Crise à QS : le pragmatisme de Gabriel Nadeau-Dubois provoque la grogne

Thomas Laberge, La Presse Canadienne

QUÉBEC — Une quarantaine d’ex-employés, d’anciens candidats et de militants de Québec solidaire (QS), actuels ou anciens, de même que l’ex-députée Catherine Dorion, publient jeudi matin une lettre ouverte pour s’opposer au virage «pragmatique» que propose le porte-parole masculin de la formation, Gabriel Nadeau-Dubois.

Selon les signataires de la lettre, la vision de M. Nadeau-Dubois concernant l’avenir de QS n’est pas la bonne, puisque le parti a été fondé dans l’idée même de former une option s’inscrivant à l’extérieur des standards de la politique.

«Se cantonner dans les institutions parlementaires actuelles ainsi que dans la soumission aux exigences médiatiques et algorithmiques, ça serait l’équivalent d’attendre par magie qu’un mouvement social fort se lève et que QS puisse simplement s’en faire le relais à l’Assemblée nationale», dénoncent les signataires.

QS est en crise depuis la démission d’Émilise Lessard-Therrien de son poste de co-porte-parole, quelques mois seulement après avoir été élue. Dans un message où elle explique les raisons de son départ, elle écorche la «petite équipe de professionnels tissés serrés autour» de Gabriel Nadeau-Dubois.

La semaine dernière, M. Nadeau-Dubois a fait valoir qu’une refonte complète du programme et de la structure de QS s’imposait, afin qu’il puisse devenir un «parti de gouvernement».

Reprendre le pouvoir à bras-le-corps

Dans leur lettre, les signataires soutiennent que cette vision est erronée, et qu’elle ne correspond pas aux valeurs profondes de QS qui ont fait en sorte qu’ils ont accepté de consacrer «temps, charge mentale, sueur, foi, et une grande quantité d’efforts résolus et sincères».

À leur avis, adopter une approche «pragmatique» est une stratégie vouée à l’échec, puisque ce type de positionnement «se fait doubler partout en Occident par une droite qui n’a pas peur de soulever des foules et de déplacer le cadrage du débat politique vers la droite».

«Où nous mènera ce choix craintif de se tenir dans les limites du «pragmatisme» dictées par les élites médiatiques et économiques? Notre ambition est beaucoup plus grande que ça», plaident-ils.

Si les signataires sont d’accord avec le fait que QS doit avoir comme ambition de prendre le pouvoir, ce ne doit pas être pour «l’occuper tranquillement en y passant les quelques projets de loi que les élites dominantes voudront bien nous laisser passer».

«C’est pour reprendre ce pouvoir à bras-le-corps et le faire redescendre vers le peuple; c’est pour réinventer du tout au tout notre démocratie en faillite; c’est pour réécrire à partir de zéro une Constitution nouvelle, celle d’un Québec indépendant qui soit en phase avec ce mouvement social chauffé à bloc auquel nous aurions œuvré au meilleur de nos capacités. En phase avec le peuple, pour une fois», écrivent-ils.

«Et ça, ça ne se fera pas dans les limites de ce que les commentateurs média ou les évêques de la finance jugent «réaliste». Ça ne se fera pas avec un seul discoureur habile ou avec une seule petite clique. Ça se fera avec beaucoup, beaucoup de monde. C’est au travail de rassembler cette immense gang-là pas seulement dans l’urne, mais aussi dans la vraie vie, qu’il faudrait que QS s’attelle», ajoutent les signataires de la lettre.

«Moment difficile»

Appelé à réagir à la missive, le député solidaire Alexandre Leduc a admis que c’était un «moment difficile» pour QS. «Mais ce n’est pas le premier débat difficile que nous avons», a-t-il ajouté en point de presse jeudi à l’Assemblée nationale.

Toutefois, «on ne va pas nier qu’on a eu un départ d’une co-porte-parole. C’est la première fois que ce type d’événement arrive. On ne va pas nier aussi qu’il y a des questions qui se posent par rapport à notre impact puis nos dialogues avec les régions», a reconnu la députée Alejandra Zaga Mendez.

«C’est la première fois qu’on vit ça à Québec solidaire de cette façon-là. Ceci étant dit, moi, je crois nos instances démocratiques, je crois qu’on est capables d’avoir ce débat-là dans les instances qui vont nous permettre de prendre des décisions collectives», a-t-elle ajouté.

M. Leduc a bon espoir que son parti sorte uni de son Conseil national qui se tiendra à la fin du mois de mai au Saguenay.

«Je ne vous cacherai pas que ça m’est déjà arrivé de perdre des débats à l’intérieur de QS comme militant et d’avoir cette idée qui me traverse l’esprit: »Est-ce que je suis encore à la bonne place?» Je pense qu’il y a quelque chose de sain là-dedans», a-t-il affirmé.

Dans le passé, ceux qui ne se reconnaissaient plus dans le parti ont quitté, a soulevé en mêlée de presse l’ancienne co-porte-parole de QS, Manon Massé.

«Il va y avoir des gens qui vont devoir se poser des questions, a-t-elle dit. Je me souviens quand on a raffermi notre position sur l’indépendance du Québec, il y a des gens qui étaient mal à l’aise. Ils avaient deux choix: soit qu’ils restaient avec nous en disant: «Ok, c’est un élément parmi d’autres, on fonce» ou bien ils disaient: «On s’en va».»

La grogne s’intensifie au sein du parti de gauche depuis le départ d’Émilise Lessard-Therrien. Mardi, la Commission nationale des femmes de QS a dénoncé le musellement des femmes et «l’influence croissante de personnes non élues démocratiquement» au sein du parti.

Vendredi dernier, deux employés et proches collaborateurs de M. Nadeau-Dubois ont quitté la permanence du parti.

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