COP28: des écologistes prennent l’avion pour contrer le poids des pétrolières

Stéphane Blais, La Presse Canadienne
COP28: des écologistes prennent l’avion pour contrer le poids des pétrolières

MONTRÉAL — Plusieurs dizaines de milliers de délégués provenant de 200 pays ont pris l’avion pour Dubaï afin de  participer à la COP28 qui débute jeudi. Malgré la quantité de gaz à effet de serre que cet événement produit, des écologistes qui se sont rendus sur place assurent que leur présence dans l’état pétrolier est essentielle.

En 2021, la COP26 à Glasgow avait réuni près de 40 000 délégués, selon les Nations unies, et les premières estimations provenant de Dubaï indiquent que la COP28  pourrait accueillir 70 000 participants, ce qui constituerait un record. 

«C’est une volonté affichée depuis le début par la présidence de cette COP, elle veut en faire la plus grosse COP de l’histoire en termes de participation, et puis, pour le coup,  je pense qu’ils ont clairement réussi», a indiqué Anne-Céline Guyon, de Nature Québec, rejointe à Dubaï au téléphone.

Comme la majorité des participants se déplacent en avion pour se rendre dans ce royaume du pétrole, cette COP risque d’être celle qui aura le plus lourd bilan carbone.

«Je comprends le cynisme des gens qui disent «vous prenez l’avion pour aller soi-disant sauver le climat»,  surtout à Dubaï, à une COP présidée par le PDG d’une pétrolière», a indiqué Anne-Céline Guyon.

Mais «boycotter» la COP ou éviter de prendre l’avion pour se rendre sur place, «ça serait l’équivalent de laisser les pétrolières seules sur la patinoire» parce que celles-ci «sont très présentes» et elles vont «tenter de ralentir les discussions et les actions», alors «c’est absolument essentiel que la société civile soit présente pour contrebalancer leur discours», a ajouté la chargée de projet climat chez Nature Québec.

Le son de cloche est le même du côté du Réseau Action Climat.

«On ne m’a jamais autant demandé pourquoi j’allais à la COP que cette année. Les conférences des Nations unies sur le climat sont loin d’être parfaites – mais la question qu’on doit poser, c’est: qui profiterait de l’absence de la société civile? Les représentants de l’industrie pétrolière et gazière qui ont retardé et dilué l’action climatique pendant des décennies seront présents en force. Nous ne pouvons pas nous permettre de les laisser dominer ces espaces, ni de laisser les gouvernements continuer à favoriser leurs intérêts au détriment d’un avenir plus sain, plus sécuritaire et plus équitable pour tous», a expliqué Caroline Brouillette, directrice du Réseau Action Climat.

Au-delà de la participation aux différents débats et aux plénières, une présence physique aux grandes rencontres sur le climat permet de participer aux jeux de coulisses et de faire des rencontres informelles avec des acteurs importants, qui ne seraient peut-être pas accessibles autrement.

«On peut croiser des ministres, des négociateurs et des membres d’autres délégations, dans la rue, dans les couloirs ou même dans la salle de bain», a expliqué Anne-Céline Guyon, en ajoutant que «la technologie permet d’avoir certaines formes de discussions à distance, c’est vrai, mais à un moment donné, il faut aussi se regarder les yeux dans les yeux».

Les rencontres en personne sont particulièrement importantes, selon elle, lorsque «la pression monte» et que les enjeux deviennent plus importants.

Un avis que partage la juriste Mélanie Snow, également présente à Dubaï.

«C’est souvent dans les moments entre les réunions qu’on peut avoir le plus d’influence. Il faut savoir saisir le moment et parfois, il y a une énergie qui n’est pas perceptible lorsqu’on participe à une réunion de sa maison et il faut saisir cette énergie», a résumé la spécialiste des affaires législatives d’Ecojustice.

Le poids de l’industrie et des États pétroliers

À la COP27 en Égypte l’an dernier, les dirigeants de BP, Shell, Equinor, Total Énergies et d’autres grandes pétrolières participaient aux discussions.

«Les pétrolières sont particulièrement présentes cette année», a également noté Mélanie Snow.

Les opérations et les produits des pétrolières contribuent grandement au changement climatique: l’utilisation du pétrole et du gaz était à elle seule responsable de plus de la moitié des 40,5 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde en 2022, selon l’Agence internationale de l’énergie.

Non seulement l’industrie participe activement à la COP, mais les États pétroliers jouent un rôle important.

La COP28 est présidée par Ahmed al-Jaber, ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis et aussi patron du géant pétrolier Abu Dhabi National Oil.

Le Canada, un autre État pétrolier, joue le rôle de facilitateur entre les nations pour la COP28.

En 2021, le Canada avait promis de plafonner les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur des énergies fossiles.

Lors de la COP27, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, avait déclaré que le plafond d’émissions promis par le Canada serait prêt d’ici la fin de l’année 2023.

«Mais on est au jour un de la COP28, et on n’a même pas l’ombre d’un premier jet de règlement à l’heure actuelle à ce sujet», a dénoncé Anne-Céline Guyon.

«Non seulement le Canada ne s’attaque pas à la production de combustible fossile, qui est la cause principale des changements climatiques, mais le flux financier injecté dans le développement des projets pétroliers continue», a indiqué Mélanie Snow en ajoutant que c’est «le moment, pour les pays comme le Canada, de mettre en œuvre des règlements destinés à freiner le financement du développement des industries fossiles».

La juriste d’Ecojustice a rappelé que la Banque Royale du Canada (RBC) a été le plus grand bailleur de fonds pour des projets de combustibles fossiles au niveau mondial en 2022 et que quatre autres institutions financières du pays sont parmi les 15 plus grands bailleurs de l’industrie.

Selon la troisième partie du sixième rapport du GIEC, il ne faut pas seulement plafonner les émissions de GES de l’industrie pétrolière, il faut radicalement réduire ces GES à la source.

Des pays plaident d’ailleurs pour que l’élimination ou la réduction  progressive de toute utilisation de combustibles fossiles se retrouve dans la déclaration finale de la COP28.

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