D’abord refusée, une militante russe antiguerre obtient la citoyenneté canadienne

La Presse Canadienne
D’abord refusée, une militante russe antiguerre obtient la citoyenneté canadienne

OTTAWA — Une Russe qui craignait d’être déportée pour faire face à une condamnation pour s’être opposée à l’invasion de l’Ukraine par Moscou a obtenu la citoyenneté canadienne, des mois après que les autorités l’aient empêchée de prêter serment.

«J’étais très anxieuse aujourd’hui quand je me suis réveillée, mais maintenant je me sens beaucoup plus détendue», a confié Maria Kartasheva mardi après-midi, quelques instants après avoir obtenu la citoyenneté canadienne.

«Je ne veux pas que quelqu’un d’autre vive la même chose, parce que c’était une expérience très effrayante», a-t-elle ajouté. 

La semaine dernière, Mme Kartasheva a révélé que le ministère de l’Immigration l’avait empêchée de prêter le serment de citoyenneté, juste avant le début de la cérémonie.

Mme Kartasheva a quitté la Russie en 2019 en raison de la montée de l’autoritarisme et est maintenant une travailleuse dans le secteur technologique à Ottawa qui a cofondé un groupe militant pour la démocratie en Russie.

Comme l’a d’abord rapporté CBC News, Mme Kartasheva, 30 ans, a appris par sa famille qu’à la fin de 2022, elle avait été accusée par les autorités russes pour avoir délibérément diffusé de fausses informations sur les forces russes

Les accusations portaient sur deux articles de blogue qu’elle avait écrits en mars 2022, alors qu’elle vivait au Canada, et dans lesquels elle exprimait son horreur de voir les troupes russes tuer des Ukrainiens dans la ville de Bucha. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a évoqué que cette attaque comprenait «des exécutions illégales, y compris des exécutions sommaires, d’au moins 50 civils».

«Plus stressant que la persécution politique en Russie»

Mme Kartasheva a informé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada des accusations portées contre elle. Les dossiers du ministère montrent qu’elle a téléchargé des documents judiciaires russes traduits en mai dernier. 

Quelques jours plus tard, le ministère lui a envoyé une invitation à sa cérémonie de citoyenneté, qui devait être virtuelle. 

Le 7 juin 2023, elle s’est connectée à la cérémonie aux côtés de son mari. Lors de l’entretien préalable à l’entrée dans la salle de cérémonie, on lui a demandé si quelqu’un avait fait l’objet d’une inculpation pénale, dans le cadre d’une liste de questions standard.

Lorsqu’elle a expliqué ce qui s’était passé, un fonctionnaire l’a empêchée de procéder à la cérémonie. 

Mme Kartasheva avait été arrêtée par contumace (en l’absence de l’intéressée) par un juge sanctionné par le Canada. Quelques mois plus tard, un tribunal de Moscou également sanctionné par le Canada a condamné Mme Kartasheva à huit ans de prison. 

Le mois dernier, le ministère lui a envoyé une lettre indiquant que sa condamnation en Russie correspondait à une infraction au Code criminel canadien relative à de fausses informations. Mme Kartasheva a fait appel de cette lettre, demandant au gouvernement de reconsidérer sa décision de lui interdire l’accès à la citoyenneté.

Elle craignait d’être expulsée si son appel échouait

«Pour être honnête, c’était plus stressant que la persécution politique en Russie. Parce que la persécution politique en Russie (…) n’était pas trop surprenante. Mais avec le Canada, j’ai été choquée», a-t-elle dit.

Les avocats spécialisés en droit de l’immigration et l’opposition conservatrice ont soutenu qu’il s’agissait d’une interprétation manifestement erronée de la loi canadienne. Le ministère de l’Immigration a répondu aux médias que ces cas étaient «soigneusement examinés» avant que les autorités n’émettent des avis d’interdiction à des personnes comme Mme Kartasheva.

Vendredi dernier, alors que les médias faisaient état de la situation de Mme Kartasheva, celle-ci a reçu un appel de sa députée, la libérale Anita Vandenbeld, qui lui a dit qu’elle se renseignerait sur son cas. Mardi midi, des fonctionnaires de l’immigration ont appelé Mme Kartasheva, l’invitant à assister à une cérémonie de citoyenneté virtuelle l’après-midi même.

Le bureau du ministre de l’Immigration Marc Miller n’a pas voulu dire s’il était personnellement intervenu dans cette affaire. M. Miller a indiqué sur la plateforme X que Mme Kartasheva avait été invitée à devenir citoyenne. 

«Les règles d’éligibilité sont conçues pour barrer l’accès à la citoyenneté canadienne par les criminels, non pour réprimer ou punir les dissidents politiques légitimes», a -t-il écrit. 

Faire changer les choses

Mme Kartasheva a relaté qu’elle s’efforçait désormais d’empêcher d’autres personnes de se retrouver dans la même situation.

Le groupe d’activistes qu’elle a cofondé, l’Alliance démocratique des Canadiens Russes, prévoit de lancer une pétition parlementaire demandant à Ottawa de dresser la liste des lois étrangères à motivation politique qui n’ont pas d’équivalent au Canada, afin d’éviter des situations comme la sienne.

L’idée serait qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté dispose d’une liste des lois de différents pays qui sont utilisées à des fins de persécution politique, que les bureaucrates canadiens n’utiliseraient pas lorsqu’ils dresseraient la liste des demandeurs de citoyenneté en vue d’une éventuelle interdiction.

Dans sa communication avec le ministère, Mme Kartasheva a dû payer les services d’un avocat et la traduction officielle de ses documents judiciaires russes.

 «Il n’appartient pas à la personne poursuivie politiquement de prouver cela; le gouvernement canadien le ferait pour elle, a soutenu Mme Kartasheva. J’espère que personne d’autre n’aura à vivre la même chose.»

L’association russe de défense des droits humains OVD-Info affirme que plus de 19 000 personnes ont été arrêtées lors de manifestations contre la guerre, ce qui a donné lieu à plus de 850 affaires pénales. Nombre d’entre elles risquent plusieurs années de prison pour avoir qualifié l’invasion russe de guerre.

Mme Kartasheva dit qu’elle connaît un autre Russe qui a fui au Canada avant d’être poursuivi par contumace, qui a demandé le statut de réfugié et qui attend une décision.

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