Il y a 25 ans, François Legault se lançait en politique

Patrice Bergeron, La Presse Canadienne
Il y a 25 ans, François Legault se lançait en politique

QUÉBEC — Le 23 septembre 1998, le premier ministre péquiste Lucien Bouchard procède à un remaniement ministériel qui suscite déjà de la grogne dans les rangs de ses députés.

Il nomme un non-élu, un homme d’affaires, millionnaire qui plus est, ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie. Un poste qu’il n’occupera même pas trois mois, pour ensuite accéder à l’Éducation.

Le novice de 41 ans s’appelle François Legault. C’était il y a exactement 25 ans.

«Un des meilleurs entrepreneurs de la jeune génération d’affaires du Québec, souligne M. Bouchard dans son discours. M. Legault symbolise la garde montante des entrepreneurs québécois. Il représente l’élan et l’ambition économique du Québec.»

Grogne dans le caucus

Il fait une entrée controversée dans sa propre nouvelle famille politique et remarquée par la presse parlementaire.

L’accession d’un entrepreneur encore sans siège de député au saint des saints «sème la grogne parmi la députation péquiste», écrit-on dans le quotidien Le Soleil. Plusieurs rêvaient en effet de devenir ministre.

Le chef de l’opposition libérale, Jean Charest, dit que l’arrivée de Legault est un «désaveu assez mordant de tous les élus d’arrière-ban du PQ».

Seulement une quinzaine de députés ont assisté à la cérémonie du remaniement. Il en manquait deux fois plus, souligne-t-on.

«Des députés ont clairement fait savoir qu’ils digéraient mal la nomination d’un homme d’affaires au conseil des ministres», peut-on lire.

C’est une «nomination susceptible de fissurer la grande solidarité dont le caucus a toujours fait preuve» malgré les dures réformes engagées par le gouvernement, poursuit-on. Rappelons en effet que ce sont des années de plomb au Québec, avec une dure réforme du système de santé conjuguée à l’atteinte du déficit zéro.

François Legault représente la «surprise» du remaniement, résume-t-on.

Or ce ne sera pas la première fois qu’il cause la surprise en politique…

On le considère comme une «personne respectée du milieu des affaires, mais peu connue du grand public», opine Le Devoir.

C’est un entrepreneur qui a bâti sa fortune dans le milieu éprouvant de l’aviation et du voyage, à titre de cofondateur d’Air Transat, une entreprise qu’il a quittée à la suite de différends avec ses partenaires, selon ce qui a été rapporté.

Déjà à l’époque, La Presse souligne que «dans l’industrie du voyage, on évalue que les actions dont il s’est départi lui ont rapporté 14 millions $». C’est beaucoup à l’époque.

Le premier ministre Lucien Bouchard n’est pas peu fier de sa recrue, censée apporter une aura de crédibilité et de respectabilité à l’aile économique du camp souverainiste.

C’est du reste le poids lourd du cabinet, le ministre de l’Économie et des Finances, Bernard Landry, qui a «livré» la recrue, c’est-à-dire qui l’a convaincue finalement de faire le saut en politique active, écrit-on. Mais on souligne que M. Legault avait exprimé à voix haute son intention de se lancer en politique pour redonner à la société qui lui a permis de s’instruire et de prospérer.

Un souverainiste

Dès son entrée en fonction, il livre une profession de foi indépendantiste, pour dissiper toute ambiguïté dans le parti auquel il adhère, puisque le milieu des affaires est traditionnellement associé au camp fédéraliste.

«La souveraineté est importante au niveau culturel et au niveau de l’identité, a-t-il alors déclaré. Au niveau économique, on est capables si on gère bien nos affaires. Ce serait plus simple» s’il n’y avait pas deux gouvernements, lit-on dans un article de La Presse Canadienne.

Il changera ensuite d’idée.

Plus tard dans les années 2000, il deviendra d’abord un indépendantiste pressé, un «caribou» comme on disait alors, mais il se ravisera quand il fondera en 2011 la Coalition avenir Québec (CAQ), en plaidant que les Québécois étaient fatigués et qu’ils avaient deux fois voté Non à la souveraineté lors de référendums.

Mais revenons à 1998. Il faut trouver un siège au ministre non élu. Ce sera la circonscription de Rousseau, un comté péquiste sûr, aux élections générales du 30 novembre. Après l’Éducation – dont il ne cesse de dire encore aujourd’hui que c’est sa priorité -, il passera à un autre ministère casse-cou, la Santé.

Jamais François Legault ne perdra une élection à titre de député. Le PQ passe à l’opposition en 2003, mais il est réélu, comme en 2007 et 2008.

Deux fois il a songé à se lancer dans une course à la direction du PQ, en 2001 et en 2005, et deux fois il s’est désisté.

C’est en juin 2009 qu’il démissionne. On dit qu’il s’adapte mal aux banquettes de l’opposition. Lui dit que sa motivation déclinait.

Ému, il affirmait alors être «inquiet pour l’avenir du Québec» qui est engagé dans «un déclin tranquille» dans la «résignation et l’indifférence», lit-on dans Le Soleil.

«La question du Québec n’est pas réglée, mais c’est comme si on refusait de se l’admettre collectivement, a noté le démissionnaire. La même apathie existe pour les défis économiques et sociaux auxquels nous faisons face.»

Mais surprise… sa retraite de la vie publique ne durera pas si longtemps, même si à 52 ans, il estimait avoir «fait le tour du jardin après 10 ans en politique», lisait-on dans La Presse à l’époque.

En février 2011, François Legault lance avec l’homme d’affaires Charles Sirois un groupe de réflexion regroupant des souverainistes et des fédéralistes fatigués, qui cherchent à l’époque à dépasser ce clivage, à trouver une troisième voie nationaliste devant l’impasse de la question nationale.

De ce groupe de réflexion, la Coalition avenir Québec (CAQ) devient parti en novembre 2011 et avale l’Action démocratique du Québec (ADQ), avec pour ambition de former le prochain gouvernement et supplanter son ancien parti, le PQ, comme porte-étendard du courant historique du nationalisme québécois. L’Histoire en décidera autrement et ce sera partie remise… jusqu’en 2018.

Célébrer 25 ans de carrière?

François Legault avait-il l’intention de souligner ses 25 ans de carrière politique cette année?

Pas vraiment.

En janvier dernier, au caucus pré-sessionnel des élus de son parti, dans un hôtel de Laval, il avait laissé entendre qu’il n’y avait rien de prévu et qu’il ne semblait pas être intéressé à ce qu’on souligne ce quart de siècle de politique – alors qu’il rappelle toujours son passé d’homme d’affaires qui remonte à il y a plus de 25 ans.

«Je n’aime pas ça, ces affaires-là», avait lancé le chef caquiste.

Or il est maintenant le doyen de l’Assemblée nationale, lui qui a tenté de faire carrière depuis la fondation de la CAQ en présentant une nouvelle façon de faire de la politique, contre ce qu’il qualifie de «vieux partis», le PQ et le PLQ.

Il a souligné qu’il est tout de même plus jeune que l’ancien doyen de l’Assemblée nationale, François Gendron. Et sourire en coin, il a fait allusion au président des États-Unis.

«Je suis pas mal plus jeune que M. Biden, à part ça!»

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