Haïti: des organismes lancent un appel à l’aide et à éviter les erreurs du passé

Stéphane Blais, La Presse Canadienne
Haïti: des organismes lancent un appel à l’aide et à éviter les erreurs du passé

MONTRÉAL — Des organismes de la communauté haïtienne réclament l’aide du Canada et du Québec pour sortir de la crise qui sévit en Haïti et demandent également qu’Ottawa et les Occidentaux évitent les erreurs du passé.

Les violences armées, les massacres, la pénurie d’eau, de médicaments et de nourriture et les risques d’épidémies menacent la vie de 11 millions de personnes en Haïti selon la Concertation haïtienne pour les migrants (CHPM), qui demande au Canada de prendre un rôle de leadership afin de trouver «avec des acteurs haïtiens crédibles» des solutions pour sortir de la crise. 

«Nous sommes témoins d’une catastrophe humanitaire où les droits les plus élémentaires à la sécurité, à la santé et à la vie sont bafoués», a déploré Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti et porte-parole de la CHPM, mardi, à Montréal, ajoutant qu’«il est impératif que le Canada et le Québec répondent à cet appel de solidarité».

Inclure les Haïtiens dans la sortie de crise 

La capitale Port-au-Prince est submergée par les gangs violents et le  premier ministre Ariel Henry a annoncé, lundi, qu’il démissionnera,  en marge d’une réunion convoquée en Jamaïque pour mettre fin à la crise.

La rencontre, initiée par le Caricom, un bloc commercial régional, réunissait notamment l’ambassadeur du Canada aux Nations unies Bob Rae et le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

Frantz Voltaire, du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne, établi à Montréal, a déploré mardi l’absence d’Haïtiens autour de la table.

«Lors de cette réunion à Kingston (en Jamaïque), je n’ai vu aucun représentant d’Haïti et je n’ai vu aucun représentant des diasporas haïtiennes. Il y a quand même des personnalités et des expertises haïtiennes (qui pourraient être consultées), mais j’ai bien peur qu’on décide pour Haïti sans que l’on consulte les Haïtiens de l’intérieur et de la diaspora.»

Les Occidentaux doivent éviter les erreurs du passé

L’implication de la communauté haïtienne dans la sortie de crise est impérative pour éviter les erreurs du passé selon Frantz Voltaire.

Lors de la conférence de presse, il a énuméré plusieurs situations dans le passé, où des puissances étrangères, ou alors les Nations unies, ont créé plus de problèmes qu’elles n’en ont résolus en Haïti.

Il a notamment cité l’exemple de la dernière épidémie de choléra qui a tué près de 10 000 personnes. Elle avait commencé il y a plus de dix ans après que des Casques bleus de l’ONU ont introduit la bactérie dans le plus grand fleuve du pays par le ruissellement des eaux usées de leur base.

«On vit une situation où ce pays est occupé, le pays est sous un protectorat, mais sans la responsabilité du protectorat», a-t-il dénoncé en affirmant que des puissances étrangères étaient impliquées dans la nomination du premier ministre haïtien Ariel Henry et que c’est sous la gouverne de ce dirigeant que la violence des gangs a pris de l’ampleur.

Le Core Group, constitué par l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Union européenne et les émissaires de l’Organisation des États américains et de l’ONU, avait appuyé en 2021 la nomination d’Ariel Henry.

Frantz Voltaire a également critiqué «les programmes de formation de la police mis en place par le Canada, la France et les États-Unis», qu’il a qualifiés de «catastrophe».

«Une partie de la police a développé des liens avec les gangs organisés» et «les secteurs de la police qui auraient pu ou qui affrontent les gangs» n’ont pas le matériel nécessaire. Il a donné l’exemple des retards de livraison des véhicules de police blindés commandés au Canada par Haïti.

«Il faut revoir tous ces programmes et voir la responsabilité de chacun», a-t-il dit.

Un rôle «d’honest broker» pour Ottawa

Les organismes présents à la conférence de presse à Montréal mardi croient qu’Ottawa pourrait jouer un «plus grand leadership» dans la sortie de crise et aussi un rôle d’influenceur auprès de certaines puissances comme les États-Unis.

Le Canada peut agir, selon Frantz Voltaire, en renforçant les institutions du pays.

«Pour arriver à une forme de stabilisation, il faut renforcer la police, mais il faut surtout pousser à ce que les Haïtiens réclament une réforme du système de justice, ça ne sert à rien de renforcer la police si chaque fois les gens s’évadent des pénitenciers.»

Mais encore une fois, a-t-il indiqué, il faut le faire en concertation, notamment avec les Haïtiens de la diaspora.

«Le Canada est dans la posture de «l’honest broker»» et «il pourrait très bien, comme l’avait fait Brian Mulroney avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher» essayer d’influencer les pays qui ont un pouvoir important sur Haïti.

Il faisait ainsi référence au rôle du Canada dans la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et il croit qu’Ottawa pourrait influencer les pays du Core Group pour trouver une résolution au conflit haïtien.

Les armes qui enveniment le conflit

Au-delà de la politique interne et des influences politiques externes, l’un des problèmes qui alimentent la crise, selon Frantz Voltaire, c’est le trafic d’armes qui passe par le port de Miami.

«Il faut mettre en place une façon de contrôler le trafic d’armes vers Haïti, mais aussi le trafic de munitions, car Haïti n’en fabrique pas, alors sans munitions, les armes ne servent pas à grand-chose.»

Ariel Henry a annoncé lundi soir qu’il démissionnerait une fois qu’un conseil présidentiel de transition serait créé. 

Le Canada a indiqué qu’il soutiendrait la mise en œuvre d’un tel conseil.

M. Henry a été exclu de son propre pays alors qu’il voyageait à l’étranger, en raison de la montée des troubles et de la violence des gangs criminels qui ont envahi une grande partie de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, et fermé ses principaux aéroports internationaux.

Le premier ministre Justin Trudeau a réaffirmé mardi «qu’il fallait déployer de toute urgence la Mission multinationale d’appui à la sécurité autorisée par les Nations unies afin d’améliorer les conditions de sécurité pour les civils».  

Il a également souligné «l’engagement du Canada à contribuer à hauteur de 80,5 millions $ à la Mission ainsi que les efforts visant à aider les membres de la CARICOM à se préparer à y participer».

Des milliers de morts

Selon Médecins du Monde Canada, établi à Montréal, 5,5 millions de personnes requièrent de l’aide humanitaire en Haïti, soit près de la moitié de la population, et plus de 300 gangs différents occupent plus de 70 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Médecins du Monde Canada souligne également que de janvier à août 2023, les cas de viol auraient augmenté de 49 % par rapport à la même période en 2022.

Selon l’Organisation des Nations unies, plus de 8400 personnes ont été tuées, blessées et/ou kidnappées en Haïti en raison de la violence armée et des gangs en 2023.

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