Des scientifiques exhortent le Canada à reconnaître la «dégradation» des forêts

Jordan Omstead, La Presse Canadienne
Des scientifiques exhortent le Canada à reconnaître la «dégradation» des forêts

TORONTO — Une lettre signée par une centaine de scientifiques exhorte le gouvernement canadien à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la dégradation, par l’exploitation forestière industrielle à grande échelle, de forêts jusque-là intactes.

La lettre, signée par plusieurs éminents scientifiques canadiens et américains spécialistes du climat et des forêts, appelle également le gouvernement à aider, plutôt qu’à entraver, les politiques mondiales visant à freiner l’expansion industrielle dans les forêts anciennes et primaires — qui n’ont jamais été perturbées industriellement.

La lettre est publiée alors que le Canada s’apprête à rédiger sa propre définition de la «dégradation» des forêts, après que l’Union européenne a adopté une loi plus tôt cette année visant à limiter la disponibilité des produits qui contribuent à la déforestation et à la dégradation.

Les groupes environnementaux ont dénoncé les pressions exercées par le Canada pour que l’UE supprime de son projet de loi toute référence au terme «dégradation» des forêts.

Alors que le Canada s’est souvent vanté de son faible «taux de déforestation» – lorsque les terres forestières sont converties à un autre usage –, la lettre attire l’attention sur la «dégradation» associée à l’exploitation forestière des forêts anciennes et primaires, jusque-là épargnées par une activité industrielle à grande échelle.

Dans la lettre, rédigée par le scientifique en chef du groupe de conservation «Wild Heritage», établi en Californie, les spécialistes admettent que le terme «dégradation» des forêts n’a pas encore fait l’objet d’une «définition unique qui soit internationalement acceptée». 

Mais selon les signataires, ce terme est largement compris comme faisant référence «aux impacts délétères sur les écosystèmes forestiers qui ne constituent pas des changements d’affectation des terres, mais qui les affectent négativement», notamment les espèces indigènes, la qualité de l’écosystème et les réserves de carbone.

«Nous exhortons maintenant le Canada à reconnaître et à s’attaquer à la dégradation des forêts sur son propre territoire, en utilisant une définition basée sur des indicateurs écologiques plutôt qu’économiques, et à soutenir plutôt qu’à entraver l’élaboration de politiques mondiales visant à mettre un terme à la dégradation des forêts», indique la lettre, rédigée par Dominick DellaSala.

Le Canada est signataire de la «Déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l’utilisation des terres», qui engage les parties à mettre fin et à inverser la déforestation et la dégradation des terres d’ici 2030.

La lettre des scientifiques indique que la définition du Canada sur la «dégradation» des forêts devrait utiliser des «indicateurs écologiques», comme la perte de puits de carbone et le déclin de la biodiversité, plutôt que des indicateurs purement économiques.

«Correctement interprétée, la dégradation inclurait nécessairement les impacts industriels dans les forêts primaires et anciennes, ainsi que la conversion de forêts à régénération naturelle en plantations ou forêts plantées», estiment les spécialistes canadiens et américains.

Ressources naturelles Canada n’a pas répondu immédiatement à une demande de commentaire.  

Des pertes «irremplaçables»

Le gouvernement fédéral a qualifié le Canada de leader mondial en matière de développement durable des forêts, la grande majorité des terres forestières du pays étant détenues et gérées par l’État. Les zones exploitées dans ces forêts doivent être replantées ou laissées en régénération. 

Mais ce qui a été considéré comme une gestion durable des forêts dans le passé pourrait, dans de nombreux cas, être considéré comme une dégradation compte tenu de ses effets sur les bassins de carbone et la biodiversité, a mentionné Suzanne Simard, professeure en écologie forestière à l’Université de la Colombie-Britannique, qui a signé la lettre. 

«Nous faisons exactement ce que nous avons dit que nous ne devrions pas faire, que les autres pays ne devraient pas faire», a affirmé Mme Simard, auteur du livre «À la recherche de l’arbre-mère». 

Mme Simard est l’un des nombreux scientifiques qui ont suggéré que les forêts replantées stockent moins de carbone que celles qui n’ont pas été perturbées par l’industrie, en partie parce qu’une partie de ce carbone s’accumule pendant des siècles sous le sol ou sur le tapis forestier.

«Lorsque nous posons ces machines sur le sol et que nous abattons ces arbres, nous perdons en fait une bonne partie des réservoirs de carbone du sol de la forêt, a-t-elle soutenu. Nous devrions éviter ces pertes à tout prix parce qu’elles sont vraiment irremplaçables, surtout dans la période où nous devons agir (contre le changement climatique).»

Lettre «malavisée»

Dans une déclaration, l’Association des produits forestiers du Canada, un groupe industriel, a qualifié la lettre de «malavisée». Elle a déclaré que le Canada était «parmi les meilleurs au monde» en matière de gestion durable des forêts. 

«Le secteur forestier canadien et ses travailleurs soutiennent l’importance des engagements mondiaux visant à faire progresser l’action climatique, à stopper et à inverser la déforestation et la dégradation des sols, et à promouvoir l’approvisionnement durable», peut-on lire dans la déclaration.

«Ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’un dialogue international plus large, et le Canada doit travailler en collaboration avec ses partenaires internationaux», a ajouté l’association. 

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