tant qu’institution n’a pas de position ni d’avis dans la sphère géopolitique», mais se concentre plutôt sur la création d’«espace de liberté et d’apprentissage» et sur le souci d’assurer «le bien-être des membres de sa communauté».

McGill 

De son côté, en réponse à une demande d’accès à l’information, l’Université McGill a rendu publics 152 courriels, surtout adressés au principal, Deep Saini, provenant d’étudiants, de professeurs, d’anciens étudiants et de citoyens. Ces correspondants discutent des déclarations publiques de l’université sur la guerre au Proche-Orient et expriment leurs inquiétudes quant à la position prise par une organisation étudiante.

On y lit également des commentaires sur la déclaration de M. Saini du 12 octobre, dans laquelle le principal de McGill écrit qu’il «a observé avec horreur les immenses souffrances et les pertes en vies humaines causées par le Hamas à travers son odieuse attaque terroriste contre Israël».

Plus d’une vingtaine de courriels ont salué sa déclaration, mais un nombre similaire ont exprimé leur déception, certains affirmant que M. Saini minimisait la mort de civils palestiniens. D’autres courriels font part de la crainte que les propos du principal aient un effet dissuasif sur les voix propalestiniennes sur le campus de McGill. Quelques courriels critiquent aussi M. Saini pour ne pas avoir adopté une position pro-israélienne plus ferme.

Les documents comprennent également un courriel adressé à M. Saini par quelqu’un qui écrit qu’il donne suite à un appel téléphonique du principal au cours duquel il a discuté de la réponse de McGill. Le courriel recommande à M. Saini de lire une «brillante analyse» sur le conflit israélo-palestinien qui fait écho aux thèmes abordés lors de leur appel. Les détails de cette analyse sont caviardés.

Mais ce courriel adressé à M. Saini a été transmis au recteur Jutras et fait partie des documents rendus publics par l’Université de Montréal. Le courriel révèle que la «brillante analyse» est en fait un article d’opinion publié dans le «Jerusalem Post» et intitulé «La culture palestinienne est moralement en faillite». L’article d’opinion suggère notamment que la plupart des Palestiniens sont nihilistes et de «mauvais voisins».

Dans un courriel envoyé vendredi, l’Université McGill précise que le principal Saini et d’autres membres de la haute direction «ont eu des conversations avec de nombreux membres de la communauté sur cette question, comme c’est souvent le cas sur un certain nombre de questions».

«Comme dans tous les échanges, cela ne veut pas dire que McGill est d’accord avec les opinions qui lui sont exprimées», précise-t-on.

McGill n’a pas répondu à la question de savoir pourquoi elle avait caviardé le contenu de l’article du «Jerusalem Post».

Dans les 20 jours qui ont suivi l’attaque du Hamas, M. Saini a reçu plus de 30 courriels le pressant d’agir contre une organisation étudiante – Solidarité pour les droits humains palestiniens de McGill – qui avait qualifié les attaques du Hamas d’«héroïques» dans une publication sur les réseaux sociaux.

L’université a annoncé le 10 octobre qu’elle n’autoriserait plus le groupe à utiliser le nom de McGill; le principal Saini a qualifié les publications du groupe sur les réseaux sociaux d’«odieuses».

Concordia

L’Université Concordia a refusé de rendre publiques les communications internes liées à sa déclaration sur la guerre au Proche-Orient. L’université a toutefois publié plusieurs courriels entre administrateurs qui discutaient d’un «débrayage» des étudiants prévu le 25 octobre pour protester contre la poursuite du «siège» de Gaza.

«Nous devrons être prêts à accueillir des étudiants et des professeurs juifs qui cherchent à obtenir des assurances quant à leur sécurité», écrit la vice-rectrice aux affaires académiques, Anne Whitelaw, dans un courriel adressé à d’autres administrateurs de Concordia.

La Presse Canadienne a déposé la demande d’accès à l’information une semaine et demie avant que des violences entre militants pro-israéliens et propalestiniens n’éclatent sur le campus du centre-ville de Concordia, entraînant des blessés et une arrestation.

L’Université du Québec à Montréal a refusé de divulguer les courriels liés à ce sujet, citant plusieurs articles de la loi sur l’accès à l’information, dont celui qui permet aux organismes publics québécois de refuser de divulguer des documents qui pourraient réduire l’efficacité d’un programme, d’un plan d’action ou d’une mesure de sécurité.

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