Au Canada, le style de mobilier le plus élaboré fut sans doute le style victorien. Les appliques, la sculpture, le mélange des essences de bois et l’utilisation à outrance des styles gothique, élisabéthain, rococo et néoclassique permettent d’affirmer que cet amalgame de tendances nous laissa des meubles éclectiques et très «lourds».
Déjà, le tournant du vingtième siècle corrige un peu le tir et nous retrouvons dans le courant arts & crafts, le style Mission. Des meubles de chêne, foncés, avec cette caractéristique fondamentale d’absence de superflu décoratif; une recherche de simple utilité.
Les bibliothèques, les tables et chaises ainsi que les magnifiques buffets demeurent aujourd’hui des pièces très recherchées par les amateurs.
Les grands noms de ce style comme Elbert Green Hubbard, Frances MacDonald, James Herbert MacNair, William Morris et bien entendu, Gustav Stickley, nous permettent, encore aujourd’hui, d’apprécier les plus belles créations de cette époque.
Madonna s’est même procuré un superbe buffet signé de la main de Gustav Stickley, pour la modique somme de 250 000 dollars; c’est dire comme elle a du goût, malgré les apparences!
Lorsqu’un membre d’une communauté religieuse me téléphona afin de venir examiner tous les meubles dont ses confrères et lui-même devront se départir, ma surprise fut totale. Je sais que les ébénistes québécois de cette période de l’avant-Première Guerre mondiale savaient manier les outils d’une façon exceptionnelle, créant d’excellentes copies de ce nouveau style importé de nos voisins du sud et d’Angleterre.
Je n’avais jamais vu de piano de style Mission et par surcroît, celui que j’ai eu le plaisir d’examiner, fut fabriqué par J. W. Shaw de Montréal. Comme nous savons que cette compagnie fut en activité de 1891 à 1908 et que la signature Shaw ne fut utilisée qu’à la toute fin de la production, il est bien facile de dater ce piano entre 1900 et 1908.
Les pianos droits classiques de cette période se vendent actuellement entre 500 et 800 dollars, en très bonne condition (par-dessus tout, pas de notes ébréchées!), surtout parce que les frais de déménagement et les honoraires de l’accordeur en augmenteront indéniablement le prix.
Nous avons ici un piano qui a passé sa vie chez les Frères, fabriqué selon les critères du style Mission et assurément un objet rare provenant du Québec.
Une évaluation de la valeur marchande se rapprochant des montants entre 1500 et 2000 dollars m’apparaît ici comme tout à fait raisonnable.
Amusez-vous à feuilleter les catalogues, livres contemporains ou feuillets publicitaires d’époque traitant des meubles de chêne de style Mission. Vous constaterez alors que les pianos sont rares, très rares. C’est ce qui fait de cette pièce une découverte inusitée, qui ma foi, ferait bien dans mon salon. Je vous laisse là-dessus, j’ai des mesures de mur à prendre…
